Caractéristiques
- Auteur : Stephen King
- Editeur : Albin Michel
- Date de sortie en librairies : 12 octobre 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 600
- Prix : 23,90€
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- Note : 7/10 par 1 critique
Recueil de 20 nouvelles en grande partie inédites, Le bazar des mauvais rêves de Stephen King, a récemment été publié chez Albin Michel, en attendant la traduction de End of Watch, dernier volume de sa trilogie Bill Hodges autour du tueur à la Mercedes, dont nous vous parlions cet été. L’occasion de vérifier que l’écrivain, connu pour ses récits fantastiques et horrifiques, est toujours aussi bon pour dépeindre une horreur moderne, à visage résolument humain.
Un recueil aux thèmes et styles variés
Le bazar des mauvais rêves est le neuvième recueil de nouvelles de Stephen King qui a, de toute évidence, encore beaucoup d’histoires à raconter, même si l’on a souvent critiqué la relative faiblesse de certains de ses livres les plus récents. Si certaines des nouvelles réunies ici avaient déjà été publiées dans de précédents recueils, la plupart ont eu droit à « un nouveau coup de polissoir », afin de mieux coller à sa vision, comme l’explique Stephen King en introduction. Il introduit par ailleurs chacun des récits présentés ici, en revenant par exemple sur leur contexte d’écriture. Un certain nombre d’entre eux rendent hommage au style ou à l’univers d’auteurs appréciés de l’auteur, comme Raymond Carver pour « Premium Harmony », John Irving pour « Batman et Robin ont un accrochage » ou Elmore Leonard pour « Une mort ».
Bien que les sujets de ces nouvelles varient parfois grandement (certaines sont fantastiques, d’autres plus proches de la SF, ou simplement tragi-comiques), on peut retrouver plusieurs thèmes récurrents, notamment une obsession pour les voitures, que Stephen King avait déjà explorée de manière jubilatoire avec Christine, mais aussi à travers Mr Mercedes, et qu’il retrouve ici dans plusieurs nouvelles, allant de fantastiques à réalistes. La première d’entre elles (l’une des plus longues du recueil) est aussi, sans doute, l’une des moins convaincantes : « Mile 81 ». Des enfants se retrouvent aux prises avec une voiture-monstre qui mange littéralement les personnes qui l’approchent ! Un concept assez farfelu, où les adultes commettent systématiquement la même erreur, tandis que seuls les enfants saisissent toute l’ampleur et la teneur du danger. Malgré cette ironie typique de l’écrivain, et une narration assez plaisante, notamment lorsqu’il s’intéresse aux enfants, King se perd un peu dans cette intrigue qui fait parfois froncer des sourcils. Le principal problème étant que, bien qu’il le décrive, on n’arrive pas vraiment à se représenter la transformation de la voiture, dont la métamorphose et le comportement ne s’appuient pas sur ses caractéristiques physiques. Alors qu’il parvenait à rendre la fameuse Christine très expressive et facilement imaginable (même animée d’intentions maléfiques, cela restait une voiture), ici, cela n’est à aucun moment le cas, ce qui nuit à l’efficacité de l’ensemble, assez convenu malgré l’affection que porte manifestement l’auteur à cette nouvelle. Dommage !
Exercices de style, ironie et tendresse
Deux des autres nouvelles où la voiture joue un rôle important (quoi que plus périphérique) pourraient sembler de prime abord assez anecdotiques, d’autant plus qu’elles sont courtes, mais elles plairont à tous ceux qui, comme votre humble servante, apprécient tout particulièrement l’humour, mais aussi la tendresse qui se dégagent de l’œuvre de Stephen King, auteur capable de faire frissonner certes, mais aussi de faire rire et de nous faire ressentir une véritable empathie pour des personnages à priori lambdas, antipathiques ou cliché. « Premium Harmony » est une nouvelle en hommage à Raymond Carver, comme nous le relevions plus haut, grand auteur américain connu pour ses nouvelles minimalistes au style dépouillé, centrées autour de personnages d’origine modeste auxquels il arrive des drames somme toute ordinaires. Robert Altman avait notamment adapté l’un de ses recueils pour son film Short Cuts.
S’inspirant des personnages assez typés de Carver, Stephen King imagine un couple de trentenaires américains baignant dans la routine et menant une vie monotone. La femme est obèse et passe son temps à grignoter des cochonneries en cachette de son époux, ce qui créé une certaine animosité entre eux. Une dispute s’engage alors qu’ils sont en voiture, la femme sort pour acheter des ballons pour un anniversaire, et les événements prennent alors un tour… macabre. Il n’est pas question de crime ici, mais bien de l’ironie de la vie, qui peut être assez horrible en elle-même. Les deux époux se montrent cruels et vicieux entre eux, chacun visant les faiblesses de l’autre, mais lorsque le sort frappe, la tendresse ressort, avec une émotion sous-jacente et sans pathos, tout en conservant un trait humour (noir) jusqu’au bout.
« Batman et Robin ont un accrochage » est quant à elle l’une des nouvelles les plus touchantes du recueil, où l’on retrouve la tendresse caractéristique dont John Irving — auquel King rend ici hommage — fait preuve dans son roman culte Le monde selon Garp, par exemple. L’humour au sein de cette histoire père-fils est drôle et cru, mais la fin, sans jamais en rajouter là encore, se révèle assez bouleversante. Un bel exercice de style, qui prouve que l’univers des deux écrivains est loin d’être incompatible.
Il serait difficile de parler de chaque nouvelle, mais notons que Stephen King s’avère particulièrement en forme, ici, dès lors qu’il s’agit de faire preuve d’humour et d’ironie. L’intrigue de « Feux d’artifices imbibés » tient sur un timbre poste, par exemple, mais la manière dont l’auteur part d’une situation simple et la pousse progressivement à son apogée est diablement efficace. La surenchère dont font preuve les personnages dans leur affrontement est bien amenée, et très drôle grâce à la narration inimitable de l’écrivain.
Bien plus développée, « Nécro » part d’une situation ironique assez drôle de prime abord, mais qui devient très vite anxiogène pour le héros, confronté à des choix moraux inextricables. Stephen King s’amuse ici de la plume assassine et pleine d’esprit de certains journalistes, et imagine que l’un d’eux a le pouvoir de tuer des gens en rédigeant leur nécrologie. Là encore, la situation est poussée dans ses retranchements, et l’éthique personnelle du protagoniste avec elle. Le résultat est prenant, souvent drôle, mais aussi assez inquiétant. King joue beaucoup sur la psychologie des personnages — l’un de ses grands points forts — et le résultat est assez passionnant. Sur un mode plus sérieux, « Ce bus est un autre monde » interroge l’empathie comme l’indifférence que nous pouvons ressentir pour les inconnus que nous croisons dans la rue ou dans les transports en commun, semblables à nous et pourtant différents, qu’il est si facile d’ignorer ou d’oublier sitôt qu’ils sont sortis de notre champ de vision. Témoins d’un drame ou d’une agression, est-il plus facile d’intervenir ou de détourner le regard en continuant notre chemin ?
Un recueil centré autour de nos peurs les plus profondes
Mais l’histoire la plus remarquable, la plus déchirante de toutes parmi ce recueil de très bonne tenue est sans doute celle qui le clôture, « Le tonnerre en été », une histoire de fin du monde dans un contexte post-apocalyptique particulièrement désespéré. On ne saura pas exactement ce qui s’est produit — il est suggéré qu’un conflit international a précipité une escalade nucléaire, avec passage à l’acte — toujours est-il que les survivants, hommes comme animaux, se meurent peu à peu, infectés par un mystérieux virus menant à une mort aussi lente que douloureuse. Le héros, un brave type séparé de sa femme et sa fille, qui se trouvaient dans un autre État à ce moment-là et dont il ignore si elles sont vivantes ou non, vit seul avec un chien qu’il a sauvé en le recueillant. Les deux compagnons sont donc pour ainsi dire tout l’un pour l’autre, mais bientôt, le gentil toutou montre les premiers signes d’une contamination par le virus, de même que le voisin du héros.
On le devine assez vite, ce dernier sera confronté à un choix déchirant, et pour le coup, Stephen King ne joue pas sur l’humour. L’ambiance est résolument très sombre et certains passages — ceux chez le voisin, plus particulièrement — évoqueront le film Les fils de l’homme d’Alfonso Cuarón. L’écrivain y décrit une horreur qui n’a finalement rien à voir avec la nature de la catastrophe, mais bel et bien avec une situation humaine. Il y est question d’empathie, d’amour et de mort et Stephen King, sans jamais jouer sur la facilité du pathos, réussira néanmoins à tirer une larme chez certains lecteurs, son écriture ici assez sèche, dépouillée, renforçant l’émotion. Notons que, là encore, cette histoire s’achève avec une voiture.
Le bazar des mauvais rêves est donc un très bon recueil de nouvelles de Stephen King, à ranger aux côtés de Danse macabre ou Rêves et cauchemars. Si les sujets abordés et le style des différents récits sont très variés, on perçoit également une vraie cohérence, chaque histoire tournant, chacune à sa manière, autour de nos pires peurs, d’où le titre de ce volume. Parce-qu’il n’est jamais meilleur que lorsqu’il se penche justement sur la psychologie et la nature humaine, Stephen King touche très souvent juste, malgré quelques nouvelles un peu plus en-deçà. Ironiques, drôles, touchantes ou glaçantes, elles condensent de manière plus ou moins courte toute la richesse de l’univers de l’auteur, qui n’est pas uniquement un « maître de l’horreur » au sens où on l’entend généralement.