Parmi les auteurs contemporains de fantasy, il est indéniable que R.A. Salvatore tient une place à part. Parfois décrié assez injustement par certains des gardiens du genre, il est pourtant indéniable que l’auteur a une grande influence sur les univers qu’il aime tant, allant jusqu’à avoir un impact dans le jeu-vidéo ; son personnage le plus réussi, Drizzt ayant une aura telle qu’on le retrouvera dans la série culte des Baldur’s Gate. Ainsi, découvrir une saga de Salvatore, c’est l’assurance de se frotter à l’un des styles les plus reconnaissables, mais surtout l’un de ceux qui a le mieux digéré ses références, pour ne jamais être prisonnier non seulement de l’univers, mais aussi de la forme qu’il provoque.
Premier tome d’une saga-fleuve prometteuse
Dans le monde de Corona, le démon dactyl s’est éveillé, afin de se lancer dans une quête faite de souffrance, répandant la mort comme une nuée de poudre. Ses armées, constituées de Gobelins et de géants, ravagent tout sur leur passage, et notamment le hameau Dundalis. Survivants de ce massacre impitoyable, Elbryan et son amie Pony, sont dès lors deux orphelins bientôt adoptés par des elfes. Elbryan en profitera pour recevoir une formation poussée, faisant de lui l’un des rôdeurs les plus aguerris, afin de se lancer dans une recherche de justice et de paix. Bien des kilomètres plus loin, sur les rivages d’une île au sable noir, une pluie de gemmes au pouvoir immense s’apprête à toucher terre. Dès lors, le combat pour s’emparer de celles-ci s’engage…
Ce premier volume de Demon Wars, sous-titré L’Éveil du Démon, est à lire comme une porte d’entrée sur une saga-fleuve. Rien d’étonnant, dès lors, que R.A. Salvatore s’attache à ce point à décrire les personnages en profondeur, au risque parfois de perdre un peu le fil du récit. La première moitié du roman, après une ouverture grandiose qu’il vous faut découvrir absolument, s’étire un peu, a le courage de se mettre en danger mais ne peut éviter un aspect un peu « en pointillé ». On est pourtant en présence d’archétypes du genre, du rôdeur aux elfes, en passant par les gobelins, tout y est mais jamais trop comme on peut s’y attendre, assez éloigné du côté lumineux qui domine l’œuvre de l’auteur, notamment dans sa saga des Royaumes Oubliés. Mais l’intrigue a du mal à se mettre en place dans un premier temps, avec des passages descriptifs un peu trop fournis.
L’Éveil du Démon peut sembler un peu incertain dans son rythme, les chapitres notamment ont du mal, surtout dans la première moitié, à s’enchaîner. Mais le lecteur aurait tort d’abandonner à ce niveau de lecture, tant ce qui vient après enchaîne les passages intéressants, dont l’intérêt premier est de décrire un univers que l’on sent continuellement en grand danger. Il faut bien dire que le style de R.A. Salvatore connaît ici une modification : bien moins porté sur l’action, les combats, que sur les descriptions. Les dialogues aussi, ont fait l’objet d’une attention plus particulière que dans le reste de son œuvre : ils participent fort bien à la caractérisation des personnages, notamment le duo principal, mais aussi les autres, comme Bradwarden.
Un roman qui sait prendre des risques
Après une ouverture dantesque, puis une première partie un peu longuette, une seconde partie plus fluide, il fallait bien conclure ce premier tome de Demon Wars en donnant envie au lecteur de continuer l’aventure. C’est chose faite avec un combat aussi colossal qu’attendu, qui tient toute ses promesses en terme d’envergure. Concernant le grand méchant de l’histoire, on est dans du classique assumé, R.A. Salvatore ayant visiblement besoin d’une figure manichéenne dans sa vision d’ensemble. Si nous imaginons bien où l’auteur veut aller, le lecteur pourra penser, à hauteur de ce roman, qu’il est un brin caricatural. Certes, il peut l’être, mais l’intérêt de l’histoire, de l’ensemble Demon Wars, passe avant toutes ces considérations. D’ailleurs, la fureur est telle, lors de ce final bien épique, que personne ne pourra vraiment se lancer dans ce genre de remarques.
Au final, ce premier volume de Demon Wars est une œuvre qui prend des risques, notamment dans sa première partie sans doute trop éclatée, trop descriptive, qui manque de fluidité. Mais les qualités du roman, notamment tout ce qui a un rapport avec les éléments magiques, très fun à imaginer et qui devraient être étudiés par certains développeurs de RPG, font que l’ensemble est satisfaisant. Mieux, il donne envie de continuer la saga, et vu qu’elle comporte pas moins de sept tomes, tous aussi imposants en nombre de pages, c’était d’une importance capitale. Mission réussie, R.A. Salvatore…
Demon Wars Tome 1 : L’Eveil du Démon, un roman de R.A. Salvatore. Aux éditions Milady, 838pages, 12.90€. Sortie le 22 Janvier 2016.