Il y a peu d’exercice plus difficile que celui de parler d’une guerre. Alors quand cette guerre est celle de l’indépendance du Cameroun, c’est encore plus périlleux ; fondatrice de l’État, cette période est aujourd’hui encore niée par les gouvernements concernés, que ce soit la France ou le Cameroun. C’est à ce tabou que Max Lobe s’est intéressé dans son dernier roman, dont le nom Confidences semble un clin d’œil à des secrets bien gardés…
Un conflit désavoué
Afin de mieux comprendre la portée de ce livre, il nous faut revenir brièvement sur les événements survenus au Cameroun au milieu des années 50. Après la Seconde Guerre Mondiale, un vent d’indépendance souffle sur l’ensemble des colonies ; au Cameroun celui-ci est porté par l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Ce parti est interdit en 1955 après différentes manifestations violemment réprimées. La situation finit de dégénérer fin 1956 lorsqu’un conflit armé éclate, opposant les partisans de l’UPC et l’armée française qui exerçait alors une tutelle sur le Cameroun. Les combats dureront officiellement jusqu’en 1962 (l’indépendance est proclamée en 1960) mais les répressions à l’encontre des partisans de l’UPC persisteront pendant encore au moins 10 ans.
Max Lobe a donc décidé de nous parler de ce conflit au travers du personnage de Ma Maliga, qu’il rejoint dans le but d’en apprendre plus sur les événements allant de la montée de l’UPC jusqu’à la mort de Um Nyobé (dit Mpodol – le porte parole), son plus fameux dirigeant. Ce roman n’est donc pas uniquement centré sur la personne fascinante du père de l’indépendance mais bien sur une femme qui a vu l’éclosion d’une volonté d’émancipation et les répercussions qu’elle causera. A travers elle, on apprend le quotidien dans un village, les rapports humains, les désaccords tout autant que la violence, la peur et le courage.
Une mise en scène efficace
Afin de nous présenter des événements souvent tragiques et difficiles, Max Lobe use de plusieurs techniques. Tout d’abord très peu de dialogues lorsque Ma Maliga parle, uniquement lorsque elle se souvient de certains moments de la guerre. Hormis lors de ses souvenirs, elle est seule à parler, à la fois par aînesse mais aussi par respect pour son passé. Ensuite, l’écriture en elle-même : on ressent une volonté de faire transparaitre des spécificités de langage au travers notamment de certaines expressions ce qui apporte une ambiance particulière qui nous transporte immédiatement dans un environnement. Enfin le sujet abordé est non seulement compliqué mais surtout très dur ; afin d’alléger la lecture, Max Lobe choisit de faire du matango un élément récurrent du livre. Le matango c’est un vin de palme, qui va peu à peu enivrer les deux interlocuteurs.
L’histoire aide le présent
Max Lobe est né au Cameroun en 1986 et va y grandir jusqu’à ses 18 ans, âge auquel il vient en Europe pour ses études. Il vit à Genève depuis 10 ans, collaborant avec des médias locaux pour aborder des sujets aussi divers que l’accueil des migrants en Suisse, la littérature africaine… Dans Confidences, il ne fait pas qu’évoquer la guerre d’indépendance cachée puisque les paroles de Ma Maliga sont entrecoupées de courtes séquences dans lesquelles l’auteur parle de son retour au Cameroun, de son appréhension du pays. Il aborde donc l’autre question complexe du rapport à la terre, à l’identité et au sentiment d’appartenance. Si au début du livre l’auteur n’a pas de réaction particulière à son voyage au Cameroun, très vite la question « c’est quoi être Africain ? » lui est posé par un proche ; tout au long du livre on découvre la difficulté de cette question et surtout celle de sa réponse. L’auteur est poussé à explorer son ressenti au travers de ses découvertes concernant l’histoire du Cameroun.
Sans concessions et sans parti pris, Confidences est une grande épopée au cœur d’une guerre méconnue. Mais c’est aussi un chemin de réflexion pour un homme concernant son identité et son rapport à l’histoire de son pays. Max Lobe nous propose ici un beau livre, drôle et instructif.