[Critique] Les complicités involontaires — Nathalie Bauer

Caractéristiques

  • Auteur : Nathalie Bauer
  • Editeur : Philippe Rey
  • Date de sortie en librairies : 24 août 2017
  • Format numérique disponible : Oui
  • Nombre de pages : 287
  • Prix : 19€
  • Acheter : Cliquez ici
  • Note : 7/10

Après un premier roman remarqué, Les indomptées, Nathalie Bauer est de retour avec une oeuvre mêlant petite et grande histoire, où le lecteur est constamment balloté entre passé et présent. Les complicités involontaires entremêle le parcours de deux quinquagénaires qui furent amies durant leurs études avant de se perdre de vue : Corinne V., l’élève sérieuse, est devenue psychiatre et s’ennuie dans son mariage, tandis que Zoé B., jadis jeune femme passionnée et mélancolique, vient la consulter pour entamer une thérapie en prétendant avoir oublié ses années de jeunesse à cause d’un traitement médicamenteux. Pensant que son ancienne camarade l’a bel et bien oubliée, Corinne fait fi de la déontologie et la prend pour patiente, sans lui révéler leur passé commun. A mesure qu’elle aide Zoé, le passé ressurgit dans la mémoire de la psychiatre, la poussant à s’interroger sur ce qu’elle est devenue et à remettre en cause sa vie…

Constellations familiales et fantômes du passé

Curieux roman que ces Complicités involontaires, oeuvre parfois maladroite, mais fascinante par bien des aspects, et qui mérite une petite mise en garde avant lecture. En effet, en lisant le quart de couverture, il serait possible de croire que nous sommes là face à un thriller psychologique avec twist à la clé ; or, il n’en est rien. Ce face-à-face est une véritable plongée dans la psyché de ses personnages, deux femmes issues d’un milieu bourgeois, et qui se trouvent confrontées aux fantômes de leur passé familial et de leur jeunesse, mais de manière assez subtile. Pas de grand et terrifiant secret, pas de meurtre à la clé comme dans les classiques du genre, non.

Nathalie Bauer observe plutôt ces glissements, parfois infimes, qui font que l’on va malgré soi participer à trahir quelqu’un ou s’en détourner, par exemple. Elle étudie nos lâchetés, autant dans un contexte quotidien qu’au coeur des heures les plus sombres de l’Histoire. D’origine juive, Zoé B. va se retrouver assez vite à reconstituer le parcours de la famille du côté de son père au cours de la Seconde Guerre Mondiale à travers de longs mémos illustrés de photos d’archives qu’elle envoie à Corinne, rédigés à la manière d’une saga familiale. Les psychologues parlent souvent de “roman familial” pour désigner l’histoire de famille qui est transmise d’une génération à l’autre, mais, dans le cas de Zoé, le silence et le poids de cet encombrant passé ont en partie rompu les fils de cette transmission. Traductrice et auteure de polars, elle se fait alors dans le même temps détective et écrivain afin de faire jaillir des cendres la vérité, dût-elle procéder à quelques extrapolations à partir des faits pour cela.

Les complicités involontaires est brillant pour tout ce qui relève de ce travail d’investigation généalogique, et dès lors qu’il s’agit de montrer, avec beaucoup de finesse, comment des choses telles qu’une liaison ou un mensonge peuvent avoir un impact important si elles ne sont pas dépassées et deviennent un tabou familial. La honte et la culpabilité minent ainsi le quotidien de Zoé, qui en veut terriblement à une ancêtre dont elle n’est peut-être finalement pas si éloignée. Autre grand point positif : la personnalité de l’intrigante Zoé, intelligente, vive, passionnée, joueuse, terriblement intransigeante, mais dans le même temps mélancolique et instable. Si le comportement bourgeois des deux amies et de leur copine Agathe dans leur jeunesse pourra par moments agacer, Nathalie Bauer fait émerger quelque chose de véritablement émouvant du portrait de Zoé B.

Les liens qui libèrent

Les chapitres sont courts et se lisent vite, alternant l’analyse et les aventures de Corinne V. dans le présent, les mémos de Zoé et la jeunesse commune des deux femmes. Cette oscillation permanente nous amène à penser pendant une bonne partie de la lecture que les deux héroïnes partagent un secret, quelque chose qui se serait déroulé lorsqu’elles étaient jeunes, et pour lequel Corinne s’en voudrait. Du coup, en fonction des attentes du lecteur, ce sera quitte ou double : soit on adhère entièrement à ce parti pris psychologiquement très juste, mais assez peu palpitant sur le papier, soit on attend LA grande révélation et là, on a toutes les chances d’être déçus. Pour notre part, nous avons été assez impressionnés et touchés par la manière dont Nathalie Bauer s’immisce au plus profond des êtres, donnant relief et profondeur à des réactions aussi humaines que communes, qu’elle ausculte avec une précision quasi-chirurgicale. Corinne et Zoé n’étaient pas des amies proches, pourtant, parce-qu’elles se sont connues à un moment particulier dans la vie de la seconde, elles demeurent liées par un lien assez étrange, qui va se répercuter de manière étonnante sur la psychiatre, plus de 30 ans plus tard.

L’écrivaine montre comment les relations interpersonnelles, les rencontres ou les ruptures agissent sur nous, pour le meilleur comme pour le pire, certaines personnes nous renvoyant, en un effet de miroir, ce que nous ne voulons pas voir. Certaines “complicités” nous laisseront un goût amer en bouche (comme dans le cas de Corinne et Agathe), tandis que d’autres nous aiderons à nous libérer, sans qu’il soit nécessairement besoin d’échanger de longs discours. Car c’est aussi ça, le sujet des Complicités involontaires : le non-dit et l’implicite. Le non-dit peut longtemps nous miner, mais, dans le cas de Corinne et Zoé, l’échange des deux femmes dans le présent, où leur passé commun n’est jamais évoqué, permettra à chacune d’avancer. La douleur cachée qui les lie est là, mais ce point n’est finalement qu’assez secondaire, et la culpabilité de Corinne sans doute démesurée par rapport à la faute réelle. Se libérer de nos petites et grandes culpabilités est aussi l’un des noyaux du roman, et Nathalie Bauer traite cette dimension avec beaucoup de pertinence et de minutie, loin du cliché bourgeois que nous avons pourtant à l’esprit en débutant le roman.

Cliché de la bourgeoisie ?

Car c’est finalement le seul point qui nous pousse à tempérer notre ardeur envers Les complicités involontaires : le personnage de Corinne V. ne suscite pas suffisamment d’intérêt et apparaît souvent comme un cliché de la bourgeoise parisienne un peu terne engoncée dans ses certitudes et qui s’ennuie dans ses charentaises. Si cela semble être un parti pris assumé de l’auteure, qui la décrit volontairement comme plus commune et terre-à-terre que la flamboyante Zoé B. par soucis de contraste, on aurait cependant souhaité que la personnalité de la psychiatre soit un peu plus approfondie par la suite, en dehors de son sentiment de culpabilité envers son ancienne camarade. En effet, Corinne analyse froidement les choses comme une psychiatre y compris en dehors du cabinet, et sa vie conjugale, entre son mari distrait et leur chien, ressemble à n’importe quelle crise conjugale au sein d’un couple où la routine s’est depuis longtemps installée.

Et, si elle parvient à étoffer l’histoire de Zoé, et même l’amitié liant les trois jeunes femmes dans les années 80, en apportant à ces trames narratives une certaine densité, il n’en est rien pour les éléments concernant strictement Corinne V., dont on a bien du mal à croire qu’elle se rende aussi facilement chez sa patiente à la première absence. Les transgressions successives de la psychiatre, convenues (que l’on pense à la récente série de Netflix Gypsy avec Naomi Watts) ne sont pas toujours bien amenées et pourront laisser le lecteur sceptique, ce qui est dommage. On a plutôt l’impression que c’est le personnage de Zoé qui intéressait véritablement l’écrivaine, et que la narratrice de l’histoire en a pâti. Si nous n’avons pas lu Les indomptées, il apparaît cependant qu’il y avait déjà une Zoé dans cette première œuvre, décrite qui plus est comme une “fille de vingt-quatre ans, dépressive, alcoolique et un brin nymphomane”, ce qui n’est pas sans rappeler le personnage des Complicités involontaires, même si les autres noms, ainsi que les lieux, ne correspondent pas. Nathalie Bauer creuserait-elle donc un même archétype féminin, comme un fantôme que l’on traque ?

Quoi qu’il en soit, malgré cette réserve, Les complicités involontaires s’avère être une œuvre prenante et intrigante, qui nous suit bien après avoir tourné la dernière page. Nathalie Bauer sonde une histoire familiale crédible et une jeunesse oubliée qui pourrait être la nôtre, en un sens, et elle le fait à travers une écriture fine et méthodique qui emprunte à la minutie obsessionnelle de Zoé, qui souhaite trouver la vérité (si tant est qu’elle existe) afin de trouver la paix et se sentir maîtresse de sa destinée. Certains pourront trouver cela terriblement bourgeois, pourtant, l’auteure va bien au-delà des clichés du genre — qu’elle utilise en partie — pour traiter avec finesse de ce qui relève de l’incommunicable entre les êtres, mais aussi de la résilience.

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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