Caractéristiques
- Traducteur : Cyril Gay
- Auteur : David Grann
- Editeur : Éditions Globe
- Date de sortie en librairies : 7 mars 2018
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 363
- Prix : 22€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Une affaire de meurtres en série tombée dans l’oubli
C’est une histoire choquante et en grande partie oubliée qu’a exhumée le journaliste américain David Grann avec La note américaine aux décidément très pointues éditions Globe (Le corps du héros, Hillbilly Élégie…) : celle de crimes au début des années 20 visant systématiquement les indiens Osage, les seuls parmi les amérindiens à avoir fait fortune grâce aux puits de pétrole gisant sur leurs terres, tandis que la plupart des autres tribus vivaient dans la misère. Très médiatisée à l’époque, l’affaire fit grand bruit dans les journaux et pris de telles proportions que le F.B.I. (qui s’appelait alors Bureau of Investigation) s’en chargea directement. Cela deviendra leur première grande affaire résolue, si bien que l’on peut dire que la réputation du département à ses débuts reposait beaucoup sur la manière dont ces meurtres en série furent gérés, à tel point que des émissions radio retraçant les grandes lignes de cette enquête au long cours firent le bonheur des auditeurs dans les années 30.
Pour bien comprendre toute la difficulté posée par cette affaire, il faut savoir qu’à l’époque, l’organisation des forces de police était encore archaïque : la plupart des villes ou comtés possédaient un shérif et un adjoint, mais, sans contrôle véritable, la corruption était reine et les procès souvent arbitraires puisqu’il était monnaie courante d’acheter juges et jurés, de sorte que l’on pouvait très bien se sortir de n’importe quel mauvais pas tant que l’on avait l’argent pour. D’où l’importance des agents fédéraux sous la juridiction d’ Edgar J. Hoover, qui pouvaient intervenir dans certaines conditions bien précises. Cependant, lorsque commence cette sombre histoire, en 1921, l’entraînement et la formation désormais bien connus de l’école de Quantico n’avaient pas encore été mis au point, et le Bureau faisait appel sur le terrain aussi bien à des shérifs qu’à des têtes brûlées, voire des bandits convaincus de coopérer contre une remise de peine. Autant dire que les choses étaient donc très compliquées, rendant les avancées bien plus laborieuses qu’aujourd’hui.
Quant à ces meurtres spécifiques, ils furent malheureusement en partie utilisés pour attiser la haine envers les amérindiens, à une époque où ceux-ci étaient encore automatiquement mis sous tutelle, les empêchant d’accéder à une pleine citoyenneté. Comme le soulignait le commentaire désabusé d’un des représentants Osage dans un journal local à l’époque, la première difficulté était de trouver des témoins et des jurés qui considéreraient ces crimes comme des meurtres véritables, et non des « maltraitances sur des animaux ». En clair : les indiens étaient considérés comme des sous-hommes par une part significative du peuple blanc.
Une enquête retracée à la manière d’une fresque
Avec une infinie minutie et une pertinence de chaque instant, David Grann retrace les meurtres des indiens Osage comme on tisserait une toile : avec méthode et précision. Chaque détail compte et la manière dont il nous présente les différents protagonistes et nous immerge dans ces terres de minerai de l’Oklahoma nous ferait presque oublier qu’il s’agit d’un essai. Il y a en effet une vraie matière narrative et dramatique ici, sauf que tout est vrai. Pour parvenir à ce résultat, le journaliste a réalisé un travail d’investigation au long cours, en allant fouiller dans les archives du F.B.I. (entre autres) et des documents de première main, en rencontrant les descendants des témoins directs, également. Le résultat est tellement saisissant qu’on ne lâche pas le livre jusqu’à la fin. Cependant, La note américaine est tout sauf un roman à sensations : toujours respectueux des victimes et de l’histoire traumatisante du peuple Osage, David Grann a toujours le mot juste pour décrire les faits et la complexité de ce véritable enchevêtrement de meurtres et de suspects.
Si l’on vous laissera découvrir l’identité des coupables, la vérité fait froid dans le dos, à tel point que l’on s’étonnera de l’assourdissant silence dans lequel cette affaire est très vite retombée. Mais sans doute cela tient-il au refoulement de la culpabilité de l’Amérique quant au sort des amérindiens dans leur ensemble. Si cette affaire était délimitée à cette (autrefois) richissime tribu qui gagnait sa vie grâce aux droits d’exploitation des gisements de pétrole de ses terres , il suffit de préciser que chaque membre de la tribu actuelle a perdu au minimum un proche dans ce que l’on nomme encore aujourd’hui Le Règne de la Terreur pour en saisir l’ampleur : les meurtres se sont comptés par centaines, au-delà de l’affaire précise (et particulièrement sanglante) dont le Bureau of Investigation avait la charge. Des morts par balles, bombe ou empoisonnement qui avaient cela de terrifiant qu’ils étaient ouvertement systémiques. La paranoïa générée durant ces années devrait poursuivre de nombreux descendants, qui doutaient de leurs proches, de leurs voisins… Car, pour reprendre une formule bien connue, ici, tout le monde est suspect, et les faux témoignages s’accumulèrent durant des années.
Des personnages de cinéma pour une histoire bien réelle
Finalement, c’est en partie grâce au flair d’un shérif progressiste et droit dans ses bottes comme on n’en voit presque qu’au cinéma, Tom White, que l’affaire connut des avancées et fut finalement résolue. Cette figure inconnue du grand public — il ne fut pas représenté en tant que tel dans les films inspirés de l’affaire, Hoover s’en étant approprié une grande partie de la gloire — prouve que, même au coeur d’une période tourmentée, on pouvait trouver des représentants de l’ordre intègres. Surtout, David Grann montre à quel point White, même oublié parmi les agents du Bureau, avait tout d’un grand. Son parcours, même au-delà des années 20, pourrait d’ailleurs aisément faire l’objet d’un film tant le shérif, par la suite devenu directeur de prison, trompa maintes fois la mort.
Les autres protagonistes sont croqués avec la même précision et le même sens de l’à propos au sein de cet essai qui se présente comme une grande fresque rendant compte du triste sort des indiens Osage au début du XXe siècle. Un pan méconnu de l’histoire des États-Unis qui a semble-t-il inspiré Martin Scorsese, qui portera le livre de David Grann à l’écran en 2019 avec Robert DeNiro et Leonardo DiCaprio. En attendant, on lira avec attention ce véritable travail de fourmi qu’est La note américaine, qui se dévore avec la même aisance qu’un roman. Une lecture essentielle, alors que Donald Trump est passé outre un moratorium en début d’année afin d’installer des pipelines sur les terres des indiens Lakota, qui protestaient contre ce projet qui vient menacer leur réserve d’eau, mais également des terres considérées comme sacrées.