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[Critique] Prodiges d’Arnold Schwarzenegger – Jérôme Momcilovic

image couverture prodiges d'arnold schwarzenegger jérôme momcilovic éditions capricciArnold Schwarzenegger, un rêve post-humain ? Un monstre de foire ? Ou bien un peu des deux ? Partant du corps bodybuildé de l’acteur américain d’origine autrichienne, Jérôme Momcilovic, directeur des pages cinéma de Chronic’Art, propose à travers ces Prodiges d’Arnold Schwarzenegger aux éditions Capricci, une analyse esthétique de sa filmographie, qu’il analyse comme une oeuvre à part entière, portant un certain regard, soutenant un certain discours évoluant au fil du temps.

Schwarzenegger : une pure créature de cinéma

Plutôt que de se lancer dans une biographie de l’acteur, c’est donc au contraire à son image de celluloïd que s’intéresse le journaliste. Car Schwarzenegger est une formidable créature de cinéma, aux proportions surhumaines et souvent utilisé comme tel dans les films des années 80, où le regard des autres protagonistes lorsqu’ils découvrent son personnage met en lumière la dimension quasi-monstrueuse de ce corps massif aux muscles saillants. Et finalement, entre les bodybuilders, qui prennent la pose et s’exhibent lors de concours et les monstres de foire, la différence est-elle si grande ? Momcilovic, à travers des chapitres relativement courts dressant un parallèle entre la vie d’Arnold Schwarzenegger (de sa conquête de l’Amérique à sa carrière politique) et sa carrière hollywoodienne, révèle la cohérence de ce parcours hors norme, dont les principaux films semblent nous parler du rêve post-humain, transhumaniste. Terminator y est évidemment pour beaucoup, puisque James Cameron, à défaut d’avoir été le premier à exploiter le côté surhumain du physique de l’acteur, a en tout cas été le premier à révéler la machine en lui, chose qui paraît désormais évidente.

On ne sera du coup pas surpris d’apprendre que l’acteur, qui avait d’abord auditionné pour un autre rôle, avait longuement parlé au cinéaste de la manière dont devrait être joué le Terminator. Après tout, Schwarzenegger, qui a sculpté son corps à la manière d’une oeuvre d’art dès son plus jeune âge pour s’élever au-dessus des autres hommes, ne pouvait que comprendre ce fantasme transhumaniste qui ne date pas d’aujourd’hui, qui veut que la fragilité de la mécanique humaine se fonde dans la solidité de la machine pour atteindre une forme d’immortalité, en somme.

Evolution d’une icône hors écran

image terminator 2 arnold schwarzenegger
Arnold Schwarzenegger (ici dans Terminator 2) a beaucoup joué sur ses rôles au cinéma dans sa carrière politique.

S’appuyant notamment sur les recherches de Nicole Brenez sur le corps au cinéma, Jérôme Momcilovic nous raconte la créature Arnold Schwarzenegger et son évolution, à l’écran comme à la ville, puisqu’il suggère clairement que la frontière entre les deux est on ne peut plus mince en raison de la manière dont l’acteur met continuellement en scène son parcours. Qu’il s’agisse de réécrire sa biographie, dès le documentaire Pumping Iron qui le fit connaître ou de convaincre les électeurs de voter pour lui au poste de gouverneur de la Californie, « Schwarzy » agit en auteur et metteur en scène, n’hésitant pas, dans sa carrière politique, à tirer profit de son image de star de films d’action bigger than life, faisant référence explicitement à Terminator ou Total Recall lors de discours misant sur l’efficacité. Si l’on dit que la politique est un spectacle aux États-Unis, l’acteur a quelque peu transcendé l’expression lors de quelques moments mémorables, où il fit par exemple lâcher un boulet de destruction de deux tonnes sur une voiture, en lâchant « Hasta la vista, car tax ! » pour montrer sa détermination à supprimer une taxe automobile s’il était élu. Même en ayant mis sa carrière hollywoodienne entre parenthèses lors de ses deux mandats, Schwarzenegger n’aura finalement jamais cessé d’utiliser son statut d’icône et de jouer sur son image de cinéma, comme si la vie de la créature de celluloïd continuait de l’autre côté de l’écran, si l’on ose dire.

Une machine humaine ?

image photo instagram arnold Schwarzenegger
Voici la photo qu’a postée Arnold Schwarzenegger en janvier 2016 sur son compte Instagram. La statue de bodybuilder à son effigie se trouve dans l’Ohio.

C’est donc un essai dense et passionnant que nous propose Jérôme Momcilovic avec Prodiges d’Arnold Schwarzenegger, qui est également son tout premier livre. Si l’on sent en filigrane l’admiration que l’auteur portait sans doute à l’acteur plus jeune, l’analyse est on ne peut plus rigoureuse, et lie esthétique du cinéma et analyse de fond de manière brillante. Qu’il s’agisse de mettre en parallèle l’avènement de Schwarzenegger dans les années 80 et l’ère Reagan, ou bien d’analyser le rêve post-humain qu’il a incarné depuis Terminator, Momcilovic fait preuve de la même pertinence, rendant la lecture de cet essai assez jubilatoire pour qui aime les ouvrages de fond sur le cinéma. Il fait également montre de lucidité lorsqu’il évoque la dernière partie de la carrière cinématographique de l’acteur, inégale et jalonnée de films mineurs voire ratés, ou sa manière de se cramponner à sa gloire passée alors qu’il apparaît comme vieillissant. La machine serait-elle donc, après tout, humaine ?

C’est justement là que Prodiges d’Arnold Schwarzenegger devient assez touchant, notamment lorsque l’auteur, dans la conclusion, se penche sur cette curieuse photo postée par la star sur les réseaux sociaux récemment, où on le voit étendu dans un sac de couchage au pied de sa propre statue bodybuildée. A quoi rêve Schwarzenegger aujourd’hui ? L’homme contemple-t-il son oeuvre, qu’il sait être sans doute achevée ? Est-il nostalgique ? Cette conclusion, songeuse et finalement assez poétique, révèle alors quelque chose d’inattendu chez cet acteur qui était parvenu à nous faire oublier, si ce n’est son humanité, du moins sa vulnérabilité. « Comme les temps ont changé » écrit Schwarzenegger sous cette étrange photo, pensant peut-être à sa propre évolution. On ne peut alors s’empêcher de penser, nous qui sommes nombreux à avoir grandi avec ses films dans les années 80, que nous aussi, nous avons changé.

Prodiges d’Arnold Schwarzenegger de Jérôme Momcilovic, éditions Capricci, sortie le 2 septembre 2016, 264 pages. 18€

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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