Caractéristiques
- Auteur : Alexandra Echkenazi
- Editeur : Belfond
- Date de sortie en librairies : 9 novembre 2017
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 298
- Prix : 18,50€
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- Note : 6/10 par 1 critique
Un roman d’aventures autour de la naissance de Bond
James Bond est l’agent secret le plus connu de la pop culture, mais où Ian Fleming a-t-il trouvé l’inspiration pour le créer et imaginer ses folles aventures ? A partir de cette interrogation toujours laissée en suspens, et simplement émaillée de suppositions, Alexandra Echkenazi, auteure du Journal de Mary et scénariste de télévision, nous livre Le joueur de baccara, centré sur la propre expérience dans le renseignement britannique de Fleming durant la Seconde Guerre Mondiale. S’il n’a jamais été sur le terrain ni eu véritablement de carrure dans le domaine, il est de notoriété publique, en revanche, que le futur écrivain avait alors croisé à plusieurs reprises Dusko Popov, le plus grand agent double britannique, dont les actions contribuèrent à la victoire contre l’Allemagne. Si ces relations demeurent floues et n’ont jamais été détaillées par les principaux intéressés de leur vivant, on sait cependant une chose : ils se croisèrent en 1941 au casino d’Estoril, ce qui inspira à Fleming par la suite la partie de baccara entre James Bond et Le Chiffre dans Casino Royale.
Alexandra Echkenazi a alors profité de ces trous dans l’histoire des deux hommes pour imaginer leurs entrevues et cristalliser, partant de là, ce qui a pu fasciner l’écrivain à ce point chez cet espion magnétique et ultra-efficace; le tout en rendant hommage à James Bond. On le devine alors très vite, Le joueur de baccara ne sera pas un roman historique, mais un vrai roman d’aventures, légèrement pulp sur les bords, privilégiant l’action et faisant fonctionner l’imagination à plein rendement — ce qu’il fait très bien.
Pourtant, tout n’avait pas commencé sous les meilleurs auspices : lors du prologue, l’auteure doit répéter « Ian » au moins cent fois et, si son écriture est très visuelle — on sent la scénariste — elle a au départ du mal à prendre de l’ampleur. On regrette aussi que les personnages féminins n’aient aucune épaisseur, même si, bien entendu, on pourra rétorquer que les James Bond Girls n’en ont pas davantage, mis à part Vesper Lynd. Les chapitres sont courts et très dynamiques, ce qui encourage à les enchaîner, mais la narration fragmentée a parfois pour désagrément de zapper des situations dramatiquement intéressantes.
Un agent double magnétique, une histoire bigger than life
Néanmoins, le personnage de Dusko Popov aimante et, au bout d’une soixantaine de pages, la sauce prend enfin : l’écriture se fait plus fluide, le suspense est soutenu, et les éléments historiques sont intégrés avec soin aux passages romancés, pour un résultat prenant à souhait. Charismatique, séducteur, casse-cou invétéré, mais également homme sensible et engagé, le richissime play-boy Popov fut d’abord recruté par son meilleur ami Johnny Jebsen pour le compte de l’Abwehr, les services de renseignement allemands, avant de proposer ses services aux Britanniques et d’intégrer le programme Double Cross, devenant ainsi agent double.
Son histoire, véridique, est tellement extraordinaire et cinématographique en elle-même qu’elle méritait bien un roman, lequel la rend encore plus spectaculaire. Fleming, lui, reste en retrait tout du long, et est placé dans la position de l’agent médiocre coincé dans les bureaux alors qu’il rêverait d’aller sur le terrain, et enviant celui qu’il voit comme un rival, même si les deux hommes n’évoluent en réalité pas du tout dans la même sphère. Alexandra Echkenazi prend ainsi le parti de la compassion envers l’écrivain, considéré par beaucoup comme un homme arrogant et méprisant — Frédéric Albert Lévy en parle dans son livre Bond, l’espion qu’on aimait, mais aussi dans notre interview — mais dans lequel elle voit avant tout un auteur bourré d’insécurités, vivant principalement à travers ses fantasmes.
Cette idée de transfert — Fleming se rêvant en Popov quand bien même il n’en aurait jamais eu les capacités — fonctionne très bien et permet de montrer (même s’il s’agit ici de fiction) comment le papa de James Bond a pu s’inspirer de sa propre vie et de celle de Popov (ce qui est suspecté depuis très longtemps) pour donner naissance à son héros. On ressort de ce Joueur de Baccara, écrit comme l’un des James Bond les plus fous, avec l’envie de plonger dans l’essai de Larry Loftis, Into the Lion’s Mouth, utilisé par Alexandra Echkenazi pour son roman et racontant l’histoire et les missions de cet agent très spécial, qui ressemblait très fortement, physiquement, à un certain Daniel Craig.