Les mémoires de First Lady de la candidate démocrate
Le 8 novembre, les États-Unis auront un nouveau président… qui pourrait bien être elle, Hillary Rodham Clinton, ancienne First Lady et secrétaire d’État sous la présidence de Barack Obama. Si les débats avec Donald Trump s’annoncent houleux et que le scandale des emails pourrait lui faire du tort, il s’agit d’un moment charnière en Amérique puisque, pour la toute première fois de l’Histoire du pays, une femme pourrait se retrouver à la Maison Blanche. Situation d’autant plus inédite qu’elle connaît bien les lieux et a toujours participé activement à la politique de son mari, Bill Clinton.
Cependant, au-delà de son seul sexe, qui ne saurait être un argument de vote, reste à savoir si Madame Clinton a l’étoffe d’un chef d’État, et quelles sont ses idées, elle que l’on a souvent épinglée pour ses changements de coiffure ou ses formules parfois maladroites. Lire ses mémoires parues en 2003, alors qu’elle était sénateur de l’État de New-York, et rééditées cette année en format poche chez J’ai Lu, est en ce sens éclairant, puisqu’elles permettent de mieux comprendre son parcours, et de prendre la mesure de son expérience, que ce soit dans le droit ou sur de nombreux dossiers dont elle s’est chargée, comme celui, polémique aux États-Unis, de l’Assurance Santé, qui fut rejeté sous la présidence de son mari, avant d’être repris, puis de nouveau abandonné par Obama suite à une levée de boucliers. Elle y revient en détails sur ses fondations politiques, sa rencontre avec Bill, ses années à la Maison Blanche et les différents scandales et polémiques ayant émaillés ces 8 années, du dossier Whitewater au « Monicagate ».
Les fondations politiques d’une personnalité complexe
Si Mon Histoire, épais volume de 600 pages publié dans une typographie de petite taille, est par moments un peu rébarbatif, notamment lorsqu’elle décrit par le menu certains voyages à l’étranger, où l’on a par moments l’impression qu’Hillary Clinton se répète, au point que le lecteur se demande à une ou deux reprises s’il n’a pas déjà lu tel passage, certaines parties sont véritablement intéressantes, notamment le premier quart du livre, où elle revient longuement sur sa jeunesse et sa formation politique. Fait intéressant, et sans doute assez oublié : Hillary Rodham, qui a grandi entre une mère démocrate et un père républicain, a d’abord adopté les positions de son père et soutenu le parti républicain, au sein duquel elle s’engage activement jusqu’à sa troisième année de licence, où elle rejoint finalement le camp adverse. Ceci explique sans doute qu’elle est, en 2002-2003, l’une des plus ardentes partisanes de la guerre en Irak, contre son parti, qui est en opposition avec l’administration Bush sur ce point. Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, à la parution de la suite de ses mémoires, Le temps des décisions (Fayard, 2014), qu’elle reconnaîtra avoir eu tort. Ce qui ne l’empêchera pas de défendre de nouveau, par la suite, une politique étrangère qui divise profondément les démocrates et constitue aujourd’hui un angle d’attaque pour Donald Trump : Hillary Clinton est en effet considérée par beaucoup comme une va-t-en-guerre, susceptible de se lancer dans un conflit avec l’Iran.
Evidemment, ces prises de position, bien plus récentes, ne figurent pas dans Mon Histoire, qui s’achève en 2000, lorsqu’elle est élue sénateur de New-York et que son mari a achevé son 2e mandat. Mais la présentation qu’elle donne de son parcours et sa personnalité complexes permettent indubitablement de mieux appréhender le personnage, y compris dans les passages langues de bois, assénés sur le ton d’une naïveté toute américaine. Bien sûr, il faudrait être bien ingénu pour penser qu’une personnalité politique de ce niveau, aussi médiatisée qu’elle, se livrerait véritablement sans fards ni discours formaté. Après tout, le storytelling fait partie intégrante de la communication politique, et, en 2003 comme par la suite, Hillary Clinton était en campagne et pensait bien sûr à l’étape suivante de sa carrière. Il ne s’agit pas des mémoires d’une vieille dame à la retraite revenant sur ses années de gloire, mais de l’autobiographie se voulant édifiante d’une femme de pouvoir amorçant la seconde partie de sa carrière après avoir soutenu son président de mari, ancien gouverneur de l’Arkansas, durant des années. Bien qu’elle n’ait jamais été dans l’ombre de celui-ci, autant par l’attention qu’elle a toujours attirée que par son rôle actif dans l’exercice de sa fonction, la parution de Mon Histoire marque un moment charnière dans la vie de Hillary Rodham Clinton, où, en embrassant pleinement une carrière politique, elle rentre définitivement dans la lumière, pour ainsi dire.
Retour sur les polémiques et sa lutte pour les droits des femmes
Il faut donc lire ce premier livre en ayant bien cela à l’esprit. Parmi les 600 pages (sans compter une cinquantaine de pages d’annexes et remerciements !) de Mon Histoire, on trouve donc des passages que l’on pourrait qualifier de sincères, bien qu’ils respectent une certaine narration présentée de manière consciencieuse, d’autres anecdotiques, des ellipses sur les passages les plus délicats (Gennifer Flowers, l’histoire du cigare dans l’affaire Lewinsky…) et enfin quelques démonstrations de langue de bois, voire de mauvaise foi. Parmi les points les plus positifs, notons qu’elle sait se défendre des diverses accusations qui ont été portées contre elle et son mari lors de ces 8 années. Ainsi, elle donne au sujet de l’affaire immobilière Whitewater, notamment, des explications semblant tout à fait plausibles et démontre comment une figure telle que l’avocat Kenneth Starr, a orchestré un acharnement judiciaire et médiatique qui n’avait rien donné, malgré des années d’enquête, jusqu’à ce qu’éclate le scandale Monica Lewinsky. Ces dizaines de pages sur les coups bas entre démocrates et républicains, ainsi que les us et coutumes de la politique spectacle, ou encore ses relations difficiles avec la presse, sont sans doute les plus captivantes du livre.
Il y a ensuite l’attachement d’Hillary Clinton à défendre les droits des femmes et des enfants, bien documenté, et qui occupe une place considérable dans ces mémoires. Si cela nous la rend éminemment sympathique et que l’on ne saurait nier la sincérité de son engagement, elle en fait parfois un peu trop de ce côté-là en se passant un peu beaucoup de « pommade », quitte à se présenter comme une libératrice des femmes opprimées de par le monde, en faisant valoir au passage des arguments parfois étonnants, qui produisent l’effet inverse. L’exemple le plus édifiant, en ce sens, est son apologie ouverte du microcrédit pour « libérer de leur cage » des femmes indiennes ou népalaises.
Une vision « angélique » du microcrédit qui pose problème
Elle explique ainsi que lors de certains de ses voyages dans ces pays, où elle allait à la rencontre des femmes, elle rencontrait également des sociétés américaines travaillant sur le terrain et proposant des microcrédits à ces femmes pour leur venir en aide, chose qu’elle soutenait encore fermement au moment de l’écriture de son livre. Le problème, c’est que même si, en effet, le microcrédit est utilisé depuis longtemps dans les pays en voie de développement et a été à l’origine de certaines entreprises couronnées de succès, rétrospectivement, le développement de cette offre s’est mué, au fil des années, en marché juteux attirant des personnes peu recommandables qui ont profité de la détresse des populations défavorisées. Parmi elles, des organismes qui se présentaient au départ comme des ONG, et qui ont fini par être cotées en Bourse. A tel point que, en 2011, plus de 9 millions d’Indiens avaient des microcrédits en cours, contre seulement 250 000 en 2006. La plupart, surendettés, faisaient face à des traites hebdomadaires, voire quotidiennes, comme le détaille cet article de Libération. Parmi ceux se trouvant incapables de rembourser, nombreux sont ceux qui ont fini par se suicider, d’autant plus que les taux d’intérêts sont ahurissants (37% en moyenne au niveau mondial).
Or, Madame Clinton utilise dans Mon Histoire, à deux reprises, une imagerie assez honteuse pour prôner le développement du microcrédit dans ces régions du monde, en prétendant, à chaque fois, donner la parole à ces femmes. Premier exemple, au Népal : une femme confie que prendre un crédit est un acte de défiance des femmes vis-à-vis des imams, qui leur disent que les banquiers se repaîtront du sang de leurs enfants. Exemple malhonnête par sa tournure puisque, bien sûr, l’oppression religieuse dont les femmes sont victimes dans de nombreux pays défavorisés est une chose réellement révoltante… Ce qui n’empêche pas que, sur le fond, cette prédiction s’est avérée assez juste puisque de nombreuses personnes, dont les parents surendettés se suicident, se retrouvent à devoir rembourser leurs dettes à leur tour, en contractant souvent pour cela de nouveaux crédits. Chercher à faire croire que la liberté passe par le crédit (vendu par des sociétés américaines, dans certains cas !) est ainsi un raisonnement ultra-libéral ahurissant, qui provoque rétrospectivement la nausée. Outre l’hécatombe des microcrédits dans les pays en développement, le désastre des subprimes est, depuis, aussi passé par là. Malaise.
Autre exemple qui ne pardonne pas, à la lueur de ce que nous savons aujourd’hui : « l’indignation » d’Hillary Clinton face aux propos de la First Lady Palestinienne qui, au cours d’un discours à la fin des années 90, dénonce l’utilisation de gaz toxiques sur les Palestiniens par Israël. Ce que l’Américaine considère comme un mensonge abominable. Sauf que… Israël finit par reconnaître, en 2009, avoir bien utilisé du phosphore blanc à Gaza de 2008 à 2009, un fumigène qui a la particularité de provoquer des brûlures pouvant être graves et qui a régulièrement été utilisé comme arme chimique dans les conflits armés. Bien sûr, rien n’a été avéré pour le conflit israëlo-palestinien à la fin des années 90, mais, Israël ayant déjà utilisé cette arme en 1982 à Beyrouth, on peut légitimement s’interroger sur les déclarations catégoriques de Clinton à ce sujet.
Entre sincérité et habile storytelling
Enfin, si l’on découvrira un certain nombre d’anecdotes assez plaisantes autour de Jackie Kennedy, dont elle fut proche, ou encore de Jacques Chirac, Mon Histoire consacre aussi des passages à des points bien plus anecdotiques, comme le chat et le chien de la famille, qui devinrent des coqueluches pour les petits américains. Quant aux passages attendus revenant sur les affaires Flowers et Lewinsky, s’ils ne plongent pas, de manière fort compréhensible, dans les moindres détails voyeuristes soulevés par les médias, ils révèlent l’incroyable fidélité d’Hillary Clinton à l’égard de son mari, et la solidité de leur couple face à l’adversité. Confrontée à une situation injuste, Hillary, qui ne voulut abandonner son nom de jeune fille, Rodham, se montre assez admirable et ses réactions, entre pudeur et sang-froid, inspirent le respect.
Le lecteur qui s’aventure à lire Mon Histoire d’Hillary Rodham Clinton en 2016 est donc confronté à des réactions contrastées, et parfois contradictoires. D’un côté, on ressent un respect indéniable face au parcours « atypique » de cette femme, qui ne fut jamais une simple potiche durant le double mandat de son mari, et dont la ténacité ne saurait être niée par ses détracteurs les plus virulents. D’un autre, il est difficile de ne pas voir le storytelling, parfois peu subtil, employé par celle qui était alors sénateur de l’État de New-York dans la manière de présenter son parcours, ses engagements et ses accomplissements. Difficile aussi de faire l’impasse sur des prises de position qui pourraient paraître anecdotiques, car relativement peu développées au cours de ces 600 pages, mais qui eurent des conséquences désastreuses par la suite, comme dans le cas des microcrédits, dont on n’imaginait pas encore, en 2003, qu’ils mèneraient à une telle crise dans des pays tels que l’Inde. L’apparente naïveté de Madame Clinton a alors du mal à passer. Quoi qu’il en soit, Mon Histoire, s’il divise régulièrement le lecteur, a au moins le mérite de présenter les fondations du parcours d’Hillary Rodham Clinton, et une partie des fondements de sa politique. On pourra alors, si on le souhaite, dépasser cette belle histoire à l’américaine, pour creuser plus loin les aspérités de celle qui demeure l’une des personnalités les plus complexes du paysage politique américain sous son apparente candeur.
Mon Histoire d’Hillary Rodham Clinton, J’ai Lu, sortie le 24 septembre 2004, 703 pages.