[Critique] Ici, s’arrête le monde – Barbara Abel

Caractéristiques

  • Titre : Ici, s'arrête le monde
  • Auteur : Barbara Abel
  • Editeur : Recamier Editions
  • Collection : Recamier Noir
  • Date de sortie en librairies : 6 novembre 2025
  • Format numérique disponible : oui
  • Nombre de pages : 368
  • Prix : 21 €
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 7/10

Figure majeure du thriller belge, Barbara Abel s’est imposée depuis son premier roman, L’Instinct maternel (Prix du roman policier du festival de Cognac, 2002), ou encore avec Derrière la haine, adapté au cinéma sous le titre Duelles, film récompensé par neuf Magritte en 2020. Avec Ici s’arrête le monde, publié en ce mois de novembre aux éditions Récamier, l’autrice poursuit son exploration des ténèbres intimes, de la famille et des failles qui affleurent lorsque le quotidien dérape.

Une apocalypse du quotidien

Hélène et Raphaël s’apprêtent à vivre une journée parfaitement ordinaire : un aller-retour au supermarché, quelques préparatifs pour l’anniversaire de leur fille, et la vie tranquille d’une famille recomposée où cohabitent Soline, Laura et le petit Marius. Rien ne semble pouvoir troubler cette routine familière, jusqu’au moment où une série de détonations secoue la ville et fait basculer l’existence de chacun. En quelques minutes, les rues s’embrasent, le chaos s’installe, et la famille n’a d’autre choix que de se retrancher dans sa cave. Très vite, un dilemme inattendu s’impose à eux, les forçant à reconsidérer ce que signifie protéger les siens et jusqu’où l’on est prêt à aller lorsque tout s’effondre autour de soi.

Barbara Abel fait de ce basculement un choc d’autant plus percutant qu’il naît d’un quotidien soigneusement ancré dans la réalité. L’irruption de la catastrophe déchire un cadre connu, rassurant, et plonge les personnages comme le lecteur dans la même sidération. Ce n’est pas tant le contexte géopolitique ou l’origine des bombardements qui importent que les répercussions immédiates, physiques et émotionnelles, sur ceux qui les subissent. L’autrice choisit d’écarter volontairement les explications globales pour se concentrer sur les effets de la catastrophe, transformant son récit en un thriller domestique mâtiné de dystopie apocalyptique.

Personnages sous pression

Barbara Abel impose d’emblée un rythme nerveux, avec des chapitres brefs et une écriture incisive. Les phrases courtes se succèdent, ou ponctuées de nombreuses virgules, rendant le rythme de lecture brusque, heurté. Cette manière de découper le texte crée une impression de course en avant qui épouse la montée progressive de la tension. Si la technique peut paraître répétitive, elle s’avère redoutablement efficace pour transmettre la panique brute qui s’empare des personnages. Lorsque les explosions retentissent, le roman bascule dans une narration en temps réel où chaque geste compte, chaque minute devient une urgence. Un crescendo se met en place jusqu’à un final en apothéose, où le lecteur se retrouve en apnée, incapable de lâcher le roman.

L’autrice s’attache à sonder l’intériorité de ses protagonistes et n’hésite pas à plonger dans les zones les plus sombres de leur psyché. Certaines scènes atteignent une violence psychologique d’autant plus forte qu’elle surgit dans un contexte familial, que l’on croyait stable. Le passé de chacun est creusé pour éclairer leurs réactions face à l’extrême. Sans jamais abandonner la focalisation externe, Barbara Abel resserre la perspective d’un personnage à l’autre, permettant d’explorer leurs sensibilités contrastées. Hélène, droite et attachée au devoir, tente de préserver coûte que coûte ses valeurs morales, tandis que Raphaël incarne un pragmatisme nécessaire mais parfois troublant. Le récit interroge ainsi la manière dont ces figures, prises dans des dilemmes impossibles, peuvent être amenées à se transformer.

Laboratoire d’une humanité en crise

Ce qui se joue dans Ici s’arrête le monde, ce ne sont pas seulement des scènes de survie, mais une réflexion profonde sur les choix que l’on est contraints de faire lorsque les repères ordinaires s’effondrent. Face au danger, faut-il rester ou fuir ? Se tourner vers les autres ou se replier sur soi ? L’autrice met constamment ses personnages au pied du mur, révélant tour à tour élans altruistes et réflexes individualistes. Le roman cherche clairement à interpeller, à rappeler que la violence de la guerre n’est jamais aussi lointaine qu’on aime à le croire, et qu’il est terriblement facile de détourner le regard lorsque les bombes ne tombent pas sur notre propre pays. Mais si Barbara Abel s’attache moins à expliquer les origines du conflit qu’à montrer les dégâts qu’il inflige sur les consciences, ce choix narratif assumé s’accompagne d’une limite : le lecteur avance dans le même flou que les personnages, sans jamais saisir les raisons de cette guerre soudaine, et cela peut rendre la menace trop abstraite.

Le cœur du roman bat avant tout au rythme d’une famille recomposée propulsée au centre de la tourmente. La présence d’enfants d’âges différents, issus de liens familiaux complexes, intensifie chaque décision et chaque risque. Qui protéger en premier dans une situation de danger absolu : son enfant biologique, sa belle-fille, un nourrisson ? Barbara Abel utilise ce noyau familial comme un véritable laboratoire des émotions et des solidarités. Sous la pression, les liens se resserrent ou se fissurent, les rôles parentaux se redéfinissent, et les responsabilités deviennent plus lourdes, plus ambiguës.  Ces tensions morales traversent le récit et le rendent profondément humain, souvent douloureux, révélateur de l’humanité des uns, et de la lâcheté ou de l’égoïsme des autres.

Ici s’arrête le monde confirme donc le talent de Barbara Abel pour sonder les zones de fracture du quotidien et éprouver ses personnages jusqu’à l’extrême. Si son choix d’un contexte géopolitique volontairement flou peut parfois frustrer, il participe aussi à l’efficacité d’un récit tendu, humain et profondément anxiogène. Un roman haletant et dur, qui interroge autant qu’il secoue.

Article écrit par

Lorsqu’elle n’enseigne pas l’italien, Lucie Lesourd aime discuter de sa passion pour le cinéma, le théâtre et les comédies musicales. Spécialisée en littérature young adult et grande amatrice de polars et thrillers, elle rejoint Culturellement Vôtre en février 2020 pour y partager ses avis lecture et sorties culturelles. Depuis, elle est également devenue une (excellente) critique de cinéma et parle régulièrement de cinéma de genre (avec une prédilection pour les films d’horreur) et de cinéma d’auteur.

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