Diplômé d’HEC, ancien économiste ayant travaillé, parmi de nombreux projets, sur un programme d’urgence de l’UNICEF au Laos ou encore ex-rédacteur pour le journal Le Monde, Remi Huppert est également un écrivain accompli, auteur de six romans et cinq essais. Son oeuvre de fiction étant habitée par les thèmes de l’identité et de l’exil (L’Ombre de Laure, Le cygne de Saïgon), on ne sera guère étonnés de le voir se pencher sur l’histoire d’une femme chinoise ayant grandi en pleine révolution culturelle, à la recherche de son père et d’une forme de réconciliation avec son passé.
Révolution culturelle et quête des origines
Au palais du ciel, publié en juin dernier aux Éditions Michel de Maule, suit donc le parcours de Xiuli, de son enfance entre une mère se tuant à la tâche et deux soeurs jalouses et médisantes, à sa rencontre avec David, Juif expatrié lui aussi en quête de réponses, en passant par un premier mariage avec un musicien réservé qui se révèlera infidèle. En fil rouge, l’évolution de la Chine depuis Mao et le regard occidental à l’égard de l’histoire du pays, teinté d’hypocrisie, de suffisance et de moralisme bien-pensant. Mais aussi et surtout, donc, le rapport aux origines, et à l’identité, la honte d’être née d’une union illégitime (et monnayée) avec un haut gradé, le désir de retrouver le père enfui pour recoller les morceaux d’une enfance placée sous le signe de l’attente…
Le récit est lent, introspectif, réservé en apparence mais affûté dans le propos, écrit dans un style précis faisant la part belle aux images poétiques, d’un lyrisme étonnant. Comme le relevait très justement Nathalie Gendreau de Prestaplume, on en oublierait presque que l’auteur n’est pas Chinois tant son rythme, sa culture, sa plume même, évoquent la littérature de ce pays. Ce à quoi l’on rajoutera qu’on oublie également qu’il n’est pas une femme. Xiuli apparaît ainsi comme une héroïne tout à fait crédible, docile de prime abord, mais habitée d’un désir de vivre et d’une volonté sans failles, révoltée lorsqu’il le faut. Si le temps est particulièrement mouvant dans Au palais du ciel, refusant toute datation précise alors même que nous suivons la narratrice sur plusieurs décennies, cette imprécision est utilisée avec à propos pour mettre en perspective l’évolution de Xiuli et souligner de manière poétique la cohabitation permanente du passé et du présent. Lors de la dernière partie du roman, son histoire avec David leur permettra à tous deux de confronter leurs traumatismes d’enfance et d’aller de l’avant.
Au palais du ciel est donc une belle surprise, un roman dans lequel on rentre petit bout par petit bout, jusqu’à être tout à fait conquis. A la manière d’un peintre impressionniste, Remi Huppert esquisse le portrait de son héroïne par touches successives et, à travers elle, nous parle d’une Chine qu’on pense connaître sans la comprendre, qu’on regarde de haut sans maîtriser le sujet… Rythmé par des extraits de poèmes tirés de L’anthologie de la poésie chinoise classique, ce livre tout à la fois sensible, pudique et lyrique est aussi un récit des origines, de l’exil et de la quête d’identité, où « petite » et « grande » Histoire sont intimement liées. Une réussite.
Au palais du ciel de Remi Huppert, Éditions Michel de Maule, sortie le 2 juin 2016, 259 pages. 20€