Caractéristiques
- Traducteur : Jean-Paul Jennequin & Aurore Schmid
- Auteur : Romano Scarpa
- Editeur : Glénat
- Collection : Les Grands Maîtres
- Date de sortie en librairies : 11 octobre 2017
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 360
- Prix : 29,50€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Un italien aux côtés de Floyd Gottfredson, Carl Barks et Don Rosa
Avec ce premier volume de 360 pages, Glénat inaugure son intégrale Romano Scarpa, présenté et reconnu comme « le plus américain » des illustrateurs italiens de l’univers Disney. Il faut dire que si l’éditeur a ces dernières années publié trois intégrales exceptionnelles dans sa collection Les Grands Maîtres (Floyd Gottfredson, Carl Barks et Don Rosa), celles-ci concernaient uniquement des auteurs d’Outre-Atlantique, dont deux ayant travaillé directement en collaboration avec Walt Disney de son vivant, tandis que les innombrables auteurs italiens publiant des histoires dans la revue Topolino (ensuite disponibles dans Le journal de Mickey ou Picsou Magazine chez nous) n’ont jamais vraiment bénéficié de la même aura.
Pourtant, parmi eux, Romano Scarpa se démarque fortement grâce à son talent de narrateur visuel, qui lui vaut des comparaisons avec Carl Barks, le « père » de Picsou et dessinateur des BD Donald Duck. Un talent qu’il aura tout loisir de développer au service de l’univers Disney, puisqu’il publie des bandes-dessinées de Mickey, Donald et tous leurs amis de 1953 à 1989 ! Une longévité suffisamment rare pour être soulignée, et qui lui permet, après des débuts en tant que « simple » illustrateur, de proposer ses propres histoires et de créer un certain nombre de personnages. Les américains ne s’y trompent pas et publient également ses histoires dans les revues proposant des BD Disney, alors que ces publications étaient généralement dédiées au marché européen. Et aujourd’hui, consécration ultime, Glénat propose cette intégrale au même titre que ses illustres confrères. Une collection dont on ignore encore le nombre de volumes, mais qui devrait sans doute être aussi volumineuse que celle de La dynastie Donald Duck étant donné les 35 ans de travail de Romano Scarpa pour Topolino.
Une prestigieuse intégrale de grandes histoires Disney
D’un point de vue formel, Les grandes aventures Disney reprend la même présentation que l’intégrale Carl Barks : un album de 360 pages moyen format à la couverture souple, dont la tranche est numérotée et arbore un morceau d’illustration destinée à former un grand dessin à mesure que le lecteur complète sa collection et range les livres les uns à côté des autres. Chaque volume contient des dossiers thématiques autour de l’oeuvre de l’artiste, ainsi qu’une fiche-personnage en annexe et, bien évidemment, chaque histoire est introduite par une fiche technique indiquant la date des premières publications italienne et française, ainsi qu’une ou plusieurs couvertures d’époque, une mise en contexte ou quelques anecdotes au sujet de sa création.
Penchons-nous à présent sur ce premier tome. Première surprise, qui donne tout son sens au nom de la collection : les histoires illustrées par Romano Scarpa sont longues ! Pour vous donner une idée, chaque volume de l’intégrale Carl Barks contenait en moyenne une vingtaine de bande-dessinées. Dans ce premier volume, pour le même nombre de pages, on ne trouve que… 8 histoires ! Il faut dire que dès la première grande aventure présentée ici (Le double secret du fantôme noir), Romano Scarpa frappe fort : 76 pages ! L’histoire la plus courte (en dehors de 12 pages d’almanach ayant autrefois servi d’intermède aux BD du numéro de Noël) elle, fait 35 pages, soit la longueur moyenne des histoires les plus longues de Carl Barks. De fait, cela introduit une structure et un rythme tout à fait différents puisque les plus longues aventures étaient publiées en plusieurs parties, qui pouvaient s’étaler jusqu’à un mois, à raison d’une partie par semaine.
Des aventures riches en rebondissements, visuellement inspirées
On retrouve ainsi des histoires aux rebondissements multiples, un peu à la manière de ce que pouvait faire Floyd Gottfredson (le dessinateur de Mickey) en son temps, mais en bien plus farfelu. Tout en respectant les personnages et l’esprit Disney, Romano Scarpa et les scénaristes avec lesquels il travaillait — il n’a entièrement écrite que la dernière histoire de ce premier volume — avaient en effet le chic pour embarquer les héros de notre enfance sur des pistes assez étonnantes. Par exemple, qui aurait cru qu’un artiste aurait osé imaginer une et même plusieurs suites au chef d’oeuvre Blanche-Neige et les sept nains en format BD ? Eh bien, Romano Scarpa et Guido Martina l’ont fait !
Le résultat est extravagant, pas forcément entièrement raccord avec l’oeuvre originale par le ton complètement fou — dans la 2e histoire, un perroquet quasi-identique à celui du dessin animé Les trois caballeros prête main forte aux nains pour sauver encore une fois la princesse — mais étrangement fascinant et divertissant. Alors bien sûr, il y a beaucoup de naïveté et Blanche-Neige est encore plus passive que dans le long-métrage (et ne parlons même pas du prince charmant, tout à fait accessoire), mais les facéties des nains, la mise en avant inattendue de Timide et les pièges des sorcières donnent un charme certain à l’ensemble, dans un esprit 100% BD.
Parmi les autres histoires, « Le double secret du fantôme noir » et « Le carnaval de Donald-Picsou », pour ne citer que ces deux-là, sont d’une telle réussite, aussi bien narrative que formelle, qu’elles n’ont aucunement à rougir devant les classiques de leurs confrères américains. La première aventure voit le grand retour de l’un des plus redoutables ennemis de Mickey, le fantôme noir, qui décide de faire accuser la souris aux grandes oreilles de vol et meurtre afin de se venger. Mêlant hypnose, rebondissements et mystère, cette histoire-phare maintient le lecteur en haleine jusqu’à la fin, grâce à une excellente intrigue policière brillamment illustrée. Tout le talent de Romano Scarpa est de ne jamais en faire trop : son style paraît de prime abord simple, mais que l’on ne s’y trompe pas, la construction des cases et le découpage, rigoureux, sont d’une efficacité redoutable et donnent lieu à des images qui restent en tête. L’artiste a bien su saisir la dimension universelle de l’art de Walt Disney, ce petit quelque chose qui semble couler de source mais est en réalité assez difficile à reproduire. Que Mickey et ses amis fêtent Noël ou enquêtent, l’esprit Disney et son humour si particulier sont bien présents, et les histoires nous font replonger en enfance avec plaisir le temps de ces 8 aventures hautes en couleur.
Quand Mickey et Donald croisent le Chapelier Fou et Jiminy Cricket
A noter aussi que l’une des particularités de l’oeuvre de Romano Scarpa est de mêler aussi bien les univers de Mickey et Donald, qui ne sont plus étanches comme cela était de rigueur, mais aussi de faire intervenir des personnages des longs-métrages au sein de ces mêmes histoires, comme le Chapelier Fou d’Alice au pays des merveilles dans « Le double secret du fantôme noir », ou bien Jiminy Cricket de Pinocchio dans « Mystère en sauce », la toute première BD écrite et réalisée intégralement par l’artiste. En parlant de cette dernière aventure, on notera que pour son tout premier scénario original, Romano Scarpa fait preuve d’une ambition et d’une maîtrise narrative assez étonnantes : il invente dans le même temps un frère journaliste d’investigation à Picsou, et s’inspire du film noir pour tisser une enquête farfelue mais néanmoins assez complexe, parsemée de références. Un vrai plaisir de lecteur cinéphile, donc ! Quant au « Carnaval de Donald-Picsou », où le canard colérique décide de revêtir le costume et le chapeau haut de forme de son oncle, le jeu de quiproquos fonctionne parfaitement et donne lieu à des péripéties tout à fait jouissives que n’aurait pas reniées Barks.
Au final, ce tome 1 des Grandes aventures Disney par Romano Scarpa se révèle un incontournable pour tout amateur des bandes-dessinées Disney. En dehors du superbe travail éditorial effectué par Glénat pour retrouver, restaurer les différentes planches et mettre ce patrimoine en valeur, ce beau livre permet de jeter un autre regard sur la production transalpine, déjà objet de volumes plus grand public (tels que Fantomiald) mais souvent mésestimée. Si peu de personnes connaissent les noms des artistes italiens à l’origine des aventures éditées dans les revues européennes, le parti pris de Glénat de mettre en lumière l’oeuvre de Romano Scarpa, d’une cohérence et d’une richesse réelles, est l’occasion de se pencher sur ce pan important des bandes-dessinées Disney, qui est souvent en France celui par lequel nous avons découvert les aventures de Mickey, Donald et Picsou en dehors du petit et du grand écran. Une lecture aussi plaisante qu’enrichissante. En un mot : indispensable.