Découvrez l’une des légendes de Hollywood aujourd’hui oubliée
L’Histoire du cinéma a cela de prodigieux qu’elle fourmille d’histoires absolument exceptionnelles. Si notre époque a tendance a reléguer le temps du muet dans des oubliettes que l’on qualifiera de honteuses, on peut tout de même compter sur la passions de ceux qui sont de véritables passeurs pour nous faire parvenir des récits d’intérêt. Parmi eux, on compte évidemment Gilles Jacob, personnage dont la passion aura contribué à faire du Festival de Cannes autre chose qu’une « simple » cérémonie mondaine ; notamment en mettant en place, en 1978 alors qu’il est délégué général de l’événement, le Prix de la Caméra d’Or et la sélection Un certain regard. Président du Festival de Cannes de 2001 à 2014, Gilles Jacob est avant tout un passionné du septième art sans bornes et aujourd’hui, avec Un Homme Cruel, il nous convie à la découverte d’un destin fascinant : celui de Sessue Hayakawa.
Pour Sessue Hayakawa (Kintaro, de son vrai prénom), tout commence par un accident. Lui qui se voyait dédié aux études militaires (afin de devenir officier de la Marine) s’est retrouvé à devoir prouver son courage lors d’un défi stupide avec ses amis. Une plongée dans l’immense océan Pacifique, une soudaine explosion, et voilà le jeune Kintaro sourd d’une oreille à vie. Un événement qui marque évidemment celui qui deviendra l’un des plus grands acteurs du muet, au point que, une fois au crépuscule de sa vie, Sessue aura oublier le grand Hollywood qu’il a contribué à construire, mais pas ce qui pourra paraître de l’ordre de l’anecdote.
Si Gilles Jacob débute Un Homme Cruel avec ce fait, c’est sûrement pour signaler à quel point Sessue Hayakawa n’aura laissé que peu de traces aussi bien dans l’Histoire du cinéma que dans sa propre mémoire. Il suffira, pour se convaincre de cette étrange injustice, d’aller se référer à la page Wikipedia de ce grand acteur, réduite à son strict minimum en terme d’informations mais qui, pourtant, déverse une liste incroyable de films dans lesquels il est apparu. Dès lors, on se dit que la vie de Sassue Hayakawa a certainement bien plus à proposer… et Gilles Jacob nous le confirme. Tout au long de ces 313 pages, l’auteur nous convie à la table d’un acteur parmi les plus doués de sa génération, d’une beauté à rendre folles ses fans les plus démonstratives et qui, pour bien placer le personnage, deviendra par exemple l’ami de Charlie Chaplin et assurera certaines des réceptions les plus marquantes de l’époque.
Un roman essentiel et d’utilité public
Alors, pourquoi ce titre, « Un Homme Cruel » ? Sessue Hayakawa était devenu, au fil du temps, cet acteur japonais que les metteurs en scène utilisaient sans vergogne comme personnage dur, voire inhumain. Alors que, dans le réel, l’homme n’était évidemment pas à l’image de ce que les scénaristes américains s’imaginaient des japonais. C’est là l’élément qui nous aura le plus passionné dans ce roman mémorable : la question, finalement, de l’identité qui va surgir alors que l’acteur, au sommet de son art, est l’un des visages les plus connus par le public. L’actualité rattrape Kintaro, et désormais il incarne tout ce que déteste les américains… et les japonais. Les premiers voient en lui l’ennemi intime, les seconds trouvent que sa propension à jouer le nippon monstrueux fait de lui un traitre. Pris entre deux feux, Sassue Hayakawa va voir sa carrière décliner petit à petit, et l’homme va alors tomber peu à peu dans l’oubli. Une période pendant laquelle, retranché en France, il participera à la Résistance.
Un Homme Cruel, c’est d’ailleurs l’occasion de découvrir un être humain hors du commun, jusque dans dans sa relation avec sa femme, Tsuru Aoki. Sessue Hayakawa aura évidemment un profond respect pour elle, même si la relation, vous le verrez, n’aura pas été un long fleuve tranquille. Revenu sur les devants de la scène avec son rôle dans Le Pont de la Rivière Kwaï, l’acteur n’est pourtant plus « bankable », et ce même s’il méritait clairement l’Oscar du Second Rôle. C’est aussi un axe très intéressant du roman : cette ingratitude latente à Hollywood, qui propulse aussi vite qu’elle oublie les stars qu’elle a pris soin de façonner. Alors, Sessue jouera encore dans une poignée de films et ira finir sa vie dans un monastère bouddhiste, au sein duquel il atteindra enfin la quiétude.
Gilles Jacob rend un roman passionnant debout en bout, Un Homme Cruel atteignant sans mal ses objectifs : nous faire découvrir un acteur oublié et pourtant qui fut adulé, mais aussi nous parler de sujets aussi importants que l’identité, l’amour, et la folie furieuse du temps qui passe. Après lecture de cet excellent roman, il est certain que vous voudrez découvrir par vous-même les œuvres dans lesquelles a « performé » Sessue Hayakawa. Et ça, c’est la preuve incontestable de la grande réussite d’Un Homme Cruel.
Un Homme Cruel, un roman écrit par Gilles Jacob. Aux éditions Grasset, 313 pages, 20 euros. Sortie le 28 septembre 2016.