Une très bonne porte d’entrée vers l’œuvre d’Edogawa Ranpo
Parmi les maîtres du roman policier, Edogawa Ranpo tient une place de choix. De son vrai nom Taro Hirai, grand fan d’Edgar Allan Poe (son pseudonyme en est la transposition phonétique), l’auteur est reconnu, au Japon, comme une grande figure du genre. Et, depuis quelques années, quelques éditeurs s’attachent à nous faire connaître une œuvre large, placée sous le signe du divertissement mais aussi d’une certaine forme de philosophie. Aujourd’hui, nous abordons Le démon de l’île solitaire, sorti en format poche aux éditions 10-18, un ouvrage doublement intéressant puisqu’il est considérée comme l’une de ses plus célèbres, mais aussi pour sa forme : il s’agit d’un feuilleton paru sur deux années (1929 et 1930).
Le démon de l’île solitaire s’intéresse au cas de Minoura, qui tombe follement amoureux de Hatsuyo, une de ses collègues de bureau. Son passé mystérieux n’éveille pas spécialement les soupçons de celui qui devient son fiancé, jusqu’au jour où Hatsuyo est brutalement assassinée, retrouvée morte dans sa chambre pourtant hermétiquement close, inviolable. Minoura est évidemment dévasté par ce meurtre, et fait appel à un ami, Kôkichi, détective de son état, qui va mener l’enquête… avant de disparaître dans la nature, non sans avoir laissé derrière lui une mystérieuse statuette. C’est alors qu’une autre des connaissances de Minoura, Michio, se déclare très intéressé par cette affaire décidément énigmatique. Leur enquête va les mener jusque sur une île animée d’une activité abominable…
Le démon de l’île solitaire ne peut pas cacher sa condition de serial, sorte de roman épisodique sorti tout au long de quelques mois. Dès le début, on est happé par une ambiance mystérieuse, fortement teintée d’un style noir qui sera de plus en plus marqué au fil des pages. Les ouvrages signés par Edogawa Ranpo ont cela d’étonnant, de bouleversant même, qu’ils ne sont clairement pas conformes à ce que l’on connaît de la littérature japonaise. Le récit ici à l’œuvre utilise un point de vue à la première personne, ce qui a déjà tendance à construire une grande proximité avec le personnage, ici Minoura. Le talent de l’auteur est de faire de lui non pas un avatar dans l’histoire, mais un accompagnateur, ce qui permet au lecteur de se sentir aux premières loges d’une histoire qui multiplie les péripéties. Et cette distanciation finalement proche est quelque chose d’assez unique, dans la littérature venue du Japon.
Un récit tout autant policier que fantastique
Le démon de l’île solitaire joue habilement avec les attentes du lecteur, une volonté certainement due à son format épisodique d’origine. ainsi, les mystères ne tiennent jamais bien longtemps, afin que l’intérêt soit sans cesse renouvelé. En conséquence, on recommande une lecture mesurée, sur plusieurs jours, afin de suivre un rythme proche de la parution originelle. Ainsi, on savoure bien mieux le travail sur la structure, et l’on peut mieux se rendre compte du travail sur le crescendo, tout en se rendant bien compte des efforts de l’auteur sur le tempo. L’arrivée sur l’île est certainement le meilleur exemple, la découverte se couplant délicatement avec un changement de ton fondamental, passant du roman policier à une atmosphère beaucoup plus fantastique, voire même carrément horrifique.
Le démon de l’île solitaire est une des lectures les plus agréables d’Edogawa Ranpo, que l’on pourra aisément conseiller à des lecteurs qui voudraient se trouver une porte d’entrée dans l’œuvre épaisse de l’auteur. De par son intérêt à trouver la bonne formule, à nous faire embarquer dans un divertissement à l’intérêt sans cesse renouvelé, l’écrivain réussit son pari : tour à tour faire naître des interrogations, nous intéresser au mobile, mais aussi nous filer une bonne dose de frayeur. On recommande, donc.
Le démon de l’île solitaire, un roman écrit par Edogawa Ranpo. Aux éditions 10-18, 360 pages, 8.10 euros. Sortie le 19 janvier 2017.