Caractéristiques
- Titre : Norferville
- Auteur : Franck Thilliez
- Editeur : Fleuve éditions
- Date de sortie en librairies : 2 Mai 2024
- Format numérique disponible : oui
- Nombre de pages : 456
- Prix : 22,90 €
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- Note : 8/10 par 1 critique
C’est le printemps, c’est donc l’heure du nouveau Franck Thilliez ! Et un vent de fraîcheur accompagne la sortie de ce huitième roman hors saga Sharko-Hennebelle, Norferville, publié en ce mois de mai chez Fleuve éditions.
Direction le Grand Nord
C’est en effet dans le Grand Nord, et plus particulièrement au Québec, que le maître du thriller français nous entraîne, bien loin de ses quartiers récurrents parisiens ou ch’tis. Un tout nouveau personnage, Teddy Schaffran, détective et criminologue à Lyon, apprend que le corps mutilé de sa fille de 29 ans a été retrouvé dans une ville minière très isolée, à Norferville, Canada. Abandonnant tout, il part dans ces terres hostiles et froides pour comprendre ce qui s’est passé et fera la connaissance d’une policière métisse, Léonie Rock, contrainte elle aussi de renouer avec l’endroit où elle est née et où, quelques années plus tôt, elle a vécu un drame…
Avec cette nouvelle aventure, Franck Thilliez prouve une fois de plus qu’il n’a pas fini de nous faire frissonner, et démontre surtout une capacité incroyable à se renouveler. Le cadre de son intrigue est, en effet, plutôt insolite : une ville lointaine et glaciale, uniquement accessible en train et petits avions, et inspirée de la véritable commune de Schefferville au Canada. Le romancier déclare avoir eu envie de s’évader « dans une nature encore très préservée, mais souillée par l’homme et son envahissement ». Une nature qui nous pousse dans nos retranchements face à une météo épouvantable et une solitude forcée, et qui montre à quel point nous sommes insignifiants et vulnérables dans ces vastes territoires. A l’image de la splendide couverture en soft touch du roman, blanche et énigmatique, Thilliez plonge son lecteur dans cette immensité blanche et lui fait ressentir le froid, à chaque page tournée.
Norferville est un personnage à part entière du récit, inquiétante, glacée et impitoyable, et l’on sent immédiatement que l’auteur s’est beaucoup documenté – comme à son habitude – et s’est imprégné du lieu et de ses habitants, afin de délivrer l’histoire la plus crédible et immersive possible. Chaque description est précise et sensorielle, et l’on a parfois l’impression que le cadre est plus important que l’intrigue même, chose à laquelle Thilliez nous avait peu habitués jusqu’alors.
Un nouveau page-turner
Une chose qui, par contre, ne nous surprend pas, est l’écriture addictive de l’auteur et sa capacité à dépeindre une atmosphère angoissante et prenante. Les phrases sont courtes et précises, et les dialogues incisifs et efficaces. Thilliez va à l’essentiel et le fait avec talent, sans pour autant négliger son style ou apparaître trop simpliste. Certains passages descriptifs et quelques métaphores bien choisies montrent que cette capacité à aller droit au but ne se fait pas au détriment de la qualité de sa plume. Par ailleurs, bien que le suspense soit moins intense que dans ses autres polars – l’auteur préférant créer un roman d’ambiance plutôt qu’un véritable thriller – il agrémente la fin de certains chapitres de cliffhangers haletants, contraignant son lecteur à rester accroché à ses pages.
Dans Norferville, deux personnages font avancer de front l’intrigue : Teddy et Léonie. Ces deux êtres éprouvés par la vie se révèlent très attachants et bien caractérisés, créant une immédiate empathie de la part du lecteur. Comme à son habitude, Thilliez s’amuse à les placer dans une situation impossible, tous deux étant beaucoup trop impliqués pour s’occuper de l’enquête : Teddy n’est autre que le père de la victime, chargé malgré tout d’aider les forces de l’ordre grâce à ses talents de détective privé, tandis que Léonie a des comptes à régler avec les autorités locales et profite de son statut de policière pour résoudre une affaire personnelle. Pourtant, ce duo électrique fonctionne à merveille, et l’auteur parvient à rendre le tout vraisemblable… ou presque.
Enfin, bien qu’il se situe dans de vastes espaces naturels, le roman est un huis clos extrêmement efficace : Norferville et ses abords sont totalement isolés, avec très peu de moyens et de communications avec l’extérieur, ce qui rend l’enquête particulièrement difficile. Personne ne semble pouvoir s’échapper de cet endroit maléfique, qui piège ses habitants par des conditions de vie extrême et des tempêtes imprévisibles. Prisonniers du blizzard, les personnages n’ont d’autre choix que de rester ensemble…. probablement aux côtés de l’assassin.
Un thriller social rafraîchissant
Avec Norferville, Franck Thilliez s’éloigne de son format traditionnel : intrigue élaborée et labyrinthique, dénouement percutant et structure extrêmement travaillée. Ici, point de puzzle ou d’énigme, pas de révélation scientifique ou artistique, mais plutôt un récit qui flirte avec le roman noir. Ne délaissant pas pour autant sa volonté d’instruire, il choisit cette fois de raconter la vie dans le Grand Nord et les affres de sa population. Le roman s’apparente donc avant tout à un drame humain et social.
Comme l’auteur le revendique, le meurtre de son histoire sert surtout de prétexte à une enquête qui mettra en lumière des faits de société, démontrant que les monstres sont partout, même dans les endroits les plus reculés de la planète. Un des sujets de fond du livre est ainsi l’agression des peuples autochtones et amérindiens par une population blanche qui cherche à exploiter leur territoire, par égoïsme et cupidité. Des crimes commis dans le plus grand des secrets, au cœur de ces terres lointaines et méconnues.
Sans trop en dire, Thilliez aborde la surreprésentation de la violence et des meurtres dans les communautés autochtones, notamment les violences faites aux femmes. S’appuyant sur une enquête menée en 2015 au Canada, il dénonce le laxisme des différents gouvernements face à ces délits, aussi bien à l’intérieur des communautés – des maris sur les épouses – qu’à l’extérieur, avec les abus de pouvoir des policiers sur les Innus. L’auteur déconstruit l’image que l’on pourrait se faire des réserves réparties dans tout le Grand Nord, et s’indigne des décennies d’injustices subies par les populations locales, de la destruction de leurs terres, de la violente déculturation imposée par les colons, et des maltraitances à répétition.
Avec Norferville, Franck Thilliez démontre encore une fois son talent et sa maîtrise, tout en réussissant le pari risqué de se renouveler. Nouveau cadre, nouveaux personnages et choix d’une intrigue flirtant avec le drame social… Plus rien ne semble faire peur au numéro un du rayon polar français. Et il a bien raison : on en redemande à chaque fois !