[Critique] Contes du Soleil Noir : Audit — Alex Jestaire

Caractéristiques

  • Auteur : Alex Jestaire
  • Editeur : Au Diable Vauvert
  • Date de sortie en librairies : 31 août 2017
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 121
  • Prix : 9,99€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 6/10

Le monde impitoyable de l’entreprise

Quatrième volet du cycle Contes du Soleil Noir d’Alex Jestaire, Audit diffère de ses prédécesseurs, fortement oniriques, par une approche plus “terre à terre”. Loin des métaphores sur la misère sociale d’Invisible et de Crash, ce court roman s’ouvre sur un chapitre d’un réalisme abrupt, décrivant une situation malheureusement assez courante dans le contexte actuel, sans la passer par le filtre de la science-fiction ou du fantastique. Nous faisons ainsi connaissance avec Philippe, chef d’équipe au sein d’un grand groupe, confronté à une situation intenable : remettre une évaluation de chacun de ses équipiers à des consultants payés pour “dégraisser” l’entreprise afin de lui faire retrouver sa compétitivité. Contraint et forcé, le quinquagénaire s’exécute, mais devra affronter les foudres de ses collègues, avant d’être lui-même remercié, avec des conséquences dramatiques. Le ton utilisé pour rendre compte de l’état d’esprit de l’employé est simple, direct, et témoigne de ce terrible calme qui précède parfois les pires tempêtes. Intercalée entre ces passages décrivant ce qui est devenu un “drame ordinaire”, on retrouve, dans un style sec et ironique, la partie de squash entre la chef du cabinet de consultants et le petit nouveau en charge de s’occuper du “sale boulot”.

Cette introduction permet à Alex Jestaire de poser en quelques pages à peine ce qui sera le ton d’Audit : une vision froide et sans concessions de la gestion du personnel en entreprise à l’heure où la compétitivité acharnée fait du salarié lambda une quantité négligeable facile à liquider et remplacer. Le vocabulaire des relations humaines a beau tenter de convaincre les malheureux qu’un licenciement n’est pas un “drame” mais “une opportunité”, l’hypocrisie et l’implacable cruauté tapis derrière ce monde de faux-semblants fait froid dans le dos, et l’auteur possède un réel talent pour mettre à jour la bête immonde nichée au coeur de ce système destructeur.

Un roman de transition au sein du cycle

C’est donc en toute logique que le reste du roman nous fait rentrer au coeur de cette infernale machine, en nous présentant le petit groupe de parisiens hautains, chèrement payés pour évaluer en un coup d’oeil la rentabilité des salariés d’une entreprise et décider qui doit partir ou rester, dans les meilleurs cas. Avec beaucoup d’ironie, l’écrivain décrit un monde à part, et glisse peu à peu des éléments fantastiques (le fameux “soleil noir”, encore une fois) afin de dessiner les contours d’un complot déjà suggéré au détour d’un chapitre d’Invisible, lorsque le SDF invisible croisait d’étranges personnages en costard-cravate qui semblaient bel et bien le voir.

Les trois femmes et deux hommes de cette puissante et mystérieuse organisation pourraient tout à fait faire partie de ce même groupe qui semble tirer les ficelles dans l’ombre et, de ce fait, Audit n’est pas exactement un épisode à part entière des Contes du Soleil Noir comme l’étaient les précédents. S’il peut tout à fait être lu de manière indépendante des autres, l’histoire, plus simple et épurée, laisse deviner que ce livre sert avant tout à tisser les liens souterrains reliant chacune des intrigues qui nous ont été présentées depuis le début, et qui se verront sans doute étoffés ou précisés dans le prochain volet.

Deux Impératrices pour le prix d’une

Rappelons d’ailleurs que l’un des fils rouges du cycle, de manière très symbolique, est le tarot, comme nous l’expliquait Alex Jestaire au cours de notre interview ce printemps. Après s’être inspiré des trois premières cartes du jeu pour chacun des volets, Alex Jestaire se tourne ici logiquement vers la carte de l’Impératrice, lame maîtresse, qui se voit illustrée avec une certaine ironie, dirons-nous. En effet, cette carte encourage traditionnellement à prendre sa vie en mains… Dans Audit, ce sont les deux figures féminines à la tête du groupe de consultants qui se chargent d’effectuer ce choix pour les entreprises et leurs employés, donnant l’impression que ces derniers ne sont que des pantins dont elles tirent les ficelles sans le moindre effort. Les facilités de communication incarnées par la lame sont représentées de manière littérale dans l’intrigue, tandis que l’intelligence qui lui est associée apparaît ici aussi froide que redoutable. Ce duo aussi implacable que complémentaire trône au sommet de l’intrigue et distille un charme vénéneux qui contamine tous ceux qui les entourent…

Tranchant radicalement avec les notes d’optimisme présentes dans Arbre et Invisible, Audit est cinglant d’un bout à l’autre, et parsemé d’un humour bien noir distinctif de l’oeuvre d’Alex Jestaire. Il se lit d’un bloc et, si l’on n’en retire peut-être pas tout à fait le même plaisir que les précédents en raison de son statut de livre de transition au sein de ces Contes, ce roman, encore une fois illustré de manière inspirée par Pablo Melchor, convainc toujours par le regard affûté et sans concession qu’il pose sur notre société tournée vers la performance, où les employés et cadres moyens sont fragilisés, et laisse augurer d’intrigants et inquiétants développements pour le 5e volume, qui paraîtra d’ici la fin d’année Au Diable Vauvert. Monsieur Geek possède à n’en pas douter encore quelques tours dans son sac…

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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