Caractéristiques
- Traducteur : Isabelle Bauthian
- Auteur : Grant Morrison (scénario) & Yanick Paquette (dessin)
- Editeur : Urban Comics
- Collection : DC Deluxe
- Date de sortie en librairies : 26 mai 2017
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 144 pages
- Prix : 15€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 5/10 par 1 critique
Le féminisme en Première Ligne
« Il n’y a pas d’images justes, il y a juste des images » figure parmi les nombreuses pensées sensées provenant du cinéaste hirsute Jean-Luc Godard. Si, justement, à notre époque, l’image a tendance à prendre le dessus sur la pensée, il n’en demeure pas moins que l’Homme a tout de même besoin d’images ancrées dans le marbre pour se rassurer. Les passionné(e)s de football dégustent pour la énième fois le touché de Zidane sur YouTube en espérant qu’un prodige monégasque les fassent tout autant vibrer. Les professionnels du cinéma français tentent d’appliquer des formules de « dramaturgie » en se référant à une œuvre plébiscitée par le public tous les dix ans. Les amoureux de la chanson fredonnent de façon nostalgique Marie Myriam à chaque Eurovision… Au final, ce ne sont pas forcément les actes en eux-mêmes qui nous font vivre des émotions, mais leur rareté, et les histoires personnelles de celles et ceux qui les vivent devant nous. Ils deviennent ainsi des personnages. Nos personnages.
Les personnages fictifs nous apportent, eux aussi, une bulle d’air récréative dans nos vies. Tant les artistes des grottes de Lascaux que Stan Lee ont la même envie : favoriser et transmettre leur imaginaire à une audience. Malgré les décennies qui passent, la qualité de nombreuses œuvres mêlant le texte et l’image rend les récits, ainsi que leurs auteurs, indémodables. La date de création de la majorité des personnages populaires de comics en est une preuve évidente. Batman, Superman, Captain America furent ainsi créés durant la période de l’Âge d’Or des Comics (la décennie 40). Du muscle, de la testostérone, de la virilité….
La virilité, William Moulton Marston s’en moque littéralement. Lorsque l’Américain créa le personnage de Wonder Woman en 1941, ce n’était pas pour apporter son appui à l’effort de guerre comme l’ont fait tant d’autres artistes de cette époque. Au contraire, Marston souhaitait mener un combat interne au sein de son propre pays : l’égalité entre les deux sexes. Bien qu’il fût ouvertement en couple avec deux femmes… Marston est un féministe convaincu, qui ne cessera de valoriser la Femme. Exerçant les professions de psychologue et d’inventeur, il participera notamment à la création d’un détecteur de mensonge qu’il convertira en lasso de vérité pour son héroïne. L’homme a d’ailleurs eu une vie si extraordinaire qu’un film sortira prochainement autour de sa personne : Professor Marston and Wonder Woman.
Un nouveau (nouveau) départ
Avec la sortie du (bon) film de Patty Jenkins, il y a eu ces dernières semaines une communication accrue autour de Wonder Woman. De par le succès au box-office (788 000 000 dollars au box-office mondial à ce jour-Box-Office Mojo), indubitablement, pléthore d’objets dérivés nous furent servis dans nos assiettes de consommateurs de culture. Le prolifique éditeur Urban Comics (propriétaire du catalogue DC Comics) est depuis longtemps force de propositions d’œuvres mettant en avant Wonder Woman. Soyons francs : il n’est pas forcément très simple de se retrouver parmi tous les titres proposés. Qu’il s’agisse de Wonder Woman : L’Odyssée, de l’œuvre de Greg Rucka ou encore de Wonder Woman : Rebirth, parmi d’autres, beaucoup d’albums narrent la genèse de notre héroïne. Le même manuscrit peut être alimenté par des histoires indépendantes les unes des autres créées par différents auteurs… Comme pour les autres personnages de l’univers DC, la cohérence des récits et des dessins est donc rarement présente.
Wonder Woman : Terre Un vous permettra, au moins, d’obtenir cette cohérence, vu qu’un récit unique habite ce premier tome. Quand bien même, il vous faudra acquérir deux tomes supplémentaires afin d’arriver au bout de l’arc narratif. Le scénariste anglais Grant Morrison et le dessinateur québécois Yanick Paquette ont usé jusqu’à la sève les bancs de Detective Comics avant la création de cet album. Ils aiment leurs personnages. C’est un fait. Quid de notre plaisir de lecteur ? En sachant que la commande de DC était de moderniser les origines de Wonder Woman…
Un préambule dantesque
Il est acquis dans la conscience collective que les lecteurs de BD, de manga, de comics sont majoritairement des adolescents et de jeunes adultes. Pour autant, c’est fréquemment une émotion enfantine qui gouverne le lecteur lorsqu’il a un album entre les mains. Le comic book Wonder Woman Terre-Un ne déroge pas à la règle. Semblable à l’édition américaine, la couverture colorée nous montre une Wonder Woman empâtée qui peut surprendre à la vue de la silhouette sculptée que le public vient de découvrir via l’interprétation de Gal Gadot. Enchaînée, l’héroïne est au centre de l’image. Son visage est fermé. Près d’une dizaine de femmes, que l’on suppute être des Amazones, se trouvent derrière elle. Elles la regardent avec méfiance. En haut, dans le coin gauche, se trouve un autre personnage qui se prend la tête entre les mains. En souhaitant que, suite à notre lecture, nous ne partagions pas cette position d’abattement !
Force est de constater que le synopsis de l’album est comparable à ceux ayant déjà traité la genèse de Wonder Woman. En manque d’aventure sur son île paradisiaque cachée, la Princesse Diana profite de l’arrivée surprise d’un soldat pour partir à la découverte d’un monde qui lui est interdit.
Dès la découverte de la seconde page titre, le ton est donné. Un dessin représente un petit coin de paradis où deux femmes profitent du beau temps pour se balader, pendant que trois autres flirtent avec une eau pure. L’image est légèrement érotique dans ce qu’elle dégage. La Femme et la mise en avant de son souhait de liberté semblent être la thématique principale du comic book. William Moulton Marston aurait apprécié. Les deux pages suivantes pimentent de façon atypique notre envie d’en découvrir plus. Sur la page de gauche, les deux auteurs rédigent quelques mots dans une partie « dédicaces » qui valorise, entre autres, la maman de l’un d’eux. Sur la page de droite, l’histoire commence par ces mots : « Reine des Amazones ! Au pied, catin d’Hercule ! ».
L’enchaînement de la lecture de ces deux pages peut paraître étrange. Pour autant, ce dialogue percutant, allié à deux styles de dessins différents, facilite notre entrée dans le récit. Nous découvrons Hyppolite en grande difficulté face à un Hercule rappelant Dwayne Johnson dans le film éponyme (et oubliable) de Brett Ratner sorti en 2014. Cette première scène de treize pages est exceptionnelle sur tous les plans. La dramaturgie, le découpage, l’ambiance apocalyptique, l’utilisation de frises contenant des ornements grecs pour délimiter les cases… Cette scène de tension et d’action est jouissive sur la forme. Sur le fond, si l’esclavagisme est une thématique effleurée, la misandrie d’Hyppolite et de ses Amazones est assumée. Certaines et certains d’entre vous verront, peut-être, d’ailleurs, un clin d’œil inversé à un célèbre roman graphique de Frank Miller…
Une caractérisation disneyenne
Dès le début du premier acte, les auteurs choisissent de nous présenter la vie quotidienne sur l’Île du Paradis ainsi que les principes fondamentaux de cette société matriarcale. Petit aparté. L’île du Paradis est appelée Themyscira dans la majorité des albums Wonder Woman et dans le film. Marston choisit en 1940 la capitale supposée des Amazones pour définir le lieu où grandit Diana. Pour une raison inconnue : point de Themyscira ici. Notre héroïne, qui, en sortant de son avion transparent (les amoureux de la série des années 70 apprécieront), se constitue prisonnière auprès de la garde de sa mère : la Reine Hippolyte. Un rouge à lèvre habillant ses lèvres retient l’attention de l’ensemble des Amazones présentes. Diana sera la représentante des Hommes. Pour avoir quitté l’île cachée sans l’aval de sa mère, Diana a droit à un procès à ciel ouvert. En guise de témoins, la Reine demande la présence des Parques. La Grèce Antique est la toile de fond de l’univers de Wonder Woman. Le fait que Morrison et Paquette incluent tout au long de l’album des références à la mythologie grecque est un bon point. Cela peut paraître « normal » ; limite un dû. Pour autant, les auteurs parviennent à inciter les lecteurs à enrichir leurs connaissances au-delà de leur album. L’ambition originelle de Marston de transmission est donc bien respectée.
L’un des principes des Amazones étant l’utilisation d’un code mariant la vérité et la justice, Diana souhaite utiliser le lasso de la vérité afin de justifier son départ de l’Île du Paradis. Le lasso est utilisé comme un McGuffin permettant de développer, sous la forme d’un flashback, la raison qui fait que Diana est prisonnière. Nous découvrons alors une jeune femme dont la caractérisation pourrait flirter avec celle définie par Walt Disney pour Blanche-Neige. Diana souhaite sauver une biche qui s’est blessée sur les falaises. Aidée par la cousine amazone de Doc Brown et l’utilisation d’un puissant laser, elle permet à la biche de se carapater. Diana minaude. Diana parle à la biche. Diana serait-elle naïve ? Aucunement avec les Amazones en tout cas, puisque sa bonne action réalisée, elle part, déterminée, à la rencontre de sa mère, afin de la convaincre de participer aux jeux qui permettront d’élire la conquérante de l’île, la Wonder Woman.
Une originalité mise à « mâle »
L’échange entre les deux personnages permet de re-situer la tragédie grecque (au sens premier du terme) qui existe entre elles. De par ses origines divines et par soucis d’équité avec les mortelles Amazones, il est impossible pour Diana de participer à la compétition. Or, cette épreuve est une parenthèse pour elle, qui lui permettrait de quitter un instant sa vie qu’elle juge austère. Cette ambiance familiale complexe et lourde continue d’être surlignée par de la misandrie. Après avoir suivi la destruction du World Trade Center sur son miroir magique (big up Tonton Walt !), les propos d’Hyppolite sont foudroyants : « leur masculinité est une aberration de la nature ». Cette scène de quatre pages montre qu’il est ô combien difficile pour un auteur d’avancer dans son récit en respectant la trame de l’œuvre originelle via la tentative de développement de la psychologie des deux personnages. Sans omettre son souhait d’apporter une originalité… Profitant de la fête un brun orgiaque annonçant le début des jeux, les auteurs utilisent avec parcimonie ce que nous, lecteurs (femmes et hommes ?), pouvons imaginer d’une île habitée entièrement par des Amazones. La notion de sexualité a de toute façon toujours été une thématique dissimulée au sein de l’œuvre Wonder Woman. Cette scène a surtout le mérite de repositionner le statut de Diana par rapport aux autres amazones. Profitant d’un cache-cache improvisé, Diana s’en va se balader sur la plage, où elle fait la rencontre d’un soldat en difficulté : Steve Trevor.
Aux oubliettes, l’éternel soldat blond de l’US Air Force ! Quitte à vouloir être originaux, à la fin de ce premier acte, le duo de créatifs a décidé de nous présenter un Steve Trevor au physique différent. Notre héros a la peau noire. Peu subtil, niveau originalité, ce choix de changement de couleur de peau , qui reste tout de même intéressant. Reste à savoir si ce parti pris n’accentue pas l’idée de patate chaude qui commence à se faire sentir. Concernant le contexte historique, le pilote n’est plus engagé dans la Seconde Guerre Mondiale, mais a vu son avion rejoindre les abîmes lors d’un simple repérage. Enfin, c’est ce que Steve Trevor affirme…
Ce deuxième acte, alias notre patate chaude, débute sur l’accentuation de la dualité du personnage Wonder Woman. Une dualité qui était déjà présente lors de sa caractérisation en 1941. Diana est naïve. Wonder Woman est badass. Wonder Woman est tellement surprise, en mettant la main sur les attributs intimes de Steve toujours blessé, que Diana pousse la curiosité jusqu’à lui demander tout de même si celui-ci est bien un homme… Après avoir tenté malgré tout de sauver son soldat avec le laser, Diana s’en va conquérir contre sa compagne (originalité 2) les lauriers lui attribuant le titre de Wonder Woman. Mécontente de couronner sa fille, Hippolyte lui passe un énième sermon à grand coup d’images racoleuses autour des intentions diaboliques des hommes. La patate chaude se transforme en purée lorsque l’odorat de la Reine lui permet de sentir le « parfum de bouc » sur le corps de sa fille. Un homme se trouve sur l’île. Ordre est donné de le trouver. Ne pouvant abattre leur Princesse, les Amazones laissent le vaisseau et ses deux occupants prendre la direction des Etats-Unis.
Une laborieuse odyssée dramaturgique
Arrivés à la moitié de ce deuxième acte, le récit s’est accéléré au point qu’on se demande si les auteurs se sont autorisés à se laisser suffisamment de temps afin de développer leurs thématiques ,tout juste posées : la relation Diana/Steve, l’éventuel évolution du regard de Diana sur les hommes, l’équité dans la notion de liberté de Diana vis-à-vis des autres Amazones, le questionnement de Diana par rapport à sa naissance…
La seconde partie de ce deuxième acte débute dans un hôpital new-yorkais où, un brin hautaine, Diana annonce qu’elle a fait son possible pour soigner Steven, mais que la médecine des hommes devrait être plus appropriée. S’ensuit une scène qui pourrait sembler anodine au vu du peu de pages qu’elle occupe. Et pourtant, la rencontre entre Hyppolite et la Reine des Gorgones dans une grotte sombre et humide apporte une rafraîchissante touche de danger. Malheureusement, ce qui va suivre va transformer notre petit plaisir en petit tracas. Non content de nous avoir surligné à plusieurs reprises le côté naïf de Diana, les auteurs nous imposent une rencontre entre notre héroïne et des femmes mourantes au sein du même hôpital.
La répétition d’informations au sein d’un récit peut être efficace si elle nous est, à un moment, proposée de façon inédite et/ou originale. Il ne suffit pas non plus de placer un personnage dans un lieu joliment éclairé pour mettre en avant son confort psychologique, ou placer une scène de suspense nocturne sous une forte pluie afin d’accentuer la présence d’un élément dangereux (exemple : le film Godzilla de Roland Emmerich). Alors que nous pensons atteindre le climax de l’histoire, un personnage prénommé Beth entre dans le récit. Cette joviale boute-en-train et ses amies effeuilleuses sont sauvées d’un accident de la route par Wonder Woman. De bonne constitution, Beth est l’antagoniste de Wonder Woman. Toutes les deux jouent d’ailleurs à être surprises par leurs silhouettes respectives. Pendant que l’arrivée de la Gorgone sur Terre se rapproche, Wonder Woman retourne à l’hôpital avec sa nouvelle amie, afin de connaître le réel objectif de la mission de Steve. Cela est un peu surprenant comme décision puisque Diana récupère le dessein de sa mère de façon peu compréhensible. Jusqu’alors Diana a soif de liberté et de découverte, et n’est aucunement encline à vouloir connaître le réel objectif de la mission de Steve.
Ce dernier tente de jouer sur plusieurs tableaux : accepter la proposition de ses supérieurs d’en savoir plus sur l’île cachée, tout en voulant séduire Diana. L’un des objectifs sera atteint par notre militaire… Alors que durant deux scènes Wonder Woman et ses amies discutent de bondage puis de relooking (rip Jem et les hologrammes), la Gorgone, accompagnée par les Amazones, passe en mode attaque. Enfin un peu de conflit visuel ! Ce pauvre Steve se retrouve transformé en statut pierre, pendant que Beth et ses copines veulent en découdre avec les militaires et les Amazones… Souhaitant sauver son militaire avec le laser utilisé lors des soins de la biche, Diana accepte de suivre ses consœurs guerrières sur l’Île du Paradis.
Un album de discorde
Le troisième acte abonde d’objectifs thématiques à résoudre. Afin d’en atteindre certains à la fin de ce premier tome, Morrison s’emploie à utiliser des deux ex machina. En prime, vous aurez droit de la part de Steve à un monologue sortant de nulle part, traitant de son rapport à l’esclavagisme… Indéniablement, la révélation concernant la naissance de Diana est la plus intéressante.
Wonder Woman Terre-Un, tome 1 est donc un album de qualité moyenne. Après un premier acte efficace, les auteurs se perdent à vouloir rajouter des thématiques superflues et des personnages en guise de simples faire- valoir. Les enjeux « originaux » se retrouvent alors au second plan, transformant la boîte de Pandore en simple boîte à idées. Outre le besoin de dégraisser le scénario, il serait plaisant que les tomes 2 et 3 mêlent davantage l’action au récit.