Caractéristiques

- Titre : Qui veut la peau de Roger Rabbit ?
- Traducteur : Jacques Fuentealba
- Auteur : Gary K. Wolfe
- Editeur : Ynnis Editions
- Date de sortie en librairies : 8 janvier 2025
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 448
- Prix : 19,95 €
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 8/10 par 1 critique
Depuis plusieurs années, les éditions Ynnis publient les œuvres originales ayant inspiré des films cultes, et notamment des dessins animés comme ceux des studios Ghibli. Cette fois-ci, ils nous proposent de découvrir les origines d’un célèbre héros du cinéma d’animation américain : Roger Rabbit.
Le roman original surprenant derrière le film culte de Robert Zemeckis
Qui n’a pas rit en famille devant le film culte de Robert Zemeckis, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? sorti en salles en 1988 ? Pourtant, même si la plupart l’ignorent, le lapin blanc déjanté à la salopette rouge n’est pas né de l’imagination des studios Disney, mais bel et bien de celle du romancier américain Gary K. Wolfe, qui lui donne vie en 1981 à travers un pastiche de roman pulp, Qui a censuré Roger Rabbit ? Si le titre a depuis été modifié pour coller à celui du film, il s’agit bel et bien du roman critiqué ici.
Après lecture de celui-ci, disons-le tout de suite : il y a fort à parier que les amateurs du film soient assez choqués par le ton, la teneur et le développement du roman, résolument noirs et adultes derrière l’humour et les références toonesques. Certes, beaucoup d’enfants des années 80-90 ont été « traumatisés » par la scène de la trempette, mais là on est à un tout autre niveau en termes de violence à plusieurs niveaux. Cela n’en rendra bien évidemment la lecture que plus intéressante pour un public adulte et averti, notamment tous ceux appréciant les romans et films noirs, dont Gary K. Wolfe reprend ici les codes.
Un univers bien plus sombre et adulte derrière l’humour toonesque
Ainsi, dans ce premier roman, Roger Rabbit est assassiné par balles pour de vrai dès le début et le détective Valiant va tout faire pour démasquer son assassin : pourrait-il s’agir de sa femme Jessica Rabbit, dont il était séparé et qui avait couru se réfugier auprès de son ex, reconnu comme un dangereux mafieux, ou bien le mafieux en question, jaloux ? Pour l’aider dans cette enquête qui s’annonce plus compliquée que prévue, le désabusé Valiant peut compter sur un acolyte inattendu : l’alter de Roger Rabbit lui-même – une sorte de clone éphémère censé servir de doublure aux toons sur les tournages de dessins animés ou de leurres dans la vraie vie pour fuir leurs fans trop envahissants. Les alters possédant la mémoire des « originaux » au moment où ils les ont créés, l’alter de Roger est bien placé pour aider à démasquer le meurtrier, même si son caractère loufoque va donner du fil à retordre au détective privé. Seule difficulté : il se désintègrera à tout jamais en 3 jours maximum, ce qui limite le temps pour mener l’enquête à terme et rendre justice à Roger.
Au-delà de ce point de départ très sombre (et de la résolution dont nous vous laisserons bien évidemment la surprise), l’autre élément de surprise réside dans le personnage de Jessica Rabbit, qui semble constituer le nœud du problème au sein de cette histoire et probablement sa clé : Roger a été engagé par les studios grâce à Jessica qui croyait en lui, mais celle-ci cherche à cacher un passé sulfureux : une bande-dessinée pornographique pour laquelle elle a peut-être été contrainte de poser, à moins qu’elle n’ait été attirée par l’appât du gain, voire par son plaisir personnel. Roger Rabbit se serait-il attiré des soucis avec la mafia, afin de préserver l’honneur de son épouse ? Celle-ci l’a-t-elle utilisé pour faire disparaître la BD en question et éviter que l’on puisse continuer à faire pression sur elle ? Autant dire que si l’on ouvre le livre en étant trop attachés au film, notre enfance en prend un coup ! Mais si on le considère comme une œuvre tout à fait indépendante avec le regard averti d’un amateur de cinéma d’animation et de film noir, le plaisir de lecture est réel car le roman de Wolfe est à la fois malicieux, drôle et ingénieux dans son écriture comme dans les différentes ramifications de l’histoire, avant de s’achever sur une note noire et mélancolique assez inattendue qui rabat entièrement les cartes.
Le succès populaire du film de Zemeckis a par la suite encouragé Wolfe à revoir sa vision pour le second roman, où il fait le choix, dans un nouveau twist, de présenter les événements du premier opus comme le rêve de Jessica Rabbit plutôt que comme la réalité.
Si nous n’avons pas lu les trois romans suivants de la série, celui-ci se suffit en réalité à lui-même. Au-delà de références bien vues au monde du cinéma d’animation, à l’industrie hollywoodienne et aux romans pulp et films noirs dont il reprend les codes, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? de Wolfe brille également par une écriture fluide et directe qui tient du pastiche intelligent. L’histoire est racontée du point de vue du détective Valiant, dont le ton donne souvent l’impression d’entendre la voix-off d’un vieux film noir. Néanmoins, ce ton particulier ne nous empêche jamais de prendre l’histoire au sérieux, bien au contraire, car il apparaît clairement que les choses sont tout à fait sérieuses pour les protagonistes. La tonalité de la voix de Valiant et le style d’écriture en général participent ainsi pleinement à l’immersion au sein de cet univers et fait que l’on y rentre facilement.
Au final, si vous êtes un amateur du film de Robert Zemeckis, mais également de films et romans noirs, le roman original de Gary K. Wolfe vaut véritablement le détour. Roman hybride original et culotté, il mélange deux genres à priori opposés d’une manière inédite en littérature – et qui a surtout été illustrée, au cinéma, par le très irrévérencieux Bill Plympton (The Tune, Hair High, La vengeresse…). Toute l’ingéniosité de Wolfe ici est de s’appuyer sur des codes et un univers à priori grand public (celui du cartoon) avec un ton accessible pour mieux les faire basculer dans ceux du noir. L’émotion désabusée inattendue qui émerge à la toute fin montre par ailleurs une compréhension profonde du genre de la part de l’auteur. Tout cela contribue à faire de Qui veut tuer Roger Rabbit ? le roman un véritable OVNI.