Plongée dans la
culture amérindienne
Cela faisait un bout de temps que je n’avais pas lu de romans fantastiques. Lorsque l’occasion s’est présentée de lire le premier roman de Mireille Michèle M. dans le cadre d’un
partenariat littéraire, je n’ai donc pas hésité, d’autant plus que ce premier tome (deux autres suivront) a pour cadre la culture amérindienne, que j’affectionne particulièrement.
L’histoire est celle de Marie, une française de trente-cinq ans qui décide de partir un mois au Québec chercher l’inspiration nécessaire à l’écriture d’un roman autour des rites et légendes
indiennes. Elle a contacté par Internet un guide amérindien, Jérémy, qui lui fera découvrir sa culture. Elle ne tardera pas à faire de stupéfiantes découvertes sur elle-même et se retrouvera au
coeur d’une véritable lutte contre le Mal. L’harmonie terrestre entre les hommes et les créatures magiques est en jeu et Marie aura un rôle décisif dans ce combat.
Un premier roman prenant
Mireille Michèle M. s’en sort avec les honneurs avec ce roman prenant et très fluide qui se lit avec plaisir, même si j’ai au final quelques réserves à émettre. En effet, j’ai
été assez choquée par l’ignorance de l’héroïne dans les premières pages du livre. Alors qu’elle est supposée écrire plusieurs romans autours des légendes et coutumes amérindiennes, Marie semble
n’avoir aucune connaissance de base sur cette culture, ce qui ne paraît pas très crédible.
Si la jeune femme (qui est également la narratrice) admet elle-même se sentir bête de ne pas s’être renseignée auparavant quand elle avoue à son guide qu’elle ne savait pas depuis combien de
temps le peuple amérindien se trouvait en Amérique et comment les différentes tribus sont réparties sur le territoire, j’ai été interloquée de voir qu’elle semblait totalement découvrir le
massacre des indiens par les colons puis l’endoctrinement et la manière dont ils ont été placés dans des réserves au 19ème siècle.
Petite incohérence
Si Marie avait été américaine, j’aurais pu accepter ce parti pris car il y a un tel tabou autour de ces événements là-bas (le génocide n’a jamais été reconnu officiellement) que les jeunes
européens en connaissent facilement plus à ce sujet que leurs camarades d’outre-Atlantique. Les manuels scolaires traitant de l’histoire des États-Unis sont, de l’avis de nombreux intellectuels
et artistes américains, démagogiques et incomplets, privilégiant une version officielle qui fait état de traités pacifiques, etc. très loin de la vérité.
Or, le fait que Marie soit française et, qui plus est, trentenaire, rend son ignorance irréaliste. Même en étant une buse en histoire (je plaide coupable), tout le monde sait que la colonisation
de l’Amérique fut tout sauf pacifique et civilisée et que les européens sont en tort sur ce point. Il était facile à l’époque de traiter les peuples natifs de sauvages et les chasser comme des
malpropres puisqu’on ne savait rien d’eux, ce qui attisait craintes et préjugés. Je peux comprendre l’émotion de l’héroïne face au témoignage d’un amérindien dont l’existence et celle de ses
ancêtres a été conditionnée par ces douloureux événements, mais cette « prise de conscience » m’a brièvement fait sortir du livre. Cela m’a plus semblé un prétexte pour justifier le récapitulatif
historique de Jérémy, clairement à l’attention du lecteur, qu’un moyen pour l’auteur de nous faire comprendre que Marie est une bobo repliée sur elle-même s’apprêtant à vivre un choc culturel qui
changera profondément sa vision du monde.
Histoire d’amour et initiation
Par la suite, heureusement, on ne trouve plus ce type de maladresses et on rentre facilement dans l’histoire. Si l’héroïne est agaçante sur certains points au début, assez méfiante et coincée, on
s’identifie aisément à elle et son évolution, constante, est intéressante. J’ai beaucoup aimé la manière de Mireille Michèle M. de dresser le décor, de nous faire rentrer dans la
culture amérindienne et l’évolution de la relation entre Marie et Jérémy. La jeune femme se sent au départ bousculée par le comportement de son guide, si loin de ses manières d’occidentale
stressée et elle devra apprendre à baisser sa garde pour rencontrer véritablement cette culture inconnue. Le respect, l’admiration et un amour sincère (je n’en dirai pas plus) remplaceront cette
hostilité initiale.
La description simple et subtile de cette relation, parallèlement à l’initiation de Marie, m’ont beaucoup intéressée et rendent l’histoire des plus attachantes. J’ai apprécié que la dimension
fantastique mette du temps à apparaître, que l’intrigue soit au départ très ancrée dans la réalité, le quotidien… J’ai aimé la description de la spiritualité amérindienne, la manière de mettre
en avant l’importance de « l’animal totem »* (voir fin d’article) dans cette culture. La façon dont l’auteur fait émerger le fantastique de cette spiritualité est certes classique
(on l’a déjà vu, en partie, ailleurs) mais en parfaite cohérence avec la culture amérindienne. Et puis, ça change des romans et sagas d’heroic fantasy classiques, apporte une certaine
fraîcheur dans ce domaine.
L’écriture de Mireille Michèle M. est très simple et, alors que cela aurait pu être un défaut (son style n’a en effet rien d’extraordinaire en tant que tel) elle parvient à en
faire une qualité. Directe et épurée, sa plume est fluide et nous emporte facilement dans la psychologie de ses personnages. Les chapitres sont courts et accrocheurs, donnent envie de connaître
la suite.
Revirement fantasy inattendu
J’ai en revanche été surprise (et assez déçue) quand, au bout de 130 pages, la révélation de la fameuse prophétie du Cercle oriente l’histoire dans une veine fantasy plus classique (les trois
soeurs devant être réunies, un terrible mage noir…) avant de tomber dans la pure heroic fantasy avec vampires, elfes et autres au bout de 200 pages. J’aime beaucoup la littérature et le cinéma
fantastique, y compris dans sa veine merveilleuse ( Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, Buffy contre les vampires
à la TV et en comics) et je n’ai rien sur le principe contre la réappropriation de ces créatures mythiques, bien qu’elle soient archi-connues et très présentes dans la culture populaire des
trente dernières années. Mais ce qui m’avait initialement donné envie de m’inscrire à ce partenariat littéraire, c’était ce résumé des éditions Le Piment Graphique qui mettait en
avant l’importance de la culture amérindienne dans le roman et c’est en ayant cela à l’esprit que j’avais ouvert le livre. La prophétie et les autres éléments merveilleux classiques m’ont en ce
sens parus rajoutés, comme si l’auteur n’avait elle-même pas prévu cette évolution.
La lecture d’une interview publiée sur son site internet m’a d’ailleurs confortée dans cette opinion :
« Quand j’ai commencé, je pensais écrire un livre assez court, mais j’ai vite eu le sentiment qu’il manquait quelque chose et que l’histoire ne pouvait pas s’arrêter là. J’ai donc modifié mon
intrigue, ajouté quelques personnages et je me suis lancée dans l’écriture d’une trilogie. »
Deux romans en un
Du coup, on a un peu l’impression que le livre comporte deux romans réunis en un seul et c’est de prime abord assez troublant. Si le résumé de l’éditeur, également présent sur le site web, ne
laisse pas forcément deviner cette évolution, le quart de couverture est beaucoup plus clair et parlera en ce sens aux amateurs d’heroic fantasy. Pour ma part, j’aurais souhaité rester dans les
rites et légendes indiennes, que cette dimension très intéressante soit encore plus approfondie, étoffée. Malgré mes réserves, j’ai fini par me laisser emporter par la suite de l’intrigue et j’ai
lu le reste du roman avec plaisir. Il faut dire que les rebondissements sont nombreux et imprévisibles (un point très positif), le rythme soutenu, l’écriture efficace. Pour un premier roman,
Mireille Michèle M. a en ce sens un bon savoir-faire, elle arrive à obtenir l’attention de son lecteur et la maintenir malgré des éléments parfois trop conventionnels.
Trop conventionnels car les influences, nombreuses et manifestes (Le Seigneur des anneaux, auquel j’ai beaucoup pensé pour nombre de choses, Harry
Potter, Twilight, Charmed, de nombreux contes et légendes en général…) ne sont pas toujours bien digérées ou du moins, pas
suffisamment développées ou approfondies. Il faut dire qu’en faisant apparaître une communauté de vampires au milieu du roman, l’auteur a fait un pari risqué. Elle a passé beaucoup de temps à
nous présenter son héroïne, sa personnalité, la culture amérindienne, etc. puis elle introduit d’autres personnages en parallèle, qui font partie d’un univers totalement différent et elle doit
faire preuve d’efficacité pour que ces segments rejoignent l’histoire principale.
Des intrigues parallèles à développer
Elle va donc très vite en besogne et, même si chacun des personnages a une personnalité propre qui évolue de manière crédible et plutôt intéressante, ils n’ont pas autant de force et de réalité
que Marie et Jérémy. J’avoue également que si j’aime les histoires de vampires (j’adore la série Buffy contre les vampires et le roman Dracula
de Bram Stocker, entre autres), je ne suis guère fan de Twilight. Or, la partie
Hector/Sofia m’a fait penser à la saga et ne m’a pas forcément convaincue, même si je ne suis pas opposée à l’idée de vampires bons de nature et romantiques dans l’âme. Le second personnage de
vampire important, Grégory (qui est davantage rattaché à l’histoire de Marie) m’a en revanche beaucoup plus intéressée car il possède des zones d’ombres. Il m’a un peu rappelé le
Dracula de Coppola (1992).
Evidemment, Le Cercle de la prophétie est le premier tome d’une trilogie et les différents « univers » présents dans l’histoire semblent appelés à être considérablement
développés par la suite. J’attends donc de lire les tomes deux et trois pour me faire une idée globale. Pour le moment, je peux dire que j’ai apprécié le roman dans l’ensemble, avec une
préférence marquée pour le premier tiers. Si j’ai quelques réserves sur l’évolution de l’intrigue, j’ai été étonnée de lire le roman aussi vite et reste très curieuse de découvrir la
suite.
Je remercie chaleureusement les éditions Le Piment Graphique et le forum Accros & Mordus de lecture pour m’avoir fait découvrir ce livre. Le roman est en vente dans plusieurs librairies
du Finistère où vit l’auteur. Vous pouvez également le commander par Internet sur le site de la librairie Dialogues.
* « l’animal totem » fait partie de la Roue de la Vie, qu’on pourrait définir très grossièrement comme une « astrologie amérindienne », sans vocation prévisionnelle. Il s’agit d’une
pratique chamanique qui permet de mieux se connaître et d’apprendre à vivre en fonction de sa nature profonde, définie par un animal qui nous correspond et nous représente. Mireille
Michèle M. s’est manifestement inspirée de cette tradition.