[Critique] Le Cheval D’Orgueil – Bertrand Galic et Marc Lizano

image couverture le cheval d'orgueil

Caractéristiques

Critique

Adapter en bande dessinée l’immense Le Cheval D’Orgueil, de Pierre Jakez Hélias, voilà un projet comportant une dose de panache pour le moins gargantuesque. Si Claude Chabrol en a tiré un film étrangement méconnu, en 1980, tous les lecteurs de ce livre culte, vendu à plus de deux millions d’exemplaires, conviennent que la structure narrative de l’œuvre ne s’accorde pas avec une volonté purement visuelle. Dès lors, nous étions très curieux d’aborder ce Cheval D’orgueil, d’autant plus qu’il débarque pour commémorer, en bonne et due forme, les 40 ans de l’ouvrage.

Le Cheval D’Orgueil, version bande dessinée, est le travail d’un duo assez inattendu : Bertrand Galic au scénario, et Marc Lizano au dessin. Pour ceux qui connaissent le travail de ce dernier, notamment dans le très bon L’Enfant Cachée, l’on pouvait se demander si son style si particulier allait bien coller à l’univers peint par Pierre Jakez Hélias. Mais le lecteur se rend vite compte que la question n’a pas lieu d’être, tant l’album entre ses mains est avant tout un travail d’adaptation par la plume libre, mais hautement fidèle dans l’esprit, de Bertrand Galic.

La grande réussite de ce Cheval D’Orgueil se tient précisément là : l’on ressent très fortement le fond, la grande impression de travail ethnologique qui traverse l’ouvrage breton, tout en vivant aussi intensément la beauté des instants choisis. L’effet donne un sentiment incroyablement fort au lecteur, qui suit l’évolution du personnage, Pierre, en fonction des évolutions de l’époque. Bertrand Galic a fait le choix d’une narration par l’ellipse, par l’histoire dans l’Histoire, et le résultat est tout bonnement un délice, exemplaire par sa maîtrise du sujet.

Cheval de (dur) labeur

Car si cette adaptation du Cheval D’Orgueil ne peut, évidemment, condenser un livre de quelques centaines de pages, l’on est abasourdi par le travail effectué sur l’ambiance. Dès les premières passages, le lecteur se projette dans la peau de Pierre, et s’embarque totalement avec son grand-père, dont les multiples leçons de vie frappent pile où il faut. Sans jamais être moralisatrices à la Disney, les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, chacune venant donner une particularité qui, associée aux autres, donne l’impression de nous faire vivre au cœur d’une époque révolue. Le lecteur de Cheval D’Orgueil s’évade sur quelques 136 pages, et l’on est frappé par la réussite de la « mise en intrigue » d’un texte qui, pourtant, évitait soigneusement, et avec réussite, toute ambition narrative.

Le Cheval D’Orgueil nous donne l’occasion de devenir témoin d’une période peu à peu oubliée de l’histoire de France. Cette entre-deux guerres, la famine, la pauvreté, mais surtout la fierté increvable des régionalismes, tout est rendu à la perfection dans cet album. Au point, même, que Bertrand Balic s’offre la possibilité d’aborder certaines des légendes locales en évitant soigneusement toute autre explication que celle de l’image et du dialogue, et surtout pour mieux travailler au corps l’esprit breton. Les lecteurs les moins aventuriers regretteront surement le manque d’explications, mais l’erreur est de croire que tout doit nous être transparent sans efforts. La qualité d’écriture est telle qu’on peut très bien parcourir l’entièreté de Cheval D’Orgueil sans être familiarisé avec la culture bretonne, d’aucune façon. Il suffit, pour comprendre, de lâcher prise. La qualité du scénario y est, évidemment, pour beaucoup, mais aussi la grande qualité du dessin.

Aussi agréable à lire qu’à admirer

Le Cheval D’Orgueil est dessiné par Lizano. Comme écrit plus haut, voilà un choix qui peut surprendre les connaisseurs, tant l’homme est associé au livre de jeunesse. Son style, très expressif, le mène vers un rendu que les gamers connaissent sous l’appellation « SD » (pour Super Deformed). En gros, et même grossièrement tant il serait stupide de résumer son travail à cette particularité, Lizano dessine des grosses têtes sur de petits corps. Le résultat fait enfantin, du moins dans la première impression, car à y regarder de plus près on se rend compte que le trait, précis, est bien plus permissif qu’il n’y paraît. Il permet, ici, de donner au travail de Bertrand Galic une émotion particulière, qu’il fallait trouver pour bien soutenir le ton poétique de l’ensemble. C’est simple, il devient impossible, en cours de lecture, d’imaginer les personnages autrement que dessinés par Lizano.

Au final, Le Cheval D’Orgueil est une surprenante réussite, que l’on n’attendait pas à ce niveau. Difficile travail de choix multiples et constants, Bertrand Galic et Marc Lizano accouchent d’un album hautement recommandable, pour tous ceux qui voudraient découvrir l’œuvre de Pierre Jakez Hélias sous le prisme du neuvième art. L’on termine la lecture avec l’impression puissante d’avoir connu, pour un bref instant physique mais plus durablement dans l’esprit, une trajectoire d’un intérêt primordial. Une œuvre d’importance.

Pour commander Le Cheval d’Orgueil, rendez-vous sur le site de Soleil, éditeur de la bande dessinée (collection Noctambule).

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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