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[Critique] Carnets noirs – Stephen King

image couverture carnets noirs stephen king éditions albin michelUn peu moins de deux ans après la sortie de Mr. Mercedes, premier volet d’une trilogie centrée autour du policier à la retraite au grand flair Bill Hodges, Stephen King est de retour avec Carnets noirs (Finders Keepers en VO, “trouver c’est garder”), paru le 2 mars dernier aux éditions Albin Michel, une suite qui n’en est pas tout à fait une et reprend des thèmes déjà explorés dans Misery : l’amour de la littérature et les fans déséquilibrés.

Un roman noir, ode au pouvoir de la fiction

Carnets noirs est, durant toute sa première partie, divisé entre trois époques : la fin des années 70, 2010 et enfin 2014-2015. La mise en place, formidablement retorse, nous présente le grand méchant de ce roman, Morris Bellamy, jeune homme déséquilibré fan de John Rothstein, auteur génial d’une trilogie centrée sur un héros, Jimmy Gold, en proie au système. L’écrivain s’est retiré depuis longtemps mais Bellamy, qui n’apprécie pas ce qu’il a fait de son héros dans le dernier tome, décide de rendre une petite visite de courtoisie au vieil homme, dont il a entendu dire qu’il continuait à écrire pour lui. Après avoir liquidé John Rothstein, le tueur et ses complices s’emparent du contenu du coffre, rempli d’argent et surtout de dizaines de carnets Moleskine dans lequel l’auteur a écrit de nombreux textes et même une suite de sa célèbre trilogie. Contraint de cacher son butin, Morris Bellamy passera sa jeunesse en prison pour un autre crime. En 2010, le jeune Peter Saubers, qui habite la maison jadis occupée par Bellamy et sa mère, découvre dans une malle une importante somme d’argent et une centaine de carnets Moleskine abritant l’oeuvre posthume de Rothstein. Il décide d’aider ses parents, en difficulté financière suite à l’attentat du tueur à la Mercedes qui a laissé son père handicapé, grâce à cet argent providentiel. En 2015, Bellamy est libéré et les ennuis ne vont pas tarder à commencer…

Si Mr. Mercedes se présentait comme un roman policier, Carnets noirs n’appartient pas vraiment à ce genre et s’avère bien plus difficile à “classer”. Scindé en trois parties distinctes, il s’agit en premier lieu d’un roman noir et d’une ode à la littérature américaine, où le coupable nous est présenté dès le début. Stephen King alterne ainsi les points de vue, le narrateur s’attachant tour à tour à Morris Bellamy, Peter Saubers, Bill Hodges ou l’un des personnages secondaires de l’intrigue. Livre à la forte dimension psychologique, faisant habilement monter la tension crescendo dans la dernière partie, Carnets noirs est construit autour de la confrontation inévitable, plus de 30 ans après un meurtre sordide, entre deux personnages réunis par leur amour de la littérature, mais que tout oppose par ailleurs, comme si l’un était le négatif de l’autre.

Le principe, redoutablement efficace, impose cependant un rythme relativement lent pendant une partie non négligeable du roman. Si cela ne dérangera aucunement ceux qui apprécient l’oeuvre de Stephen King pour cette dimension psychologique très subtile, les lecteurs en quête d’émotions fortes n’y trouveront peut-être pas tout à fait leur compte. Mais il faut garder à l’esprit que tout ce qui précède la troisième partie sert le propos de l’auteur et a également pour but de mener les personnages à une situation où aucun retour en arrière n’est possible, donnant une intensité particulière aux 150 dernières pages.

Une réflexion subtile sur la création et la lecture

A travers les figures opposées du tueur obsédé par une oeuvre de fiction et du lycéen studieux découvrant un trésor caché, Stephen King livre une réflexion très fine sur le pouvoir de la littérature, que l’on retrouvait déjà dans Misery et, en creux, dans Coeurs perdus en Atlantide. Une oeuvre appartient-elle à son auteur ? Au lecteur ? L’écrivain est-il un créateur tout puissant ou un simple récepteur-transmetteur, se contentant de suivre ses personnages là où ils veulent l’emmener ? Le pouvoir de la fiction peut-il donner le sentiment au lecteur de mieux connaître des héros de papier que des personnes de chair et de sang ? Toutes ces questions sont abordées avec la subtilité propre à Stephen King, avec une simplicité apparente, mais débouchant sur une réflexion assez fine.

Et, sans trop en dévoiler sur les nombreux rebondissements de Carnets noirs, force est de constater que le maître de l’horreur et du suspense, loué par la critique et dont le succès ne s’est jamais démenti, privilégie clairement l’humilité, aussi bien du côté de l’auteur que du lecteur. Une oeuvre, finalement, n’appartient jamais vraiment à son auteur, mais elle n’appartient pas plus aux lecteurs, qui voient leur vie marquée par les mots d’un autre, qui leur donne de la force et les inspire. Si la folie de Morris Bellamy (dont le portrait, glaçant, est une fois de plus admirable) consiste justement à clamer un droit de propriété sur l’oeuvre d’un autre, il n’a pas nécessairement tort en considérant que l’oeuvre est plus importante que l’écrivain, même s’il refuse de voir que l’auteur n’a de responsabilités qu’envers son histoire et ses personnages, et non envers ses lecteurs. Peter Saubers, adolescent intelligent, humble et courageux, lui, le comprend parfaitement et rejoint ainsi la longue lignée des héros valeureux de Stephen King, un peu à l’image d’un autre Peter, celui du seul roman fantasy pour enfants de l’écrivain, Les yeux du dragon.

Une suite qui n’en est pas tout à fait une…

Carnets noirs est un roman qui doit beaucoup à ces deux personnages et à leur face à face, à tel point que les personnages récurrents de la trilogie en souffrent par comparaison, à commencer par Bill Hodges. Dès le moment où il apparaît dans l’histoire, on a le sentiment que King ne s’intéresse guère à lui, le rendant dès lors très transparent. On n’apprendra pas grand chose de plus sur lui, si ce n’est que le lecteur aura la confirmation qu’il est toujours obsédé par le tueur à la Mercedes. Mais tout ce qui le concerne reste assez basique, ne provoquant jamais la moindre surprise, ce qui est regrettable. De même, le personnage de Jerome n’est pas assez développé et reste au niveau de simple side-kick comique. Parmi le trio venant en aide à Peter, seule Holly tire son épingle du jeu. Son décalage avec les autres personnages en raison de son autisme Asperger, son franc parler et ses petites manies fantaisistes la rendent attachante et on a l’impression que Stephen King prend plaisir à écrire pour elle.

Cette réserve mise à part, Carnets noirs est un roman qui se lit avec plaisir d’un bout à l’autre et ne nécessite pas d’avoir lu son prédécesseur, Mr. Mercedes, pour en saisir toutes les subtilités. En revenant sur les événements de ce premier tome par le biais de la famille Saubers, dont le père a été blessé lors du premier attentat du tueur fou, Stephen King instaure même un récit parallèle lors de la première partie, rendant inutile un quelconque récapitulatif des événements. Le tueur à la Mercedes, mis hors d’état de nuire, reste quant à lui une présence très discrète au sein de ce deuxième volet, même si l’auteur prépare le terrain, dans le dernier tiers, pour le troisième et ultime tome, dont la sortie est prévue aux États-Unis pour le mois de juin. Un tome qui, là encore, devrait reprendre le thème d’une des oeuvres les plus connues du maître de l’horreur.

Deuxième volet de la trilogie consacrée au personnage de policier à la retraite Bill Hodges, Carnets noirs est une ode, sous la forme d’un roman noir subtil et tendu, à la littérature américaine et au pouvoir de la fiction. Reprenant le motif du fan déséquilibré déjà présent dans Misery, Stephen King livre une réflexion sur la création empreinte d’humilité, rendant hommage à un art qu’il sert depuis maintenant plus de 40 ans. Inspirant.

Carnets noirs de Stephen King, Éditions Albin Michel, 2 mars 2016, 428 pages. 22,50€

 

Article écrit par

Cécile Desbrun est une auteure spécialisée dans la culture et plus particulièrement le cinéma, la musique, la littérature et les figures féminines au sein des œuvres de fiction. Elle crée Culturellement Vôtre en 2009 et participe à plusieurs publications en ligne au fil des ans. Elle achève actuellement l'écriture d'un livre sur la femme fatale dans l'œuvre de David Lynch. Elle est également la créatrice du site Tori's Maze, dédié à l'artiste américaine Tori Amos, sur laquelle elle mène un travail de recherche approfondi.

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