[Critique] Niourk – Stefan Wul

image livre niourkUn grand classique de la science-fiction, en format poche aux éditions Milady

Quand on aborde le sujet des grands classiques de la littérature au rayon science-fiction, un roman revient systématiquement (avec une flopée d’autres, bien évidemment) : Niourk. Chef-d’œuvre paru en 1957, l’œuvre de Stefan Wul, qui ressort aujourd’hui en poche aux éditions Milady (Le vieil homme et la guerre, Toute résistance serait futile), a su traverser les âges grâce à une vision limpide, une lecture des possibles rendue plausible dans un développement bien solide. Livre classé « jeunesse », pour les adolescents plus précisément, Niourk est pourtant un ouvrage qui parle à tout le monde grâce à, nous allons le voir, des problématiques efficaces et pertinentes.

Niourk prend place au vingt-cinquième siècle, cinq cents ans après une catastrophe nucléaire d’une telle ampleur que la Terre en a été profondément blessée, provoquant notamment un catastrophique asséchement des océans. L’humanité a préféré quitter la planète pour rejoindre Vénus, et les quelques survivants qui sont restés ont régressé à l’état primitif. L’action de Niourk débute en plein Golfe du Mexique, et l’on fait connaissance avec une tribu, laquelle se perpétue grâce à la chasse au jaguar menée par Thôz, un guerrier robuste. Le Vieux, celui qui sait tout, décide de rejoindre le domaine des dieux, aussi nommé Santiag De Cuba, et à son retour un jeune enfant devra être sacrifié. Ce dernier, le seul être humain noir du groupe, va heureusement voir son destin basculer avec la disparition du Vieux, qui ne revient pas de son périple. Dès lors, le jeune va partir à sa recherche, et découvrir son cadavre. En respect de la tradition, l’enfant noir mange la cervelle du Vieux, et acquiert ses connaissances. Désormais armé d’une arme laser, le voilà qui redescend vers son village, désormais bien plus évolué que ses congénères…

Un récit d’apprentissage subtil en forme d’avertissement à l’humanité

Niourk est clairement un récit d’apprentissage, l’occasion pour Stephan Wul de délivrer un récit à la fois inquiétant et bourré d’un humanisme précieux. Si le roman débute dans un équivalent recréé de l’âge de pierre, c’est évidemment pour mieux décrire les progrès de l’enfant noir, que nous allons appeler par le nom qu’il se donne, à la fin du récit et de son propre chef : Alf. Il sera notre avatar dans ce monde brisé, aux cicatrices aussi profondes que sont hautes les tours de Niourk, New-York bien évidemment, objectif à atteindre pour la tribu. Mais avant que le personnage ne s’en rende compte, il aura traversé de terribles épreuves, la première étant la découverte du cadavre du Vieux, gelé dans une rue de Santiag de Cuba, probablement à cause du rhum qu’il a trouvé en chemin. Première cervelle dévorée par Alf, et premières connaissances assimilées. Il y en aura d’autres par la suite, alors que le personnage part à la recherche des villageois qui ont fuit leur petite bourgade, réduite à néant par un violent incendie.

Alf suit les traces des villageois et, en chemin, apprivoise un ours. Le duo intervient juste à temps pendant un combat féroce opposant la tribu à des poulpes rendus gigantesques par la radioactivité. Alf se nourrit encore des cervelles des ennemis vaincus, et là aussi gagne en savoir, du moins après avoir digéré les effets de la radioactivité. La suite est à l’avenant, et délivre une dose d’aventure impressionnante pour un roman finalement assez court : 258 pages remplie à ras bord, mais qui jamais ne semble surfaites. Niourk est un exemple de science-fiction positive mais pas aveugle, l’ouvrage voit venir les effets néfastes d’une évolution sans recul, et propose dès lors une alternative, beaucoup plus en accord avec le principe de survivance. Car dans ce livre l’humanité, lâche et hors de contrôle (ce qui est raccord avec notre époque, soit écrit en passant), a fui pour rejoindre Vénus, mais nous découvrirons que, même en ayant recours à cette olution extrême, elle n’a toujours pas tirée les leçons de ses échecs. On rencontre, au fil du récit, Brig et Doc 1 : deux androïdes qui confirment que la reproduction, mal considérée par les idéologues, a été remplacée par le clonage. Là encore, on est assez raccord avec les ayatollah de la séparation (de l’homme et de la femme, des noirs et des blancs, des gays et des hétéros), qui rêvent de métros à wagons dédiés à un sexe ou à l’autre, ou de réunions interdites à un genre (et n’oublions pas les « camps de vacances décoloniaux », là encore un signe du très mauvais temps).

Alf, ou l’humanité sauvée

À cette évolution catastrophique, autant pour la Terre que pour l’Homme, Niourk et son auteur opposent l’intelligence, le savoir, la sagesse. Alf, qui s’est baptisé ainsi en l’honneur de l’alphabet qui lui a appris à lire, et donc à connaître, devient en fait l’être humain idéal, profondément humain car en accord avec sa condition d’Homme, donc fondamentalement social, et d’être évolué. Ce qui lui permet de mieux comprendre la science et son utilité. Pour Stefan Wul, ce sont les perversions de l’esprit qui ont emmené la déliquescence, et non son usage. Une évidence qu’il est toujours bon de rappeler, histoire que certains ne jettent pas le bébé avec l’eau du bain par pure fainéantise. Ainsi, Niourk est un roman positif, mais certainement pas un « feel good machin chose » qui force le trait, il permet à son public de faire marcher les turbines de la pensée d’une manière efficace et subtile.

Mais attention, car Niourk n’est pas pour autant un livre purement philosophique. L’ouvrage n’oublie jamais qu’il a un lecteur à divertir, et la tâche est largement remplie. Récit faisant la part belle à l’aventure, et même à quelques passages un peu saignants (ah, ces cervelles dévorées !), l’œuvre nous imprime des images précises en tête, qui ont tendance à rester en tête longtemps après la lecture. Un exemple d’univers riche mais aisé à digérer. Si l’on ajoute que Niourk se lit à la vitesse de la lumière grâce à un style bien maîtrisé, très poétique mais jamais pompeux, alors on ne peut que confirmer qu’on tient là un classique de la science-fiction, toutes époques confondues, que l’on se doit de posséder dans une bibliothèque « SF » digne de ce nom.

Niourk, un roman écrit par Stefan Wul. Illustration de couverture par Marc Simonetti. Aux éditions Bragelonne, 258 pages, 5.90 euros. Sortie le 20 janvier 2017.

Article écrit par

Mickaël Barbato est un journaliste culturel spécialisé dans le cinéma (cursus de scénariste au CLCF) et plus particulièrement le cinéma de genre, jeux vidéos, littérature. Il rejoint Culturellement Vôtre en décembre 2015 et quitte la rédaction en 2021. Il lance Jeux Vidéo Plus. Manque clairement de sommeil.

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