[Critique] M Train – Patti Smith

image couverture patti smith m train gallimardSix ans après le très beau Just Kids, récit de sa rencontre et de sa relation amoureuse avec le photographe Robert Mapplethorpe, collaborateur et mentor qui restera un confident privilégié jusqu’à sa mort en 1989, Patti Smith est de retour avec un second récit autobiographique, M Train, édité chez Gallimard, ballade méditative et fragmentaire, baignée de mélancolie, dans lequel l’artiste nous embarque métaphoriquement à bord d’une rame de métro sans destination, dont les différentes stations représenteraient des souvenirs qui lui sont chers ou qui remontent à la surface de sa mémoire au fil de l’eau.

Voyage fragmentaire dans la mémoire de l’icône 70’s

A New York, le M Train est une ligne de métro formant une demi-boucle, mais qui ne revient jamais au même point de départ. Le titre était donc tout trouvé pour l’icône du rock et poétesse, New-Yorkaise d’adoption, qui décida d’entreprendre l’écriture de ce livre suite à un rêve où un cow-boy lui confiait qu’il n’était « pas si facile d’écrire sur rien ». Voulant démontrer le contraire à ce visiteur nocturne, elle commença à griffonner quelques pensées sur le coin de sa table au Café Inno et, peu à peu, ces lignes de carnet noircies prirent la forme d’un livre, beau, touchant et atypique, à l’image de cette sexagénaire refusant toujours de se considérer comme une musicienne malgré l’influence qu’elle exerce encore aujourd’hui encore sur le rock, capable de regarder toute une journée les séries télé policières dont elle raffole (« Les enquêteurs d’aujourd’hui sont les poètes d’hier », écrit-elle) ou de s’inscrire à un mystérieux cercle de météorologues, le Continental Drift Club, soit le « club de la dérive des continents », où chaque membre se voit désigné par un numéro.

Naviguant entre les souvenirs que lui évoquent les cafés qu’elle a fréquentés, mais également ses objets fétiches, son mari Sam « Sonic » Smith tragiquement disparu en 1994 ou encore ses auteurs préférés, pour lesquels elle part régulièrement en pèlerinage, Patti Smith ne cherche à aucun moment à séparer passé et présent, qui sont irrémédiablement enchevêtrés. Le va et vient est constant, une pensée anodine pouvant facilement la ramener à un souvenir. Son écriture, simple et épurée, parfois poétique, rend compte de ce mouvement constant de la pensée, de la manière dont elle procède. Quoi de plus normal, après tout, de la part d’une fervente admiratrice de Virginia Woolf, qui alla jusqu’à ramasser une pierre et des cailloux dans la rivière où l’écrivaine anglaise se suicida en 1941 ?

Cependant, autant le dire, il est fortement conseillé de réviser la biographie de l’artiste avant d’entamer la lecture de ce M Train, ne serait-ce que pour avoir une idée de la chronologie des principaux événements de sa vie. En effet, puisque le livre n’est pas une autobiographie au sens conventionnel du terme, l’auteure précise rarement quelles dates, quelles années, ont eu lieu les événements de son histoire personnelle qu’elle évoque. Il est ainsi utile de savoir qu’elle rencontra son mari, le musicien Fred Smith, à la fin des années 70 (ils se marièrent en 1980) et qu’il mourut d’une crise cardiaque en 1994. A contrario, Just Kids racontait sa rencontre avec Robert Mapplethorpe à la fin des années 60 et s’achevait au moment où elle s’apprêtait à débuter sa carrière musicale.

Deuils et pérégrinations littéraires

image portrait calendrier pirelli patti smith 2015De musique, il ne sera d’ailleurs jamais vraiment question ici, bien que l’artiste écrive à un moment avoir été invitée à chanter quelques morceaux à l’occasion d’un événement. En revanche, celle qui arriva au rock par le biais de la poésie, lectrice aussi curieuse que sentimentale, parle constamment de littérature et de ses auteurs et livres de chevets, comme autant de petits cailloux lui permettant de retrouver son chemin. De cailloux, il sera d’ailleurs question lorsqu’elle évoque son amour inconditionnel pour l’oeuvre de Jean Genet, qui la poussa à se rendre en Guyane française, sur les traces du terrible bagne Saint-Laurent, qui fascinait tant l’auteur des Bonnes et où il ne put jamais se rendre, lui qui fut emprisonné quatre ans à Fresnes durant sa jeunesse. Elle souhaitait alors ramasser de la terre et quelques cailloux sur les terres de la colonie pénitentiaire, désormais fermée et les donner à Jean Genet par le biais de leur ami commun, l’auteur beat William S. Burroughs. Malheureusement, Genet décéda en 1986, avant qu’elle n’ait eu le temps de les lui donner. maison de la peintre mexicaine Frida Kahlo.

M Train est ainsi, de manière particulièrement touchante, un livre marqué par la perte, le manque. Qu’il s’agisse de l’occasion manquée de remettre un cadeau symbolique à un auteur adoré, de la disparition de son mari, dont elle ne s’est jamais vraiment habituée à l’absence, ou bien de la perte d’objets aimés, comme son manteau noir fétiche, une pièce trouée qu’elle considérait comme une seconde peau, Patti Smith évoque sans cesse ces grandes douleurs et ces petits deuils qui ont émaillé sa vie, et qui resurgissent régulièrement. Ce récit très personnel n’est pas sombre pour autant et il émane de ses mots beaucoup de douceur et de lucidité, tandis que de nombreuses anecdotes et réflexions sont assez drôles. Si l’on pourra s’étonner de prime abord de voir la place considérable que prend, par exemple, le récit de la perte de certains objets ou bien la fermeture de ses cafés préférés, Patti Smith parvient à faire passer toute l’importance de ces points de repères dans son quotidien et la tendresse qu’elle manifeste à sa cafetière, par exemple, cette manière de voir les objets comme des choses « animées » par la relation que nous établissons avec elle, se révèle touchante. Menant désormais une vie tranquille et solitaire, sans planning ou contraintes véritables, l’icône des 70’s se consacre pleinement à la lecture, l’écriture, la photographie et la méditation et le livre est aussi à l’image de ce qui est aujourd’hui sa vie.

Récit autobiographique singulier et touchant, se faisant le reflet aussi bien de son quotidien que de sa mémoire et son monde intérieur, M Train est un livre essentiel pour tout admirateur de Patti Smith qui se respecte, mais également une lecture à conseiller à ceux qui chérissent leurs livres et auteurs fétiches comme autant de pierres angulaires leur permettant de se repérer dans cet étrange labyrinthe qu’est la vie. Si une connaissance minimum de la vie et l’oeuvre de Patti Smith est nécessaire à la bonne compréhension de cet ouvrage, celui-ci pourra également être l’occasion de mieux appréhender cette figure indétrônable des années 70, par un autre prisme que celui de la musique. A lire à la suite ou bien indépendamment de Just Kids, M Train est une lecture étonnante, tour à tour poignante, mélancolique et légère, sur la perte, l’absence, les souvenirs, la littérature, le quotidien et le mouvement perpétuel de la vie par une auteure qui reste une grande curieuse devant l’éternel. On embarque avec elle dans le train d’une pensée en mouvement, le temps d’une méditation humble et sincère sur quelques uns des piliers de sa mémoire.

M Train de Patti Smith, Gallimard, collection Hors série Littérature, sortie le 1er avril 2016, 261 pages. 19,50€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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