[Critique] Esclave — Alex Jestaire

Caractéristiques

  • Auteur : Alex Jestaire (texte), Pablo Mechor (illustrations)
  • Editeur : Au Diable Vauvert
  • Date de sortie en librairies : 26 octobre 2017
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 122
  • Prix : 9,99€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 7/10

L’histoire la plus terrifiante des Contes du Soleil Noir

Après un quatrième volet, Audit, qui se présentait davantage comme un épisode mythologique autour du complot inscrit en filigrane à travers les différents livres, Les Contes du Soleil Noir d’Alex Jestaire sont de retour avec un cinquième roman, Esclave, qui clôturera peut-être la série par ailleurs, au moins chez l’éditeur Au Diable Vauvert. Après deux livres relativement soft, l’auteur renoue avec une veine d’un noir d’encre, qui ferait presque passer le violent mais plus optimiste Arbre pour une oeuvre légère. On y suit les mésaventures d’Amine, une goule découverte au Mali par les militaires français. Réduite en esclavage sexuel par les soldats arabes, elle passe alors entre les mains du ministre Jean-Marc Schieller, qui, fasciné par son corps de rêve malgré son visage difforme, l’utilise bientôt pour son plaisir personnel et ses pratiques SM.

L’histoire, déjà bien sordide, ira plus loin puisque, non content de violer la pauvre créature, il se met bientôt en tête de “l’éduquer” et la formater pour qu’elle se comporte en femme soumise, afin de mieux exciter son désir. Pendant ce temps-là, le couple médiatique qu’il forme avec son épouse Cécile, ancienne journaliste, a du plomb dans l’aile, l’homme politique n’ayant de cesse de l’humilier quotidiennement, entre mesquinerie, insultes et baffes occasionnelles. Un étrange triangle va bientôt se former…

Après ce préambule, il n’est guère besoin de le préciser : Esclave n’est pas fait pour les âmes sensibles. En prenant pour cadre la classe politique française, remplie de figures fictives mais inspirées assez clairement de la réalité, Alex Jestaire donne un ancrage très actuel à son roman et nous fait cette fois-ci entrer de plein pied dans les arcanes du pouvoir, après avoir tourné autour. Ce que l’on y découvre est loin d’être glorieux, et même tout à fait révoltant : une élite politique qui, parce-qu’elle se sait intouchable, ne rougit pas d’objectifier des êtres humains aux seules fins d’une jouissance dont elle repousse toujours plus loin les limites dans l’abject. Symboliquement, l’écrivain prend donc pour personnage féminin principal une goule, créature légendaire du folklore arabe, apparaissant notamment dans les Contes des Milles et une Nuits, auquel Jestaire fait ici un clin d’oeil. Sauf qu’en lieu et place d’une Sheherazade qui raconterait chaque soir une histoire pour survivre, Amine doit se montrer toujours disponible, aller plus loin dans les pratiques afin d’éviter d’ennuyer son odieux “maître”.

Un roman sans concession sur l’emprise et l’exploitation sexuelle

Écrit dans un style sec et régulièrement ironique — Mister Geek est toujours aux commandes en tant que narrateur — Esclave s’enfonce dans une horreur glacée et dénonce, par le biais du symbole et de la métaphore, le sort réservé aux femmes dans notre société. En dehors des références aux réseaux de prostitution prisés des politiciens, Alex Jestaire vise aussi les différentes manières dont une femme peut être objectifiée. Ainsi, Jean-Marc considère tout autant son épouse, Cécile, comme une simple commodité, une femme-accessoire ou faire-valoir qu’il aime exhiber quand bon lui semble pour faire bonne figure devant les médias avant de l’abandonner à son amertume pour vaquer à ses occupations. On a ainsi l’impression qu’un certain transfert s’opère entre Amine et l’épouse du ministre, un peu comme si les sévices subis par la goule représentaient ceux vécus dans l’intimité par la pauvre femme, jadis forte et indépendante, désormais brisée, mais ne sachant arracher les liens qui l’unissent à cet odieux personnage. Lorsque Amine rejoint le domicile conjugal, une certaine complicité unira ainsi logiquement les deux femmes. Mais, attention, l’union ne fait pas la force ici, et la chute sera particulièrement brutale…

Roman paranoïaque sans concession, Esclave achève (à priori) ces Contes du Soleil Noir sur un coup d’éclat en parfaite cohérence avec les quatre romans précédents. Bien que l’on espère vivement qu’Alex Jestaire pourra continuer ses récits dont la ressource semble inépuisable — sachant qu’il resterait certains points à relier — si ce cinquième opus devait vraiment signer la fin de ce cycle, le résultat, à défaut de nous donner une vraie conclusion, serait malgré tout satisfaisant puisque ses thématiques recoupent celles précédemment explorées, notamment dans Arbre, dont il se rapproche par certains aspects, bien que l’écriture soit ici plus distanciée. En un peu plus de 600 pages répartis en cinq volumes, l’écrivain nous a emmenés dans un voyage onirique et parfois psychédélique à travers lequel il aura porté un regard aussi acéré que décalé sur notre époque d’isolement social et d’aliénation. Si vous êtes à la recherche d’univers personnels particuliers, d’espace mentaux et, surtout, ne craignez pas la violence du propos, nous ne pouvons que vous conseiller d’embarquer aux côtés de Mister Geek…

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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