[Critique] Les bijoux indiscrets — Denis Diderot

Caractéristiques

  • Auteur : Denis Diderot
  • Editeur : Macha Publishing
  • Date de sortie en librairies : 3 septembre 2016
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 191
  • Prix : 5,90€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 6/10

Écrit en 1748 sous l’impulsion de sa maîtresse Madame de Puisieux, qui doutait qu’il fut capable d’écrire des romans à la manière de Crébillon fils, auteur spécialisé dans les fables et « romans licensieux », Les bijoux indiscrets de Denis Diderot fut rédigé en tout juste quinze jours et publié de manière anonyme du vivant de l’auteur. Une oeuvre que les éditions Macha Publishing, qui proposent à travers leur collection Trésors retrouvés de la littérature, des oeuvres érotiques méconnues de grands auteurs français (Balzac, Jean de la Fontaine…), ont donc logiquement intégrée à cette série de livres de poche.

Une fable grivoise inspirée de la cour de Versailles

Premier roman du directeur de L’Encyclopédie, cette fable grivoise censée se dérouler au Congo dans l’entourage du sultan se présentait en réalité comme une satire de la cour de Versailles et ses moeurs libérées, où être fidèle à son mari n’était pas vraiment à la mode. On reconnaîtra ainsi dans le portrait de l’épouse ne parvenant pas à tomber enceinte de son époux et couchant avec tous les hommes, une sorte de caricature de Marie-Antoinette, qui ne consomma son mariage avec Louis XVI qu’au bout de sept ans et dont les liaisons étaient connues de tous.

L’intrigue du livre joue sur un double sens constant : le héros, Mangogul, qui s’ennuie ferme, fait appel à un génie qui lui donne une bague ayant le don de faire parler le « bijou » des femmes, mot pudique pour désigner en réalité leur sexe. A chaque fois qu’il tourne la bague vers elles, leurs « bijoux » se laisse ainsi aller à un récit tout autant contraint que décomplexé de leurs exploits, révélant que bien peu de femmes ont autant de vertu qu’elles le prétendent. Vu avec notre sensibilité moderne, certaines phrases de Diderot pourront interpeller (« Erguebzed son père n’appela point les fées autour du berceau de son fils, parce-qu’il avait remarqué que la plupart des princes de son temps, dont ces intelligences femelles avaient fait l’éducation, n’avaient été que des sots. », p. 15), mais il est néanmoins bon de rappeler que la prose de l’auteur est ironique de bout en bout et ne cible pas tant les femmes, au final, que la vanité de la cour et des hommes. Écrit de manière faussement sérieuse, Les bijoux indiscrets nous raconte ainsi comment Mangogul, épris de sa maîtresse Mirzoza, sur laquelle il a juré de ne jamais utiliser sa bague malgré sa curiosité, va éprouver les pouvoirs de cet objet magique sur toutes les femmes du royaume afin de se divertir et faire le récit de ses découvertes à sa maîtresse. L’oralité du récit, mâtiné de voyeurisme, sert ainsi à exciter le désir des deux amants, l’empêchant de basculer dans la routine malgré leurs craintes respectives.

Une fable audacieuse, cocasse… mais un brin répétitive

Le déroulement des différents chapitres est quant à lui à peu près identique d’un bout à l’autre : Mangogul rend visite à une femme, utilise sa bague et laisse le sexe de celle-ci parler, entraînant un scandale au passage. Dans la plupart des cas, des adultères, parfois assez cocasses, sont révélés ; dans un chapitre, une femme mariée est accusée à tort de libertinage et enfermée, avant d’être innocentée par le recours aux pouvoirs de la bague. A mesure que les sexes (et leurs langues) se délient, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre et l’on cherche à faire taire ces « bijoux indiscrets », avec des conséquences funestes pour la femme ainsi contrainte au silence. On le voit, le propos de Diderot est loin d’être aussi misogyne que ce que certaines phrases, prises hors contexte, pourraient suggérer.

Écrit avec finesse, mais de manière plus légère et moins maîtrisée que ses écrits ultérieurs, tels que Supplément au voyage de Bougainville (1772), Les bijoux indiscrets est assez plaisant à lire, et parfois franchement drôle, comme ce passage, sans doute le plus décalé et osé de tout le livre, où un homme a pour rival les chiens de sa maîtresse, qui semblent entretenir une relation très intime avec elle. On regrettera cependant que le tout soit assez répétitif, en raison de la structure même du récit, qui fait en sorte que chaque visite de Mangogul à une femme se déroule peu ou prou de la même manière. Si l’auteur n’avait aucune raison de souhaiter « la perte d’un doigt », comme il a pu le dire suite à la publication de ce roman, cette fable reste une oeuvre de divertissement, empreinte de philosophie mais bien moins sérieuse que le reste de sa bibliographie. Néanmoins, la finesse et l’audace de certaines observations sur son époque méritent d’être relevées. Le double-sens ne les rend d’ailleurs que plus efficaces.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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