Les différentes guerres d’indépendance qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale sont étudiées dans les programmes scolaires mais pas toujours avec le même équilibre. Si des films comme Apocalyspe Now, Full Metal Jacket ou encore Rambo ont beaucoup fait pour la popularisation de la guerre du Vietnâm, la guerre menée en Indochine par la France contre les partisans du Viet Minh reste moins connue. Ce n’est pourtant pas la documentation qui manque comme Marie-Danielle Demélas nous le prouve avec son ouvrage Parachutistes en Indochine.
Une guerre occultée
La guerre d’Indochine se déroula de 1946 à 1954, coincée entre la seconde guerre mondiale et les luttes sanglantes dans les colonies françaises. Si les premières années ce fut une guerre d’indépendance, l’avènement du communisme dans des pays comme la Chine, et la guerre de Corée, ont fait muté le combat vers une lutte idéologique dans le monde bipolaire de la Guerre Froide. Durant la guerre du Pacifique, le Japon a pris le contrôle de nombreux territoires d’Asie ; profitant du chaos que cela implique, le Viet Minh (issu du Parti Communiste d’Indochine) se créé avec pour ambition d’installer un gouvernement autonome communiste. Le gouvernement français envoie dès 1946 des troupes afin de récupérer sa colonie : ce sera le début de plus de 7 années de combats incessants. Affaiblie par le Seconde Guerre Mondiale, la France n’a pas le temps de former de nouveaux soldats et décide de prendre exemple sur les SAS (Special Air Service) britanniques qui ont agi à partir de 1941, en menant des raids contre l’Allemagne nazie. Mais les moyens, qu’ils soient humains ou matériels, ne sont pas les mêmes et la lutte s’annonce difficile, sans oublier que le Viet Minh évolue vite et fait souvent obstacle aux troupes françaises.
Une historienne loin de sa zone de confort
Marie-Danielle Demélas, l’auteure de Parachutistes en Indochine, a un parcours impressionnant tant au niveau universitaire qu’au sein du Ministère des Affaires Étrangères. Docteur d’État en histoire, elle fut chargée de recherches au CNRS, professeure à l’Université de la Sorbonne Nouvelle. Après avoir siégé au conseil scientifique du pôle Amérique des Affaires Étrangères, elle a terminé sa carrière comme représentante de l’Institut de Recherche pour le Développement en Bolivie. Cette grande spécialiste de l’Amérique Latine sort de son univers habituel (elle est l’auteure de nombreux ouvrages et articles sur la question) en nous proposant un livre particulièrement bien documenté consacré aux parachutistes ayant été envoyés en Indochine.
Le prestige des paras et les difficultés concrètes
Inutile de bien connaître le monde de l’armée pour savoir que les paras jouissent d’une aura particulière. Au-delà du côté spectaculaire du saut en parachute, c’est aussi leur capacité à effectuer des missions dangereuses et leur haute résistance physique qui leur a permis d’obtenir un statut à part. Et c’est là que le premier problème intervient : en Indochine, les autorités ont en idée de mettre en place des unités d’élite mais la communication n’arrive pas à se faire, dans un sens comme dans l’autre. Ainsi « La base ? C’est pour les planqués, les guerriers, eux, partent en opération ». Mais pour partir, il faut être formé et prêt, ce que bon nombre de jeunes hommes partis récupérer le territoire n’étaient pas. Par manque de moyen mais surtout de temps, les premières unités sont donc soumises à des manquements cruels. Les parachutes pour commencer ne sont pas assez efficaces : lourds, mauvaise qualité… Les accidents sont fréquents. Pour pallier au manque de soldats, la France va intégrer beaucoup d’Allemands et d’Autrichiens, prisonniers de guerre ou non, ce qui créera un ensemble sans harmonie et des inimitiés internes fortes. Le paternalisme colonial va longtemps empêcher l’intégration des Vietnamiens, pourtant aguerri au climat particulier de l’Asie du Sud-Est, alors que pendant ce temps les soldats du Viet Minh s’adaptent à ce qui a débuté comme une guérilla et se métamorphose en guerre. Et ceci n’est que le premier obstacle que les forces françaises vont avoir à affronter…
Avec beaucoup de détails et de minutie, Marie-Danielle Demélas nous raconte cette Histoire si souvent occultée : la vie quotidienne dans un pays inconnu et si différent de l’Europe, les problèmes de rationnement ou d’hygiène, le tout mêlé à des moyens misérables et des décisions stratégiques quelque fois discutables. Le travail de recherches est impressionnant et nous amène, sans idéologie ou parti pris, dans le gouffre d’un combat que rien n’a facilité. Parachutistes en Indochine est un ouvrage pour les curieux qui auront là fort belle matière pour découvrir ce qui a précédé la si tristement célèbre guerre du Vietnâm.
Parachutistes en Indochine, écrit par Marie-Danielle Demélas. Aux éditions Vendémiaire, 384 pages, 24 euros. Parution le 1er avril 2016.