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[Critique] Sunlight – Christophe Bec et Bernard Khattou

image sunlightAu fond du trou, personne ne nous entend crier…

On continue notre exploration de la superbe collection Flesh & Bones de chez Glénat. Grands amateurs de cinéma de genre, nous ne pouvions qu’être intéressés par cette offre clairement marquée par cette culture si particulière, parmi les plus codifiées entre toutes. Pourtant, dans le cas précis de Sunlight, on ne savait pas trop sur quel pied danser, la sublime couverture ne donnant qu’un seul indice : nous plongeons dans un sombre récit en huis-clos…

Sunlight, c’est l’histoire de trois amis passionnés par la spéléo : Caro, Eva et Kevin. Après avoir reçu un bon plan d’un malotru qui voulait profiter de l’occasion pour coucher avec l’une des deux filles, le trio se met en route pour l’exploration d’une mine abandonnée, très isolée, qui renfermerait un véritable labyrinthe de galeries inondées. Mais l’endroit est bien plus dangereux qu’ils ne pouvaient s’y attendre, et dès leurs premiers pas sur les lieux nos trois amis font une chute vertigineuse à travers un puits de mine mal scellé. S’en tirant miraculeusement sans aucune blessure grave, le trio se retrouve enfermé dans un gouffre à ciel ouvert et n’a qu’une chose à faire : attendre de bien hypothétiques secours. Seulement, dans l’obscurité, la faim et le froid ambiant, le groupe perd peu à peu ses repères…

On ne s’attendait pas à une telle impression en sortant de la lecture de Sunlight. Alors que les précédentes BD de cette collection que nous avons traitées n’hésitaient pas à cultiver un ton délicieusement léger, très « bissard », l’œuvre ici abordée a clairement quelque chose à dire. Difficile d’en causer dans les détails, étant donné que le récit fait la part belle à un (très réussi) double twist final, mais écrivons que le destin de ce trio est ancré dans un symbolisme pas dingue, mais assez renversant pour laisser un sentiment se prolongeant au-delà de la lecture. Le personnage principal, Eva, offre la possibilité d’aborder un sujet grave mais finement géré derrière des atours de prime abord peu développés. Victime d’une agression sexuelle aux répercussions dépassant le soutenable, la jeune femme imprime au récit de Sunlight une sorte de mélancolie surprenante dans une telle histoire, et le résultat qualitatif dépasse les attentes.

La petite lumière au bout du tunnel

Car Sunlight reste aussi une bande dessinée très typée « de genre ». Le pur récit de huis-clos à tendance survivaliste (ah, Kevin et ses combines) mute vers un crescendo ne faisant pas vraiment évoluer l’histoire vers l’horreur, mais plutôt le malsain. En additionnant bien des éléments pour construire une atmosphère pour le moins sinistre, l’histoire nous prend un peu à revers, ce qui n’est pas pour déplaire. Le point culminant étant atteint avec une blessure qui provoque une douleur carrément communicative, sorte de cerise funèbre sur un gâteau lugubre. On l’écrivait plus haut, ce scénario en forme d’épreuve survivaliste trouve un écho fondamental avec le personnage d’Eva, qu’il nous est absolument impossible de vous décrire véritablement, sous peine de vilains spoilers. Sachez simplement que ce double twist est à la fois crédible et d’une belle justesse symbolique. Rien de très révolutionnaire mais cela fonctionne avec panache. Est-ce la lumière du jour ou… autre chose que nous voyons ? Le titre Sunlight trouve évidemment là un sens particulier, que nous vous laisserons découvrir.

image extrait sunlightÀ la barre de Sunlight, on retrouve un duo qui nous avait déjà régalé dans cette collection Flesh & Bones avec le bien gore Bikini Atoll : Christophe Bec et Bernard Khattou. Comme nous l’avons vu, l’œuvre ici abordée est bien différente du slasher « atomique » sexy et saignant, mais il est indéniable que l’impression générale laissée par le travail de ces deux hommes est du même acabit : on en raffole. Christophe Bec sait exactement comment gérer le rythme de son scénario, et l’auteur sait parfaitement parler aux amateurs de genre grâce à une exemplaire maîtrise des codes. Cette case du chat renversant le café sur une lettre qui aurait du être salvatrice en est un bon exemple : sur le coup on rouspète, puis au fil des pages, les regrets du lecteur font surface, le genre de ficelles toujours aussi payantes. Bernard Khattou apporte encore une fois cette patte si particulière, n’hésitant pas à appuyer les expressions pour bien faire passer les impressions. Sunlight est habité par des illustrations à la saveur pulp maîtrisée qui ravira sans aucun doute les amateurs du genre, d’autant qu’elles profitent totalement du noir et blanc imposé par le principe de la collection Flesh & Bones.

Au final, Sunlight est d’une saveur étonnante pour cette collection Flesh & Bones. Si l’on a toujours des éléments qui rappellent le ton fun, violent et sexy des autres ouvrages, le crescendo nihiliste nous surprend agréablement. On referme cette bande dessinée avec une impression amère, une certaine colère contre le destin d’Eva notamment, qui nous fait écrire que Sunlight est une œuvre atypique. Et que l’on conseille fortement pour un bon petit trip survivaliste au fondamental chargé. Encore une belle réussite pour Flesh & Bones, donc, et la confirmation que nous nous trouvons là face à l’une des meilleures collections BD de ces dernières années.

Sunlight, scénarisé par Christophe Bec, illustré par Bernard Khattou. Aux éditions Glénat Comics, collection Flesh & Bones, 168 pages, 15.50 euros. Paru le 29 octobre 2014.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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