[Événement – Interview] Delphine Remy-Boutang, co-fondatrice de la Journée de la Femme Digitale, nous parle de la 4e édition

image photographie delphine remy boutang
Delphine Remy-Boutang

Ce sera l’événement du digital à ne louper sous aucun prétexte le 10 mars prochain : la Journée de la Femme Digitale fêtera sa 4e édition aux Folies Bergère, à Paris, devant 3000 à 3500 personnes. Cet événement unique en France, que nous vous avions déjà présenté il y a quelques semaines, célèbre les parcours de femmes dans le domaine du digital, qu’elles soient entrepreneurs ou « intrapreneurs », et encourage celles qui voudraient se lancer. De nombreuses intervenantes (et quelques intervenants) seront présents lors de cette journée de conférences articulée autour du thème « Meet the Future! », qui s’annonce riche en surprises et en inspiration.

Pour cette occasion, nous avons rencontré la co-fondatrice de l’événement, Delphine Remy-Boutang. Discussion à bâtons rompus avec une femme passionnée autour de la place des femmes dans le digital, l’innovation que celui-ci permet et le programme de cette 4e édition riche en promesses.

Culturellement Vôtre : La Journée de la Femme Digitale, que vous avez co-fondée avec Catherine Barba et lancée en 2013,  en est déjà à sa 4e édition. Pouvez-vous nous raconter comment est né le projet ?

Delphine Remy-Boutang : Le projet est né d’un constat, qui était que le milieu des conférences autour du web et de la technologie était quand même très masculin. On s’est donc dit : « Et si on créait un événement autour du digital dédié aux femmes et qu’on le mettait autour de la Journée de la Femme internationale en l’appelant la Journée de la Femme Digitale ? » C’était l’idée de départ.

C.V.Revenons sur votre parcours. De 2000 à 2011, vous travaillez pour IBM à Londres, où vous êtes à la tête du marketing, de la communication, puis, à partir de 2006, des social media. En 2011, vous créez The Bureau, une agence de stratégie en social media, basée à Londres et à Paris. Pouvez-vous nous expliquer comment le digital est rentré dans votre vie et a boosté votre carrière ? 

En 2006, j’ai en effet été nommée à la tête du social media. Mais 2006, pour remettre dans le contexte, c’est l’année de la création de Twitter et 2004 la création de Facebook, c’était donc le tout début des réseaux sociaux. IBM était la première entreprise B to B à se lancer. Et en 2006, on a fait le pari de dire que les réseaux sociaux allaient devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. C’était donc au tout début, à la  naissance de toute cette stratégie qui faisait des collaborateurs, les IBMers (soit 475 000 collaborateurs dans le monde), des ambassadeurs de la marque. Puis ensuite, tous les clients. Nous étions comme une start-up au sein d’un grand groupe. Parce-que, quoi qu’on en dise, même si IBM est tourné vers l’innovation, ça n’en reste pas moins un gros dinosaure à faire bouger quand il est question de faire bouger les lignes en interne. Nous étions une petite dizaine lorsque nous avons commencé et j’ai recruté plus de 300 personnes dans le monde pour mettre en place cette stratégie digitale.

Forte de cette expérience, qui était une expérience d’intrapreneur au sein d’IBM, j’ai fondé The Bureau en 2011. Et pour répondre à votre question, à savoir comment on en vient à créer sa propre boîte, en ce qui me concerne, j’ai d’abord été intrapreneur avant de devenir entrepreneur. Pour reprendre la phrase de Simone de Beauvoir, « On ne naît pas femme, on le devient », je dirais : « On ne naît pas entrepreneur, on le devient ».

En ce qui concerne le digital, cela m’a toujours captivée. D’abord parce-que j’ai fait ma carrière au sein d’IBM pendant presque 12 ans, autour d’univers très technologiques, avec des logiciels, des hardware, etc. Et ensuite, j’ai vite été fascinée par le pouvoir qu’avaient les réseaux sociaux pour les entreprises, aussi bien en interne qu’en externe.

C.V.Quelles évolutions avez-vous constaté grâce au digital ? Quel rôle les femmes ont à y jouer ? 

C’est un monde qui est très nouveau, un univers qui évolue sans cesse. Cette évolution est quotidienne et en même temps très récente. Le pari, en tout cas, qui était de dire que le digital allait aider pour la parité, n’a pas encore été remporté. C’est un peu ça la déception : on avait pensé que le digital allait pouvoir redistribuer les cartes. Mais au niveau des chiffres, aujourd’hui, on sait que seules 27% de femmes représentent le secteur numérique. Ce qui veut dire que les femmes sont sous-représentées au sein de ce secteur qui représente le monde du futur, l’économie de demain. C’est aussi pour ça que la Journée de la Femme Digitale existe et continue à exister pour cette 4e édition : il s’agit de dire que le numérique est une chance pour tous, mais en particulier pour les femmes. C’est une clé de l’égalité, autant que l’éducation, et ce sont des univers qui représentent tellement le monde de demain qu’il faut faire quelque chose aujourd’hui, maintenant, pour faire en sorte que ces femmes se disent qu’elles peuvent elles aussi tenter leur chance de devenir entrepreneur, de créer des start-ups dans l’univers digital ou d’être intrapreneur et apporter des projets au sein de grandes entreprises autour de transformations digitales.

De plus, des études, comme celle de Mackenzie pour la Banque Mondiale, montrent que si les femmes étaient plus présentes dans ce secteur-là, le taux de croissance augmenterait. C’était ce que disait Najat Vallaud-Belkacem en 2014 : une meilleure parité hommes-femmes permettrait d’accroître l’économie de la France de 10% d’ici à 2030.

L’ambition et l’engagement de la Journée de la Femme Digitale, c’est de dire qu’on présente des role models, des femmes qui ne sont pas toujours celles dont on parle tout le temps, comme Sheryl Sandberg ou Marissa Mayer, qui peuvent être des modèles intimidants. Nous présentons des femmes comme vous et moi, qui sont plus accessibles, pour qu’on puisse se dire : « C’est possible, je peux le faire aussi, je peux y arriver ». Le secteur est quand même très emprunt de l’image du geek, qui est un jeune homme doué en maths, comme Mark Zuckerberg. Nous voulons dire : donnons leur chance aux femmes ! Il n’y a pas que celles dont on parle tout le temps. Nous pensons que le numérique peut remettre les compteurs à zéro.

Et pour ça, il y a du progrès à faire. Car les filles ne choisissent pas ces carrières au départ, elles se disent que cela ne leur correspond pas, que ça n’est pas fait pour elles. Il y a trop d’images qui planent et on en voit encore aujourd’hui… Il y avait par exemple une photo de Facebook qui disait : « Regardez les codeurs et développeurs de Facebook » et il n’y avait que des hommes. Ce qu’on veut faire, c’est donc mettre en avant toutes ces femmes qui représentent l’économie de demain, dire : « On n’est pas que des e-shoppeuses, on créé aussi ce monde de demain, qui nous ressemble ». Car, quoi qu’on en dise, les entreprises aujourd’hui ont été créées par des hommes pour des hommes. Les femmes ont donc deux choix : s’adapter ou bien renoncer. Ce que nous proposons, c’est une troisième solution, qui est de créer cette entreprise de demain qui nous ressemble, avec nos codes, afin de s’y sentir plus à l’aise. Et le digital aide à ça.

image meet the future journée de la femme digitale 2016

C.V.La Journée de la Femme Digitale encourage les femmes à entreprendre et se lancer grâce au digital. Avez-vous eu des retours, suite aux précédentes éditions, de femmes qui, après avoir assisté aux conférences, ont justement concrétisé leur projet ou l’ont mis en chantier ? 

Complètement, et c’est une véritable fierté, dans le vrai sens du terme. On a des exemples de femmes et on en aura encore cette année, qui participeront à l’événement, qui avaient assisté à la Journée de la Femme Digitale et qui ont eu le déclic de se dire : « Et si je lançais moi aussi ma start-up ? » On a par exemple une femme qui travaille à La Redoute et qui depuis a créé une start-up de colis entre particuliers, qui fait partie de cette économie collaborative.

La Journée de la Femme Digitale, c’est aussi un moment de networking, c’est pour cette raison que nous avons créé une appli, une sorte de Tinder de la JFD, le JFD Match, pour permettre à toutes ces femmes de rencontrer d’autres femmes dans la vraie vie, pendant l’événement, parce-que l’innovation commence par des rencontres dans la vraie vie, le digital étant un outil pour faciliter ces relations. Linkedin, Facebook, Instagram, ces réseaux sociaux permettent des clins d’oeil, de rester en contact avec des gens, montrer qu’on a vu, qu’on a lu, c’est une conversation.

C’est pour ça que cette année – et c’est la grande nouveauté de la 4e édition – nous avons lancé le JFD Connect Club, qui est un club exclusif de femmes du digital et se veut être acteur de la promotion de l’innovation au féminin. C’est un endroit où, toute l’année, on va continuer à échanger. La JFD ne dure qu’un jour et beaucoup de personnes nous ont dit : « Mais on veut continuer, on ne veut pas que ça ne dure qu’un jour », donc on fait vivre la Journée de la Femme Digitale tout au long de l’année, pour générer des rencontres et porter l’innovation. Delphine Ernotte-Cunci est la marraine du club et on a de nombreux partenaires comme Madame Figaro, la French Tech, Dropbox ou Capgemini Consulting, pour ne citer qu’eux.

C.V.L’événement se veut-il également comme un terreau de réflexion pour des personnes déjà bien familiarisées avec le digital et qui l’utilisent déjà dans leur travail et leurs projets ?

Oui, vraiment, c’est un moment de réflexion, mais aussi un moment d’inspiration pour toutes ces femmes. Ce n’est pas un moment d’entre-soi dans le digital, c’est aussi pour ça que c’est gratuit, c’est un événement qu’on ouvre au grand public, on a des partenariats radio comme RTL, pour justement faire passer le message qu’on ne va pas parler un jargon que personne ne comprend. C’est simple, on parle par exemple des start-ups, comme cette société pour faire de l’auto-stop connecté, ce que tout le monde peut comprendre. Ou des start-ups pour la ceinture connectée, des objets connectés, on va aussi avoir le paiement sans contact ou un bar à coder qui sera animé par Orange. On peut apprendre à coder et à côté, on aura un bar à ongles, pour donner une continuité et montrer cet esprit féminin, montrer que le digital peut être féminin.

Et je suis convaincue que c’est par définition l’ADN du digital, de par sa façon de travailler, par le partage, la collaboration, qui a quelque chose de très féminin. On le voit, on se doit, nous les femmes, d’aller à la conquête de ce nouveau secteur. C’est aussi pour ça qu’on aura des robots à la place des hôtesses le 10 mars, afin de casser les stéréotypes et montrer que les femmes évoluent et ne sont pas là où on les attend.

C.V.A quoi pouvons-nous nous attendre cette année pour cette 4e Journée de la Femme Digitale ? Pourquoi ce thème « Meet the Future » ? 

On peut s’attendre à plein d’innovations. Les participants seront invités par des robots, on aura également un village du futur où se trouveront des corners de nos partenaires permettant de visiter la  banque du futur, la santé du futur ou encore la beauté du futur avec Lancôme. Il y aura aussi des moments pour rester connecté à soi-même, ce qui est aussi important… Des moments de yoga, des moments de déconnexion. Cette année, nous avons aussi vraiment eu envie de mettre en lumière des artistes et la manière dont la culture est complètement transformée par le digital.

Dans le théâtre, nous aurons donc des artistes comme Blanca Li avec son spectacle de robots, Naziha Mestaoui, qui a créé le projet One Heart One Tree et qui, à l’occasion de la Cop21, a transformé la Tour Eiffel en arbre virtuel afin de montrer que nous sommes tous connectés les uns aux autres par le biais du digital. Grâce à une appli, chacun pouvait mettre les battements de son coeur sur la Tour Eiffel virtuellement et participer à la reforestation dans certains pays.

Cela représente donc un véritable engagement, qui n’est pas seulement un engagement commercial. On passe donc à d’autres choses, que l’on pourrait qualifier « d’inspirationnelles » par le biais de ces artistes et de la culture. Nous montrons comment la culture ne sera plus jamais consommée comme avant. On aura également Laure Pressac du Centre des Monuments Nationaux qui nous présentera comment le centre reprend de la tonicité et réfléchit à des innovations et à faire travailler des start-ups comme Covoiture-art, qui a été montée par une femme et propose des co-voiturages pour aller visiter des musées…

Le but est de montrer comment la culture n’est plus consommée de la même manière et comment toutes ces start-ups, principalement montées par des femmes (c’est, du moins, celles-là que nous mettrons en avant) transforment la culture de demain et transforment la manière dont aujourd’hui même nous vivons une expérience dans un musée. Il y aura aussi Blanca Li, danseuse-chorégraphe, mais aussi metteur en scène, actrice et réalisatrice, bien connue pour son travail sur l’expression corporelle.

Aussi, l’année dernière, nous avions le webmaster du Vatican qui était présent et nous a donné un message du Pape directement, ce qui était très émouvant, qu’on soit croyants ou pas. Son message était : « Soyez créatifs ! » J’ai eu envie de reprendre cette phrase et de vraiment mettre en avant des des artistes, d’inspirer aussi par la culture. L’année dernière, nous avions fait un clin d’œil à Nikki de Saint Phalle, puisque chaque année on remet un prix, le Prix de la Femme Digitale Entrepreneur, ainsi que le Prix de la Femme Digitale Intrapreneur. Chaque année, ce prix est associé à un artiste. En 2015, il s’agissait donc de Nikki de Saint Phalle, qui avait sa rétrospective au Grand Palais et cette année, même si je ne peux encore rien révéler, nous sommes en train de travailler avec une artiste afin de concevoir une sculpture digitale, pour que ce trophée prenne forme et existe vraiment.

C.V.Au moment de la 1ère édition en 2013, vous disiez envisager organiser de prochaines éditions dans des grandes villes internationales. Finalement,la Journée de la Femme Digitale reste un événement français. Est-ce une volonté de votre part de mettre en avant le rayonnement français ? 

Non. Par exemple, pour cette 4e édition, nous aurons des délégations internationales, comme la délégation suisse qui viendra avec des femmes de la télévision suisse romande, des femmes qui supportent la vision du futur et du digital dans leur pays et qui seront donc présentes lors de cette 4e Journée de la Femme Digitale.

C.V. :  Comment envisagez-vous l’avenir pour la Femme Digitale ? Avez-vous déjà des idées pour les prochaines éditions ?

Alors, la Femme Digitale, EST l’avenir ! (rires) Deuxièmement, je suis déjà en train de réfléchir à la 5e édition, même si on est à deux mois de la 4e Journée, qui est pour le coup une édition sans précédent. Ca va vraiment valoir le détour, car l’année dernière nous avions dû refuser 2000 personnes et cette année, nous nous sommes donnés les moyens d’aller dans une plus grande salle pour accueillir 3000 à 3500 personnes tout au long de la journée, plus un événement privé pour donner un maximum de chances à un maximum de personnes qui pourront voir l’événement live dans leurs écoles, des écoles de coding, et également dans les entreprises… Donc oui, je suis déjà en train de réfléchir à la 5e édition, mais je ne peux évidemment rien dire pour le moment !

Tous nos remerciements à Delphine Remy-Boutang pour cette longue conversation et sa disponibilité. Vous pouvez réserver vos billets pour la 4e Journée de la Femme Digitale en ligne en suivant ce lien.

 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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