Caractéristiques

- Titre : La Condamnation des vivants
- Traducteur : Françoise Bouillot
- Auteur : Marco De Franchi
- Editeur : Albin Michel
- Collection : Thriller
- Date de sortie en librairies : 28 mai 2025
- Format numérique disponible : oui
- Nombre de pages : 576
- Prix : 22,90 €
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Ancien commissaire divisionnaire, Marco De Franchi connaît l’univers policier de l’intérieur. Passé par le prestigieux Servizio Centrale Operativo – le SCO, sorte de FBI à l’italienne – il a passé des années à traquer le crime avant de se consacrer à une autre passion : l’écriture. Avec La Condamnation des vivants, best-seller en Italie désormais publié en France chez Albin Michel, il signe un polar dense, haletant, nourri d’art et d’expérience vécue. Une entrée en scène remarquée pour cette nouvelle voix du thriller transalpin.
Une enquête haletante et macabre
Tout commence dans une petite ville de Toscane. Fosco Agnelli, douze ans, est retrouvé errant, nu et totalement désorienté. Une fugue, pensent d’abord les policiers, car ce n’est pas la première fois que le jeune garçon se fait la malle. Mais Valentina Medici, brillante et jeune commissaire du SCO, flaire autre chose. Ses doutes se confirment lorsqu’un autre adolescent, étrangement similaire à Fosco, est enlevé à deux cents kilomètres de là. Même visage, même âge. Une série de disparitions inquiétantes se profile à travers l’Italie…
Avec La Condamnation des vivants, Marco De Franchi signe un thriller dense (plus de 500 pages) mais fluide et addictif, avec de nombreux cliffhangers. Les chapitres, courts et rythmés, s’enchaînent très habilement et la tension va crescendo tout au long du roman. L’enquête, suivie en temps réel, alterne entre lenteurs réalistes et rebondissements fulgurants. Le lecteur ressent l’errance des policiers, leurs hésitations, et navigue au milieu de fausses pistes, de témoignages ambigus, et de données à analyser.
Le travail de fourmis des enquêteurs est minutieusement reconstitué. Si certains rebondissements sont attendus – un élément clé se devine bien avant que les policiers ne le découvrent – l’ensemble reste redoutablement efficace, car derrière la noirceur des faits, on devine l’ombre d’une machination tentaculaire, et une affaire d’une ampleur insoupçonnée.
Portrait d’Italie, entre tradition et modernité
La Condamnation des vivants est un véritable voyage à travers l’Italie, ses paysages, et surtout ses œuvres. Marco De Franchi, passionné d’histoire de l’art, infuse à son thriller une dimension esthétique fascinante. Car ici, l’art n’est pas qu’un décor. Il devient une obsession, une signature morbide. Le tueur transforme ses délires en performances macabres, inspirées des tableaux du Caravage. Pour le lecteur curieux, chaque allusion picturale est une invitation à aller chercher, à découvrir ou redécouvrir les toiles mentionnées.
Face à cette obsession du passé, la modernité se déploie dans toute sa complexité. L’auteur connaît parfaitement les rouages de la machine policière italienne. Il a travaillé au SCO, qu’il dépeint ici avec une précision documentaire. Surveillance, reconnaissance faciale, plaques d’immatriculation : les technologies d’investigation sont omniprésentes et détaillées avec rigueur. Tout autant à la pointe, les criminels exploitent les recoins les plus sombres d’Internet : forums cryptés et Dark web deviennent les coulisses d’une violence planifiée et insaisissable.
À cette Italie de l’innovation policière répond une Italie en proie à ses vieux démons : guerres d’influence, bureaucratie opaque… La Condamnation des vivants n’est pas qu’un roman d’enquête : c’est aussi un portrait complexe, parfois critique, d’un pays pris entre admiration pour son passé et lutte pour rester maître de son présent.
La part d’ombre des enquêteurs
Marco De Franchi crée une galerie de personnages finement brossés, complexes et humains. Valentina Medici incarne une figure forte, déterminée et instinctive. A ses côté, Fabio Costa – ancien flic brillant désormais relégué dans un obscur commissariat de province – traîne derrière lui un passé trouble. Charismatique mais hanté par les regrets, il devient vite l’un des piliers de l’enquête. Quant au jeune Piovesan, tout juste sorti de l’école de Police, il apporte une fraîcheur bienvenue, oscillant entre maladresse et sincérité. Une romance s’invite assez vite dans le récit. Mais elle n’apporte rien de réellement marquant, et reste en marge d’une intrigue bien plus puissante.
L’auteur ne s’intéresse pas à des enquêteurs lisses ou héroïques. Il les veut ambigus et traversés de contradictions. Dans un roman où l’on parle d’enlèvements d’enfants, de crimes atroces et de détails glaçants, cette approche réaliste renforce la densité du récit. L’un des policiers, corrompu et en lien avec la presse, vient notamment semer la confusion. Mais c’est le cas de Fabio Costa qui trouble le plus : accusé d’agression sexuelle, il voit son intégrité remise en doute. Ce retournement place le lecteur dans une position inconfortable : peut-on encore s’attacher à un personnage dont la morale vacille ? Cette thématique délicate, bien que pertinente, est malheureusement traitée avec une certaine maladresse, comme si le roman hésitait à trancher.
Avec La Condamnation des vivants, Marco De Franchi réussit un coup de maître : mêler la rigueur du polar à une réflexion plus large sur l’Italie contemporaine, son héritage artistique et ses zones d’ombre. Dense mais fluide, macabre et violent quand il le faut, le roman séduit par la richesse de sa documentation et la tension constante qui s’en dégage. S’il trébuche parfois sur certains choix narratifs, il n’en reste pas moins une lecture marquante, servie par une plume efficace et ancrée dans le réel.