Une adaptation pertinente du conte des frères Grimm
Les grands contes présentent un avantage indéniable : les grandes lignes de leur histoire et leur structure sont tellement solides qu’il est possible de les raconter de bien des manières sans en altérer la force, pour peu que le conteur soit inspiré. C’est ainsi que, encore aujourd’hui, il est possible d’être saisi par le regard que pose un auteur, un artiste, sur ces récits de la tradition orale dont nous pensons connaître le moindre contour.
C’est le cas de ce Blanche Neige globalement fidèle à la version des frères Grimm, mais que l’auteur Lylian et l’illustratrice Nathalie Vessillier ont approfondi pour en faire un album tout à fait personnel, qui interpelle par son appropriation des thèmes universels invoqués par le texte original, mais aussi la fraîcheur de ses illustrations. La finesse du trait crayonné de Nathalie Vessillier et la douceur des couleurs pastels utilisées par Rozenn Grosjean apportent un véritable charme à l’ensemble, donnant parfois l’impression au lecteur de feuilleter un livre pour enfants des années 80, tout en possédant un style résolument moderne, avec certaines inspirations picturales plus récentes.
Une héroïne plus active, une imagerie plus complexe
Développé sur 80 pages, le conte s’enrichit de nombreux détails, s’appliquant par exemple à donner une personnalité plus intrépide à Blanche-Neige, qui ne passe pas son temps à rêver d’un prince, ni même à faire le ménage, bien qu’elle s’occupe en partie de la maison des sept nains. L’héroïne est montrée comme une enfant dans toute sa splendeur, innocente, intelligente, qui s’émerveille de chacune de ses découvertes sans être nunuche pour autant. Ce parti pris ne pourra que plaire à tous ceux qui reprochent à ce très vieux conte et à son adaptation animée par les studios Disney de donner une image passive de la femme. La relation entre la reine et le chasseur est également développée et se terminera de manière assez sanglante (ce qui est suggéré, mais pas montré), ce qui concourt à rendre ce personnage de vilaine encore plus machiavélique que dans le texte des frères Grimm.
On appréciera également de voir quelques références picturales plus animistes, notamment dans la représentation du miroir et de la créature dont la reine prend l’apparence pour séduire une Blanche-Neige proche de la nature. Cela participe à apporter une certaine fraîcheur à un conte souvent illustré de manière redondante dans les innombrables livres pour enfants publiés chaque année. Nathalie Vessillier s’écarte ici de l’imagerie Disney qui a trop souvent tendance à influencer les dessinateurs chargés d’illustrer ce conte en particulier. Elle en profite alors pour intégrer différentes influences à son dessin, notamment une influence asiatique qui se fait beaucoup sentir par la manière dont l’artiste représente l’héroïne dans certaines cases (pp. 17 et 28, notamment).
Une belle BD pour ados
Enfin, Lylian a su conserver à la fois les aspects plus enfantins du conte, mais aussi son indéniable cruauté, comme le sort ô combien sadique réservé à la vilaine marâtre, condamnée à chausser des souliers en fer blanc chauffés à vif jusqu’à ce que mort s’en suive. Lylian a également intégré quelques éléments plus adultes dans son adaptation et dans le texte en lui-même, qui font de ce Blanche Neige un album davantage réservé aux adolescents (ou aux adultes) qu’aux plus jeunes enfants, bien que rien, dans les images, ne soit véritablement violent. Seulement, les petites touches érotiques, ou encore la maturité du texte sur certaines planches (qui fait référence de manière explicite, par exemple, au rapport entre instinct de vie et pulsions de mort dans les relations sexuelles) rendent cette bande-dessinée peu adaptée aux tous jeunes lecteurs, pour lesquels on préférera des adaptations plus naïves.
Voilà donc une belle surprise que ce Blanche Neige réussi tant narrativement que visuellement. Si l’on pouvait s’attendre de prime abord à une adaptation fidèle et assez enfantine puisque le dessin de Nathalie Vessillier, tout en étant très beau, retient une certaine naïveté lorsqu’on feuillette l’album très rapidement, cette bande-dessinée va bien au-delà et propose une lecture à la fois pertinente et personnelle du célèbre conte. On ne peut que saluer le très beau travail d’adaptation réalisé par Lylian, que l’on avait déjà remarqué ces dernières années pour son adaptation BD de la saga fantasy La Quête d’Ewilan. Nathalie Vessillier nous plonge quant à elle dans un véritable univers de conte, auquel elle apporte un dynamisme et une personnalité véritables, où la noirceur est présente lorsque cela est nécessaire. Leur alchimie évidente aboutit à un très bel album proposé dans une édition très soignée par Delcourt. Un livre qui allie le plaisir de redécouvrir le conte des frères Grimm sous un jour nouveau et celui, quasi-enfantin, de retrouver une histoire connue, comme on retrouverait une vieille amie.
Blanche Neige de Lilyan (adaptation) et Nathalie Vessillier (dessin), couleurs par Rozenn Grosjean, éditions Delcourt, sortie le 23 novembre 2016, 80 pages. 17,95€. A partir de 12 ans.