Des Amérindiens, des Allemands et une guerre
David Treuer a fait ses preuves à travers des romans tels que Indian Roads ou Comme un frère. Son dernier roman porte un titre, Et la vie nous emportera, qui pourrait évoquer un vieux film historique et romantique ; pour mieux nous surprendre dans son contenu ?
L’histoire d’Et la vie nous emportera se déroule en août 1942 : Frankie, fils unique d’un couple de notables de Chicago, revient pour un dernier séjour dans le domaine familial du Minnesota avant de partir combattre en Europe. Il retrouve ses parents, ses amis mais également Félix, vieil amérindien en charge du domaine et Billy, beau métis de l’âge de Frankie. Ces deux-là se connaissent depuis leur plus tendre enfance et partagent plus que des souvenirs. A peine arrivé, Frankie part en battue avec deux amis, Félix et Billy afin de retrouver un prisonnier allemand qui s’est échappé du camp qui jouxte le domaine. Beaucoup de choses vont alors se dérouler, et le moins que l’on puisse écrire est qu’aucune d’entre elles n’était désirée ou même imaginée…
Dès les premiers chapitres, David Treuer aborde plusieurs thématiques qui traverseront le roman. Si celle de la guerre parait évidente étant donné la période à laquelle se déroule l’action, d’autres sont plus inhabituelles dans le contexte de cette période, comme les relations entre Américains et Amérindiens, ou encore l’homosexualité… David Treuer réussit donc à mêler tous ces concepts autour de ses personnages principaux que sont Frankie, Billy et Prudence. Néanmoins un bémol est à faire à ce sujet : la plupart de ces thématiques ne sont pas approfondies. On peut par exemple regretter que l’homosexualité (qui plus est dans un couple métis) ne soit que survolée, notamment par des scènes de découvertes sexuelles adolescentes, et que rien de particulier ne soit apporté au récit par cet état de fait (hormis éventuellement dans les 30 dernières pages). A contrario, les pilotes et les bombardiers américains font l’objet de descriptions longues et minutieuses, fruit de recherches approfondies de l’auteur sur le sujet. Enfin l’autre sujet fondamental sur les conditions de vie des Amérindiens est traité d’un point de vue plutôt neutre et absolument pas politisé, ce qui met en avant l’intrigue pure. Tant mieux, car elle est d’une puissance surprenante…
Une écriture inspirée
David Treuer est fils d’un Juif autrichien et d’une Amérindienne Ojibwé. Il a lui-même grandi dans une réserve au nord du Minnesota et cela explique, justifie même, le choix d’une écriture à la première personne du singulier alors qu’il se place en narrateur omniscient. Et la vie nous emportera débute doucement, avec beaucoup de descriptions, de présentations des personnages (plus ou moins importants), afin de poser une atmosphère qui, pourtant estivale, paraît rude et sauvage. Il faut attendre un peu avant que l’action ne se mette en route, tandis que la deuxième partie, beaucoup plus rythmée et captivante, trouve un rythme de croisière qui pousse à ne pas lâcher jusqu’au final, réussi.
Et la vie nous emportera est un roman agréable à lire, dépaysant de par l’environnement de son action, et qui illustre bien l’effet papillon (mais chut, pas de spoilers ici !). Il est à noter que le titre est trompeur et qu’on est loin de l’histoire romantique et simpliste à laquelle on peut s’attendre ; Prudence, qui est le titre original, est bien plus parlant. Au final, voilà un roman qui arrive à tirer son épingle du jeu au sein de cette rentrée littéraire chargée.
Et la vie nous emportera, un roman écrit par David Treuer. Aux éditions Albin Michel, 336 pages, 22 euros. Sortie le 17 août 2016.