Une intégrale indispensable pour permettre une vision d’ensemble de la série Spawn
Quel plaisir d’enfin aborder cette licence sur Culturellement Vôtre ! Cela fait plus de vingt ans que Todd McFarlane a débuté l’œuvre de sa vie. Spawn hante les rues de New-York depuis bien longtemps, une longévité qui force le respect et dont l’effet immédiat est de pousser l’auteur à tenter des choses (ou, ici, les faire tenter à d’autres) plus ou moins courageuses. Hellspawn : intégrale, que nous abordons dans cet article, est indéniablement l’une des initiatives les plus intéressantes de cet univers si spécial, à la fois violent et sombre, ici poussé à son paroxysme.
Hellspawn : intégale est ce genre de comics qui marque durablement le lecteur de par son ambiance oppressante, laquelle prend à la gorge dès les premières cases pour ne plus la lâcher jusqu’aux ultimes instants de lecture. Et cette réussite est due à une addition d’éléments. Tout d’abord, le scénario fonctionne, mais sans ne jamais prendre le pas sur l’intention du grand tout : livrer une vision de l’univers Spawn encore plus porté sur l’épouvante, l’horreur à l’état brut(al), et sans aucun doute plus mature dans les réflexions métaphysiques qu’il soulève. Non, le récit pur n’est pas du genre inoubliable, car il se « contente » de reprendre les grandes lignes de la série afin de l’emmener vers une autre atmosphère. Les grands fans de Spawn pourront peut-être trouver cela un peu facile, mais ce serait une erreur grossière : le fondamental de Hellspawn : intégrale avait besoin d’une telle paraphrase afin de plonger le personnage dans un océan de noirceur putride, décadent, et pleinement marquante.
Les premiers chapitres de Hellspawn : intégrale s’attachent à ne pas trop en faire narrativement. L’excellent Brian Michael Bendis (New Avengers, Secret Invasion) s’occupe des parties une à six, et y confirme au passage la grande qualité de ses dialogues, toujours aussi percutants et, parfois, carrément inoubliables. Il sait aussi que pour préparer le terrain d’une deuxième moitié de série beaucoup plus « perchée », il faut ré-installer les bases, ce qu’il fait avec un certain panache, une énergie certes éreintante mais entêtante. Afin de ne pas perdre trop de temps, certains des grands axes de Spawn ne sont que survolés, et si les personnages les plus récurrents sont évidemment traités (le Violator est de la partie, et d’une manière savoureuse) quelques petites absences sont à noter (Malebolgia est seulement évoqué, et pour cause…). Là encore, cela se justifie totalement par un second acte qui fait l’effet d’une bombe.
Replacer le contexte, et le faire exploser dans une noirceur efficace
Cette deuxième moitié, prise en charge par Steve Niles (30 jours de nuits), verse sans aucun ombrage dans une dimension quasi-philosophique qui pourra surprendre les lecteurs. Il est ici question de la vie, de la mort, et de tout ce qui peut faire notre perception de ces deux notions pour le moins angoissantes. Hellspawn : intégrale opère, à cette occasion, un véritable changement de paradigme, on s’éloigne des sentiers battus, intention rehaussée d’une ambiance ultra glauque et d’une sorte de combat intérieur homérique, sans perdre une once de ce qui faisait cette impression lugubre. Alors certes, celles et ceux qui auraient voulu une simple baston entre le Bien et le Mal en seront pour leur frais (ils s’en remettront, les œuvres manichéennes ne manquent pas), mais les lecteurs en recherche de plus de profondeur obtiennent là une matière qu’ils chériront à coup sûr.
Pour ne rien gâcher, on ne peut pas passer à côté du style graphique de Hellspawn : intégrale, tout simplement saisissant. Ashley Wood (Zombies VS Robots, Sam & Twitch, 30 jours de nuit) confirme tout le bien que l’on pense de son style, faisant naître le frisson, voire carrément le dégoût, avec une maîtrise envoûtante. Sa propension à tenter des choses, expérimenter sans se donner de limites, peut parfois rendre la narration difficile, c’est une réalité. Mais s’accrocher s’avère payant : cette ambiance vous laissera un souvenir impérissable. Autre illustrateur invité à la fête, Ben Templesmith (Fell, Wormwood, 30 jours de nuit) apporte une autre saveur, toujours aussi macabre mais plus marquée par une technique numérique directement reconnaissable. Cette variation de styles confirme, par ailleurs, que Hellspawn : intégrale est bien une série en deux temps, validant le fait d’une préparation, puis d’une explosion.
Au final, Hellspawn : intégrale est bel et bien un gros morceau au sein de l’univers créé par Todd McFarlane. Un indispensable non seulement pour les fans de l’âme damnée d’Al Simmons, mais aussi pour toutes celles et ceux qui voudraient s’offrir un gros shoot de noirceur, diablement bien illustré et teinté d’une certaine philosophie. La narration, parfois asthmatique, est certes éprouvante mais elle résulte sur une œuvre fondamentalement définitive, soulevant d’autres questions (et provoquant, donc, d’autres réponses qu’on vous laisse découvrir) tout aussi pertinentes que dans la série principale. Hellspawn : intégrale se révèle donc être une proposition pertinente, parfois exigeante certes mais redoutablement efficace. Soulignons ici que Delcourt livre une édition soignée au possible, avec quelques petits bonus en fin de récit, une attention qui rajoute au caractère indispensable de l’ouvrage.
Hellspawn : intégrale, un comics écrit par Brian Michael Bendis et Steve Niles, illustré par Ashley Wood et Ben Templesmith. Aux éditions Delcourt, collection Contrebande, 432 pages, 34.95 euros. Sortie le 25 janvier 2017.