Un roman pour jeunes filles en fleurs?
On connaît tous, sans nécessairement avoir lu le roman ou vu le film, l’histoire de Love Story: une histoire d’amour tragique entre deux jeunes gens dans les années 70
qui s’achève par la mort prématurée de la jeune femme de 25 ans des suites d’une leucémie foudroyante. On se souvient tous également de la musique lacrymale à souhait de ce mélodrame qui avait
pour interprètes dans sa version cinématographique Ali Mac Graw et Ryan O’Neal. « Que dire d’une fille de vingt-cinq ans quand elle est morte ? Qu’elle était
belle. Et terriblement intelligente. Qu’elle aimait Mozart et les Beatles. Et moi. » C’est sur ces mots qui vous sont peut-être familiers que commence le livre d’Erich Segal et ceux-ci ont été repris dans la voix-off qui ouvre le film d’Arthur Hiller.
Si Love Story est sans aucun doute un classique, il faut bien avouer qu’il est souvent associé dans notre esprit à un mélo tire-larmes pour jeunes filles en fleurs.
Malgré ces à priori, j’ai été titillée par la curiosité à 15 ans lorsque j’ai un jour vu le roman sur les rayons de ma librairie de quartier. Avec tout juste 120 pages, s’il s’avérait être une perte de temps, au moins celle-ci serait de courte durée. J’ai finalement lu le livre d’une traite le soir-même et j’ai été stupéfaite de découvrir qu’il ne correspondait absolument pas à l’image que j’en avais.
Un roman touchant qui refuse le pathos
Le héros, Oliver, qui n’est autre que le narrateur de l’histoire, est un riche fils à papa arrogant incapable de laisser transparaître la moindre faiblesse et de pleurer tandis que l’amour de sa vie, Jenny, est une intello italo-américaine tout aussi prétentieuse à l’humour sarcastique détonant. Des protagonistes tout à fait curieux pour un roman d’amour donc et qui commencent par se haïr farouchement à coups de vannes bien senties. Comme « qui aime bien châtie bien », leur mépris tourne à l’amour fou… mais cet amour n’en demeure pas moins (affectueusement) vache, loin de tout cliché mielleux. Si Oliver accepte facilement le milieu très modeste dont est issue Jenny, le père de ce dernier pose problème, ce qui donne lieu à un affrontement père-fils tout à fait intéressant : le roman entier voit le jeune homme lutter pour désapprendre tout ce que lui a inculqué cet homme froid et supérieur et gagner son émancipation. De plus, comme Oliver a toujours eu tout ce qu’il désirait et même au-delà, cela pose forcément quelques problèmes d’ajustement au sein du couple. Sérieux et léger à la fois, le roman fait preuve d’un humour et d’un punch que je n’aurais jamais soupçonnés.
Lorsque l’on apprend la maladie de la jeune femme (à 20 pages de la fin seulement !), celle-ci refuse de s’apitoyer sur son sort et engueule son mari et son père qui gèrent tant bien que mal leur douleur et la regardent sans cesse avec des yeux de merlan frit. Malgré le chagrin, Oliver reste étrangement détaché, ne parvenant pas à ressentir réellement de souffrance, ce qui contribue à l’aspect non-conventionnel du roman et lui confère réalisme et dureté. Comme ce passage où, alors que Jenny vient d’être hospitalisée et qu’Oliver et son beau-père savent très bien qu’elle n’en ressortira jamais, ce dernier ne sait tellement plus quoi faire qu’il s’acharne de manière futile à faire le ménage. La mort de la jeune femme à l’hôpital, dans les bras d’Oliver, est également narrée sans pathos, de manière très simple… ce qui ne m’a pas empêchée de fondre en larmes à l’époque ; c’était sans doute la première fois que cela m’arrivait en lisant un livre.
Le chemin des larmes
Mais ce n’est pas là que s’achève le roman : en sortant de l’hôpital, le jeune veuf croise son père qui a appris la vérité sur la condition de sa belle-fille et est venu apporter un soutien tardif à son fils. Après avoir répondu à son père qui s’excusait « L’amour c’est n’avoir jamais à dire qu’on est désolé », le livre s’achève sur ces mots : « Et puis, je fis ce que je n’avais jamais fait en sa présence, et encore moins dans ses bras. Je pleurai. » Ce cheminement d’un faux-dur vers les larmes est quelque chose que je n’attendais absolument pas d’un livre comme ça et la simplicité extrême de l’écriture d’Erich Segal, la finesse avec laquelle il décrit les rapports humains est ce qui m’a le plus touchée dans Love Story et ce final m’a littéralement achevée… Je me souviens encore, près de dix ans plus tard, pleurer pendant un bon quart d’heure dans le fauteuil du salon et essuyer mes larmes à la va-vite lorsque mon père s’est levé pour voir ce que je faisais encore debout. Et bien que je ne l’ai jamais relu depuis cette époque, j’en ai gardé des souvenirs d’une grande précision (que j’ai quand même vérifiés, au cas où, en écrivant cet article, la mémoire jouant parfois des tours), signe infaillible qu’un livre ou un film m’a vraiment marquée.
En revanche, peu de temps après, j’ai lu la suite du roman, Oliver’s Story, qui se déroule un an et demi après la mort de Jenny et qui est beaucoup plus long (plus du
double de Love Story) et j’ai été très déçue. Malgré quelques passages intéressants, j’ai trouvé ce livre beaucoup trop convenu et bien plus mélo, pour ne pas dire
franchement chiant. Les éditeurs, face à l’immense succès de Love Story, ont dû harceler Erich Segal pour qu’il écrive la suite histoire de rééditer l’exploit mais malheureusement la sauce n’a pas pris. Il s’est apparemment quand même bien vendu à l’époque, publicité oblige, et il a même été adapté au cinéma, Ryan O’Neal y
reprenant son rôle d’Oliver… Tout le monde a oublié et le livre et le film aujourd’hui, ce qui parle de lui-même. Mieux vaut donc en rester au roman original.