Caractéristiques
- Titre : La petite maison dans la prairie Livres 1 & 2
- Traducteur : Hélène Seyrès
- Auteur : Laura Ingalls Wilder
- Editeur : Flammarion Jeunesse
- Date de sortie en librairies : 30 octobre 2024
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 320 & 352 pages
- Prix : 15,90 euros par volume
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- Note : 8/10 par 1 critique
A l’occasion, cette année, des 90 ans de la publication du premier volume de La petite maison dans la prairie, Flammarion Jeunesse réédite la célèbre série littéraire jeunesse de Laura Ingalls Wilder dans une jolie édition reliée. L’occasion de nous pencher sur ce phénomène littéraire, surtout connu en France via la série culte (1974-1983) fréquemment diffusée sur M6 et de découvrir les deux premiers tomes d’une saga en comptant huit.
40 ans avant la série télé… une saga littéraire jeunesse à succès
Si vous avez grandi dans les années 80-90, il y a de fortes chances pour que vous ayez vu et revu tout ou partie de la série culte La petite maison dans la prairie avec Michael Landon, Melissa Gilbert et une toute jeune Shannen Doherty. Mais, au moment où la diffusion de la série débuta aux États-Unis en 1974, l’histoire de la famille Ingalls était déjà connue des Américains puisque La petite maison dans la prairie fut avant tout une saga littéraire destinée à la jeunesse, et signée de la main de Laura Ingalls Wilder qui, à l’âge de 63 ans, commença à écrire autour de sa jeunesse en tant que fille de pionniers américains partis du Wisconsin pour le Missouri puis le Kansas (entre autres) à la recherche d’une vie meilleure, mais faisant régulièrement face à des situations pour le moins difficiles, voire dramatiques.
La première version non censurée de ce récit, Pioneer Girl, écrit en 1930, fut considéré comme trop dur et violent et il fallut attendre 2014 pour qu’il soit enfin publié, annoté… et remporte le prix Pulitzer à titre posthume. Sur les conseils d’un éditeur et de sa propre fille, Rose, Laura réécrivit alors une grande partie du manuscrit afin qu’il puisse s’adresser à des enfants. Dans les romans, l’écrivaine retranscrit alors les événements vécus par sa famille tels qu’elle les percevait enfant… en laissant volontairement de côté les faits les plus durs, bien que les différents volumes fassent état de conditions de vie clairement difficiles, face auxquelles la famille Ingalls se montre résiliente. « Je n’ai dit que la vérité, mais pas toute la vérité », dit-elle ainsi de son œuvre dans une citation retranscrite en postface dans la courte bio présente à la fin de chaque volume. « Je voulais raconter certaines histoires mais cela n’aurait pas été raisonnable de les mettre dans un livre pour enfants, même si je les ai moi-même vécues étant enfant ».
La conquête de l’Ouest vue à hauteur d’enfant
Pour ce faire, l’autrice fait le choix de découper son récit en une série de courts chapitres présentés dans l’ordre chronologique, mais se focalisant chacun sur des tranches de vie de la famille ou bien de Laura et sa sœur Marie à l’école, qui seront confrontées à cette chipie de Nellie Olson, insupportable fille de marchands, lorsque la famille quitte le Kansas pour Walnut Grove dans le Minnesota. La cible, étant, à l’époque de la parution du premier tome, les enfants de 8 ans et plus, Laura Ingalls Wilder adopte volontairement un style plus simple dans le premier tome. Celui-ci, ainsi que les descriptions au sein de la narration et les situations décrites, se complexifieront dès le second tome, permettant ainsi aux jeunes lecteurs de continuer à suivre la série à mesure qu’ils grandissent.
Cette évolution coïncide également avec l’âge de Laura dans chaque volume puisque, lorsque La petite maison dans la prairie – Livre 1 commence, Laura est une petite fille (son âge n’est même pas précisé dans les premiers chapitres) qui atteindra tout juste les 8 ans lorsque son âge est mentionné dans le Livre 2. Dans les faits, les Ingalls quittent le Wisconsin alors que Laura n’a que 2 ans et ils partent du Kansas, où se trouve la réserve des indiens Osage, alors que Laura n’a que 4 ans.
Ce parti pris se ressent véritablement à la lecture de ces deux volumes, la traductrice Hélène Seyrès ayant conservé le style de Ingalls Wilder. Ainsi, la première moitié du Livre 1 possède des phrases à la fois plus courtes et plus simples dans leur construction. La petite sœur de Laura et Marie, Carrie, est mentionnée comme « bébé Carrie » et les parents, Charles et Caroline, comme Papa et Maman. Néanmoins, malgré cette apparente simplicité enfantine, on sent déjà, à travers de nombreuses descriptions, de vraies qualité d’écriture et de narration de la part de l’autrice, qui avait régulièrement écrit pour la presse agricole à partir de 1911 avant de commencer à rédiger ces mémoires romancées. Ces qualités ne feront que s’affirmer dans le Livre 2, où les chapitres se rallongent et où les conditions de vie de la famille sont dépeintes de manière plus étoffée.
Laura Ingalls Wilder décrit notamment la construction des différentes maisons – la famille dort les premières années sur des couchages faits de branches et feuillages avant d’avoir une maison avec des fenêtres et un four qui leur paraît alors luxueuse. Mais aussi les moyens de subsistance de la famille, reposant principalement sur les récoltes. Lorsqu’une récolte est ruinée par les sauterelles, Charles se voit par exemple contraint de quitter sa famille pour travailler dans les champs dans l’Iowa, leur envoyant une partie de son salaire tandis que son épouse continue à travailler d’arrache-pied pour subsister avec leurs filles en attendant son retour.
Des romans qui permettent une approche pédagogique de l’histoire des Etats-Unis
Aujourd’hui, La petite maison dans la prairie est une série de livres davantage adaptée aux enfants à partir de 10-12 ans (en fonction du niveau de lecture), et qui se révèle également passionnante pour les adultes amateurs de littérature jeunesse et s’intéressant à l’histoire des États-Unis. A cet effet, il faut garder en tête le fait que, bien que Laura adulte défendait fréquemment les amérindiens, ses romans retranscrivent la vie et les vues et perceptions d’une famille de pionniers du Midwest dans la seconde moitié du XIXe siècle. Époque où, clairement, la vision des Indiens d’Amérique était très cliché puisqu’ils étaient vus, au pire comme des sauvages sanguinaires et, au mieux comme de « bons sauvages » – pas méchants, mais sans éducation, « incultes », et donc idiots.
Les pionniers pensaient avoir tous les droits sur le territoire car c’était le message politique qui leur était communiqué à l’époque comme une réplique de la mère le laisse entendre en creux : si l’Amérique était encore une terre « vierge » et sauvage, cela voulait bien dire que les amérindiens n’étaient pas aptes à y construire une société « civilisée » où les richesses de cette terre pourraient fructifier. Donc quiconque capable de semer, cultiver la terre et construire des villes était encouragé à tout quitter pour cela…
Ce qui donna lieu à quelques déconvenues pour de nombreuses familles, dont les Ingalls, qui s’étaient mis en route pour le Kansas car ils avaient entendu dire que les pionniers y seraient bien accueillis. Or, les terres sont en réalité peuplées par les indiens Osage et d’autres tribus, donnant lieu à des conflits, en partie retranscrits (de manière effrayante pour un enfant mais néanmoins non violente) dans un chapitre du Livre 2. La famille finit par entendre dire que les pionniers du Kansas, qui n’avaient aucun droit de s’installer en territoire indien, n’auraient pas gain de cause, et la famille doit alors repartir avant même que cela soit officialisé face aux menaces de violences, malgré la protection relative d’un indien Osage, qui empêche d’autres indiens de massacrer les familles de pionniers.
On sent d’ailleurs l’empathie et le regard plus mûr de la Laura adulte à travers certaines phrases et partis pris des livres. Ainsi, alors que Laura toute petite fille fait un caprice à ses parents pour aller voir des « papooses » (bébés indiens), puis veut en avoir un comme s’il s’agissait d’un poupon quitte à l’arracher à sa mère quand la famille croise des mères avec leurs bébés, et que Laura et Marie sont terrifiées dès que des indiens se rendent dans leur maison pour y manger sans y être invités avant de repartir (ce qui se comprend dans le contexte de l’époque et encore plus pour des petites filles), les rencontres suivantes de la famille et le constat dressé par Laura permettent de nuancer en partie ces préjugés. Si la famille reste méfiante, les amérindiens sont montrés comme davantage pacifiques,
Laura attribue également une réplique positive à sa sœur Marie, interrogeant le droit des pionniers à prendre la terre des indiens et à les obliger à partir. Et le comportement du père, Charles, qui considère au début, comme beaucoup de pionniers, qu’un « bon indien est un indien mort » évolue également, ainsi que son regard, ce que l’auteure appuie également par ses commentaires. En cela, les livres sont une belle occasion d’aborder l’histoire de la colonisation de l’Amérique du Nord avec les enfants en prenant appui sur le témoignage, fut-il quelque peu atténué et romancé, d’une fille de pionniers confrontée à plusieurs reprises à des déménagements d’État en État.
A ce sujet, il est d’ailleurs utile de préciser que (dans ces deux premiers tomes au moins, même si cela semble également être le cas du reste de la série) La petite maison dans la prairie n’est pas une œuvre ayant une vocation idéologique. Son auteure, démocrate devenue par la suite davantage « conservatrice » (au sens où elle était contre Roosevelt en raison de sa politique à l’encontre des fermiers… au moment de la Grande Dépression, qui fut particulièrement violente), n’en était pas moins féministe sur de nombreux sujets. Elle créa également à l’époque un mini « événement » en serrant publiquement la main d’un médecin afro-américain ayant sauvé la vie de sa famille dans le Missouri en pleine ségrégation raciale.
Une plongée passionnante dans le quotidien d’une famille de pionniers américains
Pour en revenir (et conclure) à ces deux premiers tomes, la principale qualité de La petite maison dans la prairie est de nous immerger de manière simple et vivante, à hauteur d’enfant, dans les aventures de cette famille américaine en quête d’une vie meilleure, et dont le principal soucis est d’assurer la subsistance de ses membres avant de pouvoir bénéficier d’un confort tout relatif. Ainsi, chaque chose (faire des courses, s’installer quelque part, aller à l’école…) devient une aventure semée d’embûches. Les livres possèdent également une part d’humour, qui est surtout affirmée, au-delà des traits d’esprit et espiègleries de Laura enfant, lorsque la famille s’installe sur la berge d’un ruisseau à Walnut Grove et que les filles font la rencontre de cette chipie de Nellie Olson à l’école. Les premières apparitions de la fillette aux boucles blondes sont d’ailleurs très fidèles à la vision du personnage de la série télé.
On saluera enfin le choix de rééditer la saga jeunesse sous la forme de jolis livres reliés aux couvertures pastel, avec des illustrations enfantines élégantes de différents éléments liés à l’Amérique du XIXe siècle ou évoqués dans les romans (la petite maison, un train, un chariot, des fleurs, des animaux…) et un titre en dorure. L’intérieur des livres, épuré et élégant, est agréable à lire grâce à une maquette aérée, une police de taille raisonnable et à la présence de petites fleurs (différentes en fonction des volumes) au début de chaque chapitre.
Au final, La petite maison dans la prairie est une belle (re)découverte pour les adultes ayant grandi avec la série télé et constituera une belle lecture, agréable et pédagogique, pour les jeunes lecteurs à partir de 10-12 ans, qui permettra d’aborder l’histoire des États-Unis et leur fondation à partir d’un récit à hauteur d’enfant, écrit par une fille de pionniers.