Un tome d’exposition qui installe une ambiance intense et maîtrisée
Vous vous rappelez, quand, dans les années 1990, les gardiens du Temple de la culture pointaient du doigt les mangas, coupables selon eux de représenter un danger obscur, qui n’existait que dans leurs discours éhontément bornés ? Quel plaisir, quelque temps plus tard, que de voir arriver en France toute une offre, parfois décevante, d’autre fois beaucoup plus intéressante, mais toujours dans le seul intérêt d’un lectorat en recherche de bonnes œuvres, en toute indépendance. C’est grâce à cette ouverture que certains éditeurs, ici Ki-oon (Monster X Monster), se lancent dans l’importation de mangas couronnés de succès au Japon, comme Lockdown, série vendue à plus d’un million d’exemplaires. Voyons si cette réussite populaire est méritée.
Lockdown T1 débute par une vue, rapide, d’un incident qui va conditionner le reste du tome, et certainement de la série : une mystérieuse fusillade au sein d’un laboratoire gardé par l’armée. Pris pour cible dans un déluge de munitions, les assaillants réussissent à prendre la fuite, et ce avec un échantillon d’une arme biologique développée le plus secrètement possible. Mais tout ne se passe pas comme prévu pour ces terroristes, car leur leader, la jeune Hozuki, est durement touchée. Afin de la soigner, son équipe se rend au lycée Kaishin, et prend en otage les élèves et professeurs du bâtiment. La situation redouble d’intensité quand l’arme biologique, un virus aux effets dévastateurs, se répand à travers l’établissement. La situation échappe alors à tout contrôle.
Lockdown T1 débute sur un rythme plutôt posé, et vise d’abord une présentation succincte mais assez cadrée des différents protagonistes. Après une introduction réussie, le récit se resserre et opère un focus momentané sur deux personnages : Sota, qui devient au fur et à mesure le protagoniste principal, et son ami Daichi, qui sera plongé dans une bien mauvaise posture. Dans le même temps, les assaillants débarquent, et c’est cet événement qui symbolise le véritable top départ d’un manga aussi captivant que haletant. Et ce très bon résultat n’est pas spécialement surprenant, tant le mangaka Michio Yazu fut remarqué avec une autre série restée dans les mémoires : Killer Instinct (qui place aussi son récit dans une école). Lockdown va cependant encore plus loin dans le concept cauchemardesque, avec ces classes prises en otage et victimes de la propagation d’un virus dont personne ne connaît le fonctionnement.
Un scénario qui réserve des moments cruels et haletants
Lockdown T1 s’amuse à créer une ambiance qui a tout pour devenir carrément suffocante. Les terroristes ne se contentent pas de prendre en otage de jeunes élèves, ils élaborent un stratagème visant à les impliquer dans leur propre survie : qui n’obéit pas sera éliminé, et provoquera aussi le malheur fatal d’autres camarades. Dès lors, les masques tombent peu à peu, et la survie devient le seul objectif, mais pas sans intelligence de traitement. Par exemple, on aime beaucoup le traitement du geek Akimasa, dans une séquence pour le moins tendue dans sa mise en scène. On pense continuellement à deux autres œuvres venues du Japon : Battle Royale bien sûr, même si Lockdown ne va pas aussi loin dans le traitement de la violence et la vision très pessimiste de l’ensemble. Mais aussi L’École Emportée, un classique qui, là aussi, analyse les comportements face à une situation extrême. Un tome d’exposition donc, qui fait bouillir l’eau avant d’y plonger les pâtes, et qui nous ravit de par ses illustrations pleine de personnalité. Nykken, qui s’occupe des dessins, devient immédiatement un nom à retenir…
À cette analyse des comportements, Lockdown T1 ajoute un élément horrifique savamment orchestré par une écriture décidément très maîtrisée. Tout se situe autour du retour à la vie après la mort (on ne peut pas qualifier ces infectés de zombis, ça va un peu plus loin que cela), et l’effet est saisissant. Sans trop rentrer dans les détails, sachez que Hozuki, leader de cette bande d’assaillants dont les membres ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde, apporte une dose d’étrangeté savoureuse, imprime au manga une imagerie que l’on n’attendait pas spécialement. L’action est certes présente, et la violence fait rage en provoquant des cases gores, mais c’est sans aucun doute le caractère cruel, sadique même, de cette jeune fille qui nous permet d’affirmer que ce premier tome de Lockdown sort de l’ordinaire… et nous rend d’autant plus impatients de lire la suite.
Lockdown T1, un manga scénarisé par Michio Yazu, dessiné par Nykken. Aux éditions Ki-oon, 196 pages, 7.65 euros. Sortie le 9 février 2017.