Caractéristiques
- Traducteur : Catherine Gibert
- Auteur : John Boyne
- Editeur : Gallimard Jeunesse
- Date de sortie en librairies : 9 juin 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 264
- Prix : 13€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Acclamé pour son premier roman jeunesse, Le garçon en pyjama rayé (2006), qui lui valut de multiples récompenses, l’Irlandais John Boyne est désormais traduit dans 50 langues et a écrit plusieurs oeuvres à destination du jeune public entre-temps. Il est aujourd’hui de retour avec un nouveau roman ayant pour sujet la Seconde Guerre Mondiale, Le garçon au sommet de la montagne, publié chez Gallimard Jeunesse.
L’innocence corrompue
Nous suivons le parcours de Pierrot, petit garçon timide et sensible vivant à Paris avec son père, ancien soldat allemand ravagé par les horreurs de la guerre, et sa mère française. Attaché à son chien D’Artagnan et son meilleur ami muet Anshel, le jeune Pierrot va connaître des drames successifs qui bouleverseront à jamais son destin. Sa mère fuit tout d’abord son père et ses accès de violence en l’emmenant avec elle, mais l’homme se suicidera peu de temps après et sa mère décèdera quelques années plus tard de tuberculose, alors qu’il n’a que sept ans. Brièvement placé en orphelinat, Pierrot est finalement recueilli par sa tante paternelle, Beatrix, qu’il n’avait jamais rencontrée et le conduit à une immense maison autrichienne au sommet d’une montagne, le Berghof, où elle travaille en tant que gouvernante pour un certain Monsieur, dont le petit garçon ignore tout mais qui sera bientôt responsable de millions de morts : Adolf Hitler.
Avec sa finesse d’écriture remarquable et ses talents de conteur hors pair, John Boyne nous plonge dans la peau d’un petit garçon sensible et démuni, conditionné afin d’en faire un nazi par un Führer qui apparaît d’autant plus effrayant qu’il semble attentionné envers le garçon, lequel s’attachera inévitablement à lui. Déployant une mécanique implacable, Boyne raconte la transformation, progressive et véritablement terrifiante de son « héros », trop naïf et innocent pour déceler ce qui se cache derrière les discours patriotiques et lénifiants de celui devant lequel il effectue le salut nazi à la moindre occasion. En s’intéressant à l’enfant, en lui donnant le sentiment qu’il est important, Hitler s’attire sa loyauté et vient combler le manque que ressent le jeune garçon face à l’absence de ce père détruit par la Grande Guerre et mort de façon si peu héroïque. Si les pensées du Führer restent opaques d’un bout à l’autre, Boyne s’attache à montrer les traces d’humanité de cet homme monstrueux, tout en se focalisant sur la manière insidieuse dont il étend son emprise sur Pierrot. Un fait bien connu, que Boyne reprend ici, est l’attachement d’Hitler à sa chienne berger allemand. L’auteur parvient ici à suggérer que l’enfant et le fidèle animal possèdent plus d’un point commun : innocents, ils sont tous deux entièrement dépendants du Führer, qui les « dresse », en quelque sorte. Si le lecteur perçoit clairement le danger, les références historiques, annonciatrices de la catastrophe à venir, étant nombreuses, Pierrot, encore enfant, d’une loyauté absolue envers celui qui a tout d’un protecteur à ses yeux, est incapable de déceler l’horreur qui se trame.
Un roman historique à l’approche pédagogique
Cette loyauté, comme on peut le deviner, aura des conséquences désastreuses sur le cours de l’histoire et, peu à peu, Pierrot devient dur, misogyne, persuadé de sa propre importance. John Boyne trouve à travers l’histoire de ce jeune garçon une manière puissante de parler des jeunesses hitlériennes, qui regroupaient 5 millions de membres en 1936, et d’évoquer le sujet de la corruption de l’innocence. L’approche de l’auteur n’est jamais manichéenne et le glissement progressif vers l’embrigadement et une forme de dépersonnalisation rend Le garçon au sommet de la montagne d’autant plus percutant.
Le roman, à conseiller aux jeunes de 13 ans et plus, constituera une lecture idéale pour les collégiens, parallèlement aux cours d’histoire sur le sujet. La démarche pédagogique mais jamais lourde de l’auteur, la présence de nombreuses figures historiques gravitant autour d’Hitler (le duc de Windsor et sa maîtresse Wallis Simpson, la cinéaste Leni Riefenstahl, Goebbels…), les nombreuses références au parcours du dictateur, parfaitement intégrées à l’intrigue, tout cela concourt à faire du Garçon au sommet de la montagne une oeuvre parfaitement adaptée aux adolescents, leur permettant de mieux appréhender le sujet sans qu’ils aient l’impression qu’on leur donne un cours.
Devoir de mémoire et responsabilité collective
Alors que Le garçon en pyjama rayé avait été critiqué par certains pour sa naïveté et certains erreurs historiques, mettant en avant le fait qu’aucun enfant de 9 ans ne se trouvait à Auschwitz car les individus considérés comme inaptes au travail avaient été directement gazés et, que, de plus, il aurait été impossible pour le fils d’un commandant nazi de se lier d’amitié avec quelqu’un à l’intérieur du camp sans jamais percevoir la nature de ce qui s’y déroulait, le nouveau roman de John Boyne, tout en étant clairement une oeuvre de fiction, mise sur un réalisme accru et une noirceur certaine. L’innocence de l’enfance est bien vite envolée, bien que Pierrot fasse preuve, à certains moments, de naïveté, comme lorsqu’il se demande quel est l’intérêt de concevoir des douches sans eau lorsqu’il assiste à une réunion d’Hitler au sujet de la « solution finale ». Cependant, devenu adolescent et ayant atteint le point de non-retour dans son embrigadement, le personnage choisit généralement de fermer les yeux ou de s’en remettre au jugement du dictateur, faisant écho à tous ces Allemands, emportés par la frénésie du dictateur, qui ont choisi de ne pas voir ce qui se déroulait sous leurs yeux.
La dernière partie du roman, succincte, reviendra sur l’après-guerre et la difficile reconstruction, tant physique (reconstruire un pays ravagé) que morale. Chacun doit apprendre à vivre avec sa culpabilité, ceux qui se sont laissés embrigader et se sont rendus responsables de la mort d’autrui plus que les autres. John Boyne aurait pu choisir une fin noire et sans concession, il préfère donner aux lecteurs un peu d’espoir quant au devenir de cette jeunesse corrompue et sacrifiée par l’horreur du nazisme. Sans jamais excuser son personnage, il amorce une remontée vers la lumière, un retour à une humanité qu’on croyait perdue. Si l’auteur a recours à un petit artifice pour relier les fils de l’histoire, permettant à Pieter de se réconcilier avec Pierrot, l’enfant innocent et vulnérable qu’il était, cette conclusion, assez touchante, a le mérite de rester simple et ouverte. Lu dans un cadre scolaire, elle permet également d’aborder la question du travail de mémoire et de la responsabilité collective, qui sont des points importants dès lors qu’on évoque la Seconde Guerre Mondiale et ses atrocités. Un roman jeunesse essentiel.