Caractéristiques
- Auteur : Nadia Nakhlé
- Editeur : Delcourt
- Collection : Mirages
- Date de sortie en librairies : 18 mars 2020
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 224
- Prix : 25.50€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Un récit fort et onirique sur l’enfant face à la guerre et à l’exil
Artiste touche à tout (auteure, réalisatrice, dessinatrice, metteur scène), Nadia Nakhlé signe avec Les oiseaux ne se retournent pas, publié dans la collection Mirages des éditions Delcourt (Florida), un roman graphique onirique et poignant sur le thème de l’en enfance en exil. Un thème d’actualité, exploré régulièrement dans les arts, et sur lequel l’auteure pose un regard juste et sensible.
En suivant le début des aventures d’Amel, cette petite fille qui doit fuir la dictature de son pays moyen-oriental (jamais nommé), poussée par des grands-parents désireux de lui offrir un avenir meilleur, on ne peut s’empêcher de penser au Persépolis de Marjane Satrapi. Les proches exécutés, la peur que l’on essaie de dissimuler, les pressions exercées au quotidien… Tout cela se retrouve dans l’œuvre de Nadia Nakhlé.
Cependant, là où Marjane Satrapi jouait parfois sur un humour mordant – notamment dans l’adaptation animée de sa BD – Nadia Nakhlé préfère se tourner vers un onirisme poétique. Cette tonalité singulière qui imprègne de nombreuses scènes de l’album permet au lecteur de mieux comprendre l’état d’esprit de la jeune héroïne, qui doit s’aventurer dans l’inconnu sans véritables repères, alors que le danger guette à chaque instant. Ces intermèdes poétiques placent Amel face à cette force plus grande que nature qui la dépasse. Ils font jaillir l’espoir qui l’anime et son envie de vivre, mais aussi sa peur face à des éléments qu’elle ne peut contrôler. Comment survivre et aller de l’avant quand un seul geste, un seul regard, un seul faux pas peuvent nous être fatals ?
Une musique synonyme d’espoir
“Nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir.” C’est sur cette citation de Mahmoud Darwich, figure emblématique de la poésie palestinienne, que s’ouvre Les oiseaux ne se retournent pas, et ce n’est pas pour rien : il s’agit là de la sève de l’album, qui en nourrit chaque page et accompagne l’héroïne dans son périple jusqu’à la France.
La rencontre d’Amel avec Bacem, jeune musicien enrôlé de force dans l’armée avant de la déserter, est ainsi placée sous le signe de cet espoir qui vacille parfois mais ne cède jamais face à la cruauté du monde. Et quel plus beau moyen de communiquer l’espoir que la musique ?
Grâce au oud dont joue le jeune homme, un lien profond se crée entre eux. La musique exprime une émotion que l’ancien militaire a du mal à exprimer par les mots, et elle les relie également à leur pays et leurs racines, par-delà la folie de la guerre et des hommes. Bacem tente de protéger Amel, tandis que l’adolescente s’efforce de lui redonner goût à la vie.
Un roman graphique maîtrisé aux dessins somptueux
Divisée en 7 grands chapitres et un épilogue, la bande dessinée de Nadia Nakhlé fait naître une émotion durable, et nourrit une véritable réflexion sur la résilience et les trajectoires humaines marquées par l’exil et la violence des conflits mondiaux. Sans manichéisme ni pathos, l’auteure se débarrasse de tout superflu et reste éloignée des considérations géopolitiques (la nationalité des personnages n’est jamais précisée) pour se concentrer sur la dimension humaine du voyage de ses personnages, “oiseaux migrateurs” tentant d’arriver à bon port (mais lequel ?) sans être foudroyés en plein vol.
Visuellement, cela se traduit par un style épuré et des teintes sombres, rehaussées par une ou deux touches de couleur sur certaines cases. Le découpage et la mise en page, dynamiques, évoluent d’un chapitre à l’autre pour s’adapter au mieux à l’histoire. Nadia Nakhlé n’hésite pas, également, à gommer la frontière entre certaines cases, et nous embarque ainsi d’autant plus facilement dans l’atmosphère onirique de sa BD. Certaines planches forment ainsi des tableaux somptueux, qui restent longtemps en tête après avoir refermé l’album.
Comme cette double page en noir et blanc où le dos de la jeune Amel se confond avec le désert que doivent traverser les réfugiés. Comme si la jeune fille en exil se faisait l’incarnation de cette terre en souffrance, qui continue malgré tout d’incarner une certaine image de la nature protectrice et nourricière. Une autre image, terrible, se superpose également à cette planche : celle des photos d’enfants réfugiés tombés du bateau lors de la traversée, et photographiés morts, échoués sur le rivage. Ce dessin servant de transition entre la fin de la traversée (où l’héroïne se jette à l’eau) et l’arrivée de l’autre côté, cela n’est évidemment pas un hasard.
On pourrait relever bien d’autres trouvailles visuelles et passages marquants au sein de ces 224 pages que l’on dévore, en s’attardant régulièrement sur une planche comme on contemplerait un tableau, mais ce qui domine en refermant ce one shot, c’est la force de la vision de Nadia Nakhlé, qui possède un univers résolument personnel, tant dans le fond que dans la forme, et sa maîtrise. On a donc hâte de découvrir l’adaptation cinématographique des Oiseaux ne se retournent pas, sur laquelle travaille actuellement l’artiste. Un de nos grands coups de cœur BD du 1er semestre 2020.