Caractéristiques
- Auteur : François-Xavier Dillard
- Editeur : Belfond
- Date de sortie en librairies : 15 juin 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 320
- Prix : 18,50€
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- Note : 7/10 par 1 critique
Un polar à points de vue multiples
Après Un vrai jeu d’enfant (2011) et Fais-le pour Maman (2014), François-Xavier Dillard est de retour avec Ne dis rien à Papa, un polar d’un noir d’encre multipliant les points de vue, avec en son centre une figure féminine complexe, Fanny Hutchinson, la petite cinquantaine, mère de famille vivant paisiblement avec son mari artiste. Les chapitres sont courts et alternent les points de vue, mais aussi différentes temporalités. Certains passages se déroulent ainsi dans le passé, plus de 25 ans plus tôt, et se démarquent facilement du reste puisqu’ils apparaissent en italique.
Le roman s’ouvre par une scène terrifiante, où un adolescent reprend conscience alors qu’il a été enterré vivant dans le jardin, après avoir reçu une balle dans la tête. Il parvient, au prix d’efforts acharnés, à s’extirper de sa tombe et à rentrer dans ce qui est probalement sa maison, mais, en état de choc, il ne se souvient de rien. Nous faisons ensuite connaissance avec Fanny, fleuriste parisienne ayant fait fortune sur le tard en publiant deux livres sur les fleurs et les plantes devenus des best-sellers. Elle est mère de deux jumeaux de 10-11 ans fort différents, l’un, cruel et dépourvu d’empathie, ne cessant d’humilier son frère, sensible, et de le pousser dans ses retranchements. Bien vite, on sent que quelque chose ne va pas : Fanny est très sensible à toute forme de violence, et, à son comportement envers ses fils, on devine qu’elle a dû vivre quelque chose de traumatisant qu’elle cache à son mari. Enfin, nous suivons le commissaire divisionnaire Dubois, qui enquête sur de sordides meurtres de médecins du même âge, que l’on devine être liés entre eux. Le tueur a brisé chacun des os de ses victimes avant de leur faire subir mille tortures, et la police judiciaire cherche donc à découvrir ce que ces hommes ont bien pu faire pour déclencher pareille furie.
Un roman psychologique prenant
Prix des Nouvelles Voix du Polar Pocket 2017, Ne dis rien à Papa déroule son intrigue sans temps mort, à la manière d’un puzzle que le lecteur est invité à reconstituer au fur et à mesure. Si certains rebondissements garantissent quelques surprises jusqu’à la toute fin, on aurait cependant tort de penser que le roman de François-Xavier Dillard repose tout entier sur un twist censé nous prendre au dépourvu. Avant même de commencer la lecture, nous disposons déjà de quelques indices : la couverture, où la Maman apparaît effrayante avec ses dents, mais aussi le quart de couverture, où l’accroche fait référence à une femme retournant son instinct maternel contre ses propres enfants. Ce n’est donc pas vraiment spoiler que de révéler qu’il ne faut attendre qu’une petite trentaine de pages, lorsqu’un chapitre en italique nous révèle l’histoire d’une jeune étudiante en médecine violée lors d’une fête par quatre camarades, pour établir un lien entre cette jeune femme anonyme, Fanny et les meurtres de médecins. Evidemment, les choses ne sont pas aussi simples : plus de 25 ans séparent ces deux parties de l’intrigue, et les chapitres consacrés aux meurtres ne laissent pas forcément penser que le meurtrier pourrait être une femme, au contraire. De plus, l’identité de l’adolescent enterré vivant et le lien entre son histoire et le reste du livre met du temps à apparaître, poussant le lecteur à enchaîner les chapitres.
Ce dernier élément, s’il n’est pas clairement révélé par l’auteur avant le dernier tiers du livre, peut néanmoins être deviné au bout d’une centaine de pages, ce qui n’est en rien un défaut d’écriture, mais semble bel et bien une volonté de François-Xavier Dillard. Le « qui ? » importe finalement assez peu dans Ne dis rien à Papa : c’est davantage les « pourquoi » et « comment » qui intéressent l’écrivain. Il tisse ainsi des portraits psychologiques marquants, d’un réalisme saisissant, en partant d’un postulat et d’une structure somme toute assez « classiques » dans le genre. Le lecteur est en empathie avec Fanny et son histoire, rendant son passé et la partie criminelle du livre d’autant plus terribles. Le risque, dans ce genre de polars que l’on qualifierait sans peine de page-turner, est de tomber dans un voyeurisme malsain en abordant de manière glauque et condescendante des sujets on ne peut plus graves, tels que le viol ou ce que les journaux appellent pudiquement « drames familiaux » et « faits divers », ce qui peut provoquer une véritable gêne ou contribuer à marginaliser des faits de société bien moins isolés que ce que l’on veut bien croire.
Un polar où chacun est victime et bourreau
On ne trouve rien de tout ça dans Ne dis rien à Papa, et l’on en profitera pour saluer au passage les recherches méticuleuses de l’auteur, qui donne une vision réaliste (bien que poussée dans ses retranchements les plus extrêmes) du syndrome de stress post-traumatique à travers le personnage de Fanny qui, sous le choc de ce qui lui est arrivé, se dissocie de son ressenti et des événements en eux-mêmes, mettant au point une stratégie d’évitement afin de faire face et d’avancer coûte que coûte même si, de cette manière-là, elle ne peut cicatriser, ce qui maintient un fossé entre elle et ses proches, et influe également sur eux. Ce non-dit, qui dissimule un secret encore plus lourd, a en effet un impact sur tous les personnages et se manifeste différemment en fonction de chacun. Les rapports entre les deux frères jumeaux est ainsi assez saisissant, par exemple. Malgré ce que l’on pourrait croire au vu de la couverture, Ne dis rien à Papa est donc loin de n’être que le portrait d’une mère devenue monstrueuse, et, par la subtilité du portrait psychologique des protagonistes, François-Xavier Dillard ne tombe pas dans le travers de stigmatiser les victimes. Il n’est guère besoin de rappeler, bien sûr, que seules 0,02% des personnes atteintes de troubles psychiques font preuve de violence, la part de victimes de violences sexuelles parmi elles s’en prenant à leurs bourreaux ou des proches hors cas de légitime défense étant infime.
A vrai dire, la question ne se pose même pas ici puisque, dans ce troisième roman, personne n’est ni entièrement victime, ni entièrement bourreau : chacun possède des qualités et des éléments à même de le tirer vers le haut, mais aussi sa part de noirceur, contre laquelle il doit lutter. Ce mal qui ronge les âmes est ainsi présent chez tous les personnages, de l’enfant sensible au policier hard-boiled, en passant par le mari attentionné et aimant. De ce point de vue-là (et aussi au vu des chapitres mettant en scène la confrontation des victimes à leur meurtrier), on a le sentiment que l’écrivain doit apprécier la série Dexter, où la violence de l’anti-héros n’est finalement que le miroir de celui de la société et des autres personnages « sains ».
Ne dis rien à Papa, tout en étant un polar classique et accessible, n’en possède pas moins de véritables qualités, qui permettent de le distinguer du tout venant des romans estivaux. La manière de François-Xavier Dillard de manier le suspense mais, surtout, de dresser des portraits psychologiques marquants au sein d’un récit aux rebondissements extrêmes (et finalement assez codifiés), fait que l’on reste scotché par ce roman d’une noirceur d’encre jusqu’à la fin. Entre empathie et horreur, l’écrivain nous mène à travers une tragédie à la mécanique implacable, dont on ne ressort pas indemne. Et il le fait avec suffisamment de grâce et de maîtrise pour ne jamais tomber dans la complaisance, ce qui n’en est que plus appréciable.