Caractéristiques
- Traducteur : Anne Capuron
- Auteur : Will Eisner
- Editeur : Delcourt
- Collection : Contrebande
- Date de sortie en librairies : 21 novembre 2018
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 432
- Prix : 34,95€
- Acheter : Cliquez ici
- Note : 10/10 par 1 critique
Une oeuvre douce-amère par un vétéran de la BD américaine
Véritable vétéran de la bande-dessinée américaine, Will Eisner (1917-2005) a pour ainsi dire assisté à sa naissance dans les années 30, lorsqu’il crée Blackhawk et Sheena : Reine de la Jungle. Reconnu dans les années 40 pour son oeuvre-phare, Le Spirit, qu’il publie sous forme d’un supplément de 16 pages dans le journal dominical pendant 12 ans, l’artiste a croqué sa ville, New York, sous tous les angles tout au long de sa carrière, et plus particulièrment à partir de 1978, date à laquelle il se lance avec succès dans le roman graphique. New York Trilogie, originellement publié aux États-Unis de 1981 à 1986, et pour la première fois disponible en intégrale aux éditions Delcourt (Strangers in Paradise, Hellboy, Hellspawn…), constitue en quelque sorte sa grande-oeuvre autour des grandes villes, et plus spécifiquement New York, même si certaines situations peuvent s’appliquer à d’autres grandes métropoles.
Divisée en trois grandes parties (« La ville », « L’immeuble » et « Les gens »), New York Trilogie s’intéresse à la vie au sein de la Big Machine, entre aléas du quotidien, solitude et rencontres inopinées, sans oublier les écarts de richesses entre l’élite de la ville et les « petites gens » ou encore les clochards. De son trait caractéristique, évoquant les années 30 et 40, Will Eisner croque nombre d’instants en apparence insignifiants, mais révélateurs de la vie urbaine. Les amants s’y trouvent ou s’y perdent, les bouches d’égouts voient de drôles de choses, et les citoyens trop fragiles, ou ayant enduré un choc durable, glissent lentement mais sûrement à la marge, devenant littéralement invisibles suite à un enchaînement de cruels coups du sort, comme cela est le cas des quatre fantômes de « L’immeuble », et encore plus du malheureux héros de « Sanctum », qui s’échine à prouver en vain qu’il n’est pas mort comme l’a annoncé la rubrique nécrologie du journal.
Quand on arrive en ville…
S’il ne fait aucun doute que Will Eisner aime New York, il la voit malgré tout comme la ville de tous les basculements, une machine implacable qui n’hésite pas à broyer ceux qui ne sont pas assez forts pour pulser au même rythme qu’elle. Et de ce côté là, l’auteur de nous rappeler qu’il ne suffit que d’un instant, un faux pas, pour chuter. Un temps considéré sentimental par une partie de la critique comme le relève, amusé, en préface Neil Gaiman (Le premier meurtre, L’océan au bout du chemin…) qui l’a bien connu, Eisner ne cherche pas à adoucir la dureté de sa ville, et certains chapitres de cet épais volume se terminent de manière très sombre, même si l’humour n’est jamais bien loin.
Car, oui, même dans ses moments d’ironie les plus cruels, New York Trilogie est souvent drôle, voire très drôle. Eisner n’a pas son pareil pour donner vie à ses personnages en une expression, un geste qui les révèle, même sur les histoires développées sur 1 à 3 pages seulement. La composition laisse également souvent admiratif, comme cette sublime planche dans « Sanctum » (p. 337) où la tôle noire d’une voiture se confond dans le décor, trois instants se fondant les uns dans les autres avec une fluidité et un brio qui aurait de quoi rendre jaloux bien des dessinateurs.
Au final, que l’on soit déjà familier de son univers ou non, New York Trilogie de Will Eisner est une œuvre majeure à savourer d’un bout à l’autre, ou chapitres par chapitres, dans l’ordre que l’on souhaite. A la fois drôle, tendre et implacable dans sa manière de dépeindre les destins d’anonymes, heureux ou (souvent) malheureux, comme les petits moments de bonheur ou d’irritation du quotidien dans le métro ou dans la rue, ce triple roman graphique offre une vision intemporelle de la Grande Pomme — quoique plus particulièrement inspirée des années 30-40 pour le style visuel — et de ces grandes villes qui épuisent leurs habitants, qui ont malgré tout le plus grand mal à s’éloigner de ces véritables tourbillons de vie, remplis de contrastes et de paradoxes. Un incontournable de la bande-dessinée américaine !