Caractéristiques
- Auteur : Axel Cadieux, Jean-Vic Chapus & Matthieu Rostac
- Editeur : Capricci
- Collection : Hors Collection
- Date de sortie en librairies : 16 mars 2017
- Format numérique disponible : Non
- Nombre de pages : 208 pages
- Prix : 23€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 6/10 par 1 critique
HBO et l’âge d’or des séries télé
Fondée en 1972 par Charles « Chuck » Dolan, HBO était au départ une obscure chaîne à péages diffusant principalement des matches de boxe, dont celui, légendaire, entre Mohammed Ali et Joe Frazier en 1975, un beau coup pour une diffusion satellite, qui permettra au réseau d’atteindre les 200 000 abonnés à la fin de cette même année. Cependant, il faudra attendre 1998 et, plus encore, 1999, pour que la chaîne américaine devienne synonyme de séries de qualité à même de concurrencer les meilleures productions cinématographiques. En deux shows aussi différents qu’iconiques, Sex & the City créée par Darren Star et Les Sopranos du géant David Chase, HBO est devenue incontournable et a permis à un nouvel âge d’or des séries télé d’émerger.
Une ère où les séries perdront peu à peu au regard du public, mais aussi et surtout des critiques, leur statut de « sous-produit » de consommation, pour s’affirmer pleinement comme un art à part entière, distinct du cinéma par sa structure et ses modes de narration spécifiques. Peu à peu, le mot showrunner est sur toutes les lèvres, et des articles, des livres, s’intéressent à ces créatifs de génie tenant les rênes des séries, en assurant aussi bien la production que l’écriture et la réalisation de certains épisodes, et décidant, bien sûr, de la direction prise par l’intrigue et les personnages de saison en saison.
Retour sur l’essor d’une chaîne avant-gardiste
A elle seule, HBO réunit ainsi plus de grandes séries qu’un réseau ne pourrait en rêver : Oz (lancée en 1997, mais trop violente et jusqu’au-boutiste pour faire véritablement exploser la chaîne), Sex & the City, Les Sopranos, Six Feet Under, The Wire, Boardwalk Empire…L’ouvrage d’Axel Cadieux, Jean-Vic Chapus et Matthieu Rostac, journalistes à SoFilm, la revue cinéma des éditions Capricci, revient donc sur le parcours exceptionnel de Home Box Office, en se penchant aussi bien sur ses débuts hésitants que ses années de gloire et sa période de battement, où elle eut plus de mal à faire face à la concurrence, avant de revenir en grâce avec l’incontournable Game of Thrones et la saison 1 de True Detective.
Dans un format différent de ses essais plus pointus tels que l’excellent Prodiges d’Arnold Schwarzenegger ou encore Lettre à Wes Anderson, les auteurs nous proposent ce qui se rapprocherait davantage d’un hors-série de SoFilm, alternant histoire chronologique, présentée de manière critique, avec des focus sur les différentes séries, mais aussi des interviews avec acteurs, réalisateurs ou showrunners, le tout largement illustré de photos couleur sur papier brillant. Le résultat, bien équilibré, se révèlera intéressant aussi bien pour les personnes ne connaissant pas nécessairement l’intégralité des séries HBO ou tous les rouages de ses productions, que les aficionados, qui découvriront des interviews inédites et éclairantes de Brian Benben (héros de Dream On), Tom Fontana (Oz), Clarke Peters (Lester Freamon dans The Wire), David Milch (showrunner de Deadwood, John from Cincinatti, Luck) ou Alan Ball (Six Feet Under, True Blood).
Des personnalités hautes en couleur comme tout droit sorties d’un film
Au-delà des faits et des chiffres, La saga HBO marque surtout par le portrait qu’il fait de ses figures hautes en couleur, qui ont permis à la chaîne de lancer ces séries révolutionnaires qui ont changé le visage de la télévision. A commencer par celui qui était alors le directeur des programmes originaux HBO, Chris Albrecht, ancien comique reconverti dans le management d’artistes tels que Jim Carrey, Whoopi Goldberg ou Robin Williams. Embauché par la chaîne en 1985, dans l’idée d’utiliser les jeunes comiques montants pour participer à son essor, Chris Albrecht est un homme d’action enthousiaste ne reculant devant aucun pari fou. Il est le premier à sentir que les séries pourraient permettre à HBO de se distinguer, et c’est lui qui donnera le feu vert à des créatifs comme Tom Fontana ou David Simon, leur donnant carte blanche pour réaliser leurs oeuvres comme ils le souhaitent. Oz et The Wire, noires et exigeantes, ont beau réaliser des taux d’audience moyens, les critiques sont élogieuses, et Albrecht se sert de cet argument pour les laisser aller au bout de leur démarche, aboutissant à des séries d’importance, comme le sera également la plus populaire Six Feet Under.
La stratégie s’avèrera payante avec Sex & the City, aussi bien par l’impact que produit la sitcom que par son plan marketing rapidement rôdé (qui aboutira malheureusement à une dernière saison en demi-teinte et, surtout, deux mauvais films), et atteindra son apogée avec Les Sopranos, oeuvre monumentale, audacieuse jusqu’au bout, qui a rapidement rejoint le panthéon des meilleures séries de tous les temps. Par la suite, ce côté « faites ce que vous voulez » se retournera contre la chaîne, qui enchaîne les concepts improbables en toute décontraction, avec des résultats mitigés, voire franchement décevants, avant de se reprendre en mains avec Boardwalk Empire et Game of Thrones. Pendant ce temps, la concurrence a retenu quelques leçons, et riposte avec Breaking Bad, Dexter ou encore Mad Men, que la chaîne avait refusé pour des raisons internes. On n’est pas toujours gagnant aux coups de poker… Quoi qu’il en soit, c’est sur HBO que des créateurs issus de milieux autres que la télévision pourront éclore pour dynamiter celle-ci, comme le très excentrique David Milch, littéraire absolument brillant, mais également très torturé, dont l’addiction à l’héroïne se révéla par moments problématique. En lisant certaines anecdotes — comme celle où Milch, sur le tournage de Luck, menace de tuer son collègue Michael Mann, qu’il ne trouvait pas — on se dit d’ailleurs à plus d’une reprise que l’histoire de la chaîne en elle-même ferait un excellent livre.
La saga HBO est donc une publication qui retiendra pleinement l’attention de ceux qui ont déjà vibré devant l’une de leurs nombreuses séries. Quoique classique dans la forme, le livre parvient à mettre en contexte l’essor de la chaîne avec pertinence, tout en s’autorisant des commentaires critiques. Les interviews, approfondies, permettent quant à elles de plonger dans les coulisses des writers room et de mieux découvrir l’approche des showrunners, qui ne réalisaient pas forcément l’impact qu’auraient ces séries. On en ressort avec l’envie de binge watcher nos oeuvres préférées, mais aussi de nous adonner à quelques séances de rattrapage, afin de découvrir quelques pépites méconnues.