[Critique] Galilée – Clive Barker

image clive barker galiléeLe soap opera à la moulinette Barker

Nous l’avions vu avec Secret Show, Clive Barker a sans aucun doute été trop rapidement catalogué comme un « écrivain gore ». S’il est indéniable que l’auteur des géniaux Livres de Sang a un véritable don pour la description plus que malsaine, son style a souvent été mis de côté par la critique au profit des images infiniment choquantes que son imaginaire glauque fait naître, et subsister, dans le nôtre. Galilée est justement de ces romans qui troublent très largement les certitudes autour de Barker : beaucoup moins porté sur l’horreur pure que sur l’onirisme, voilà un roman qui nous a très agréablement étonné tout du long.

Galilée s’intéresse à deux familles séculaires et puissantes des États-Unis : les Barbarossa et les Geary, lesquelles sont en rivalité depuis la guerre de Sécession. Tout oppose ces cellules pour le moins explosives, qui couvent de lourds secrets… et de bien étranges appartenances. Mais les événements vont prendre un virage inattendu quand Galilée Barbarossa, fils tourmenté du très obsédé (et décédé) Nicodème, va s’éprendre de Rachel, une nouvelle venue dans la lignée Geary par le biais d’un mariage pas spécialement heureux. Débute alors un amour impossible et, alors que les deux amants se retrouvent sous le feu de l’adversité maladive de leur deux familles, ils découvriront d’inavouables secrets. La haine ancestrale qui lie ces deux lignées n’est pourtant pas de taille pour faire taire les sentiments de Rachel et Galilée, ce qui provoquera une guerre des clans sans merci…

Galilée a cela de surprenant que le roman se lit comme une sorte de soap opera revu et corrigé par un esprit très porté sur la cruauté, voire le sadisme. Ici, point de monstres SM, mais deux familles qui, soyez-en sûrs, n’ont finalement pas grand chose à jalouser aux fameux cénobites en terme de barbarie fondamentale. Même si nous restons éloignés, tout du long, des effusions de sang et des lacérations de la chair, Galilée cultive une ambiance onirique fascinante, au sein de laquelle le lecteur sera plongé sans trop de ménagement. Car si le rythme prend le temps de ne pas passer outre certains éléments quasi-lyriques, Clive Barker enchaîne les descriptions extraordinaires avec un tempo que peu d’auteurs contemporains peuvent se permettre. Les Barbarossa, ceux qui se dévoileront demi-dieux (ce n’est pas un spoil), permettent à l’écrivain de donner dans les envolées stylistiques, et ce pour notre plus grand plaisir. On est particulièrement touché par Cesaria, la mère du clan, dont certaines actions forment parmi les passages les plus agréables de Galilée.

Un roman poétique et finement fantastique

L’ambiance de ce Galilée vaut à elle seule la peine de s’y plonger. Mais le récit pur et dur n’est pas en reste, tant ce bien sombre mélodrame provoque un dépaysement certain. Le point de vue est celui de Maddox, demi-frère de Galilée, un choix narratif audacieux car il provoque une lecture proche des événements tout en cherchant à les analyser plus froidement sur certaines pages, au sein de parenthèses introspectives cohérentes. Le roman est clairement divisé en neuf parties, lesquelles sont découpées en chapitres. Il faut donc s’attendre à un univers dense, et pas qu’un peu (rassurez-vous, les arbres généalogiques sont de la partie histoire de ne pas se perdre dans les différentes générations), au sein duquel les personnages névrosés se succèdent. Chez les Barbarossa, tous sont réunis au sein de « L’enfant », demeure familiale aussi glauque que magique, et cette bâtisse sera l’épicentre du roman, jusqu’à contenir des réponses à nos questions. On ne peut évidemment aller trop loin sous peine de spoils, mais l’aspect romance va peu à peu prendre une tournure bien dramatique, donnant à Galilée des airs de fresque qui passe par différentes saveurs. On ne s’ennuie pas.

Galilée est définitivement un roman étrange, recherchant des sensations que l’on n’attendaient pas chez Clive Barker. Romance épique au contexte fantastique fin, le récit se termine dans un tourbillon de sentiments qui ne peuvent laisser indifférent. L’équilibre que l’auteur trouve, dans ce dernier quart, provoque parmi les meilleurs lignes que l’on a pu lire de lui : le contexte explose, les perfides Geary finissent de dévoiler leur odieux visage, et les questions laissées en suspens en fin de lecture nous poussent à prolonger la persistance de cet univers bourré de charme. Galilée connaît certes quelques petites baisses de régime, qui font que l’ouvrage n’est peut-être pas idéal pour une découverte de cet écrivain  hors du commun, notamment lors du passage du baptême sur les rives de la mer Caspienne. Mais son ambiance mythologique poussée, ses rebondissements cruels, et le style poétique limpide de l’auteur font de cet ouvrage un incontournable pour qui voudrait lire un Clive Barker délesté de l’emprise gore.

Galilée, un roman de Clive Barker. Aux éditions Bragelonne, 669 ages, 25 euros. Parution le 29 juin 2016.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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