Les mots peuvent avoir plusieurs sens et ils évoluent au fil du temps avec les sociétés. C’est sur la transformation de la notion de « camp » que le linguiste Alain Rey, avec Parler Des Camps, a voulu se pencher dans ce très beau livre sorti aux éditions Guy Trédaniel. A travers l’histoire de ce mot, il s’interroge sur ce phénomène fascinant qu’est l’exil, au cœur des préoccupations de millions de personnes à travers le monde.
De par son passé de directeur de la rédaction du Petit Robert, Alain Rey a gardé une volonté d’expliquer des notions parfois abstraites, complexes (voire manipulées) pour que tout le monde puisse mieux appréhender son environnement. Le livre Parler de camps au XXIème siècle commence donc tout naturellement par une chronologie des origines du mot « camp », en latin, en germain, en grec… Et l’on découvre un champ sémantique commun dans toutes ces langues : la notion de guerre. Le campement désigne à l’origine un espace militaire, servant lors des « campagnes » à s’installer pour se préparer à une bataille ou à un siège. Le mot a évolué depuis pour arriver actuellement à la notion d’ « encampment », tout d’abord utilisée par Barbara Harrell-Bond, fondatrice du Centre d’études sur les réfugiés à l’université d’Oxford puis transposée en français par Michel Agier (ethnologue à l’EHESS) pour intégrer une notion complémentaire au mot à savoir « l’idée de la mise en camp comme choix politique ». Ce qui au début concernait des populations de façon temporaire et devenue peu à peu une volonté politique de certains états et par ce biais, le temporaire est devenu permanent. Comme Alain Rey le dit « le vocabulaire du nomadisme de contrainte ou de terreur est dominé par deux notions : celle de la migration [et] celle de la violence« . C’est le parcours de cette notion qu’il nous invite donc à suivre.
La deuxième phase de Parler Des Camps est tout aussi éducative et attractive : les photos prises par Guillaume Lavit d’Hautefort. Ayant fréquenté des camps de réfugiés sur des périodes longues, le photographe a su capturer toute la beauté qui pouvait ressortir de situations douloureuses. Le choix est pris de se focaliser sur cinq camps : Chatila et Burj El-Barajneh au Liban, Gouroukoun, Zafaï et Sido au Tchad et plus près de nous Calais et le camp de Tioxide situé dans la zone industrielle de la ville. Placés dans des environnements très différents les uns des autres, on découvre également que les habitants de ces camps n’ont pas à faire face aux mêmes problématiques : si en France il y a des associations, des aides de plusieurs origines, les réfugiés dans des camps tchadiens doivent faire face à l’insécurité alimentaire, de même que les questions sanitaires qui se posent ne sont pas les mêmes. Guillaume Lavit d’Hautefort illustre avec pudeur et naturel ces scènes de vie quotidienne partagées aujourd’hui par près de 60 millions de personnes, soit presque la population totale de la France.
Comment penser ces situations quand les mots sont déjà si difficiles à appréhender ? Avec Parler Des Camps, Alain Rey prend le temps de définir tous les termes tels que migrants, réfugiés, déplacés etc… afin que nous puissions avancer plus facilement dans la réflexion. Habitué à vulgariser des concepts ou expressions, le linguiste nous livre une analyse aussi fouillée que passionnante sur un thème tristement d’actualité et qui est parfaitement illustrée par les photographies de Guillaume Lavit d’Hautefort. Un très beau livre à feuilleter, à lire et à faire découvrir.
Pour vous procurer Parler Des Camps, visitez le site des éditions Guy Trédaniel.