Après La rivière du
crépuscule des Editions Sombres Rets en juillet, j’ai cette fois-ci reçu Le Joué de Marc-Aurèle Guerrier dans le
cadre d’un partenariat entre le forum Accros & Mordus de Lecture et les
Editions Praelego. Le résumé du quart de couverture m’intriguait et j’étais curieuse de voir si ce roman de genre français
était aussi prometteur que ce que laissait entendre l’éditeur.
Roulette russe et années 90
Je lis principalement des auteurs anglo-saxons en ce qui concerne ce genre littéraire et les histoires de ce type sont devenues tellement légion depuis Fight Club, entre
autres, qu’il est de plus en plus difficile de s’y repérer et de trouver des œuvres fortes et sincères, ou, plus simplement, réellement prenantes. Qui n’a jamais eu l’impression d’ouvrir un roman
et de deviner sans efforts où l’intrigue menait ? D’avoir déjà lu la même chose dix mille fois et d’être exaspéré que l’auteur ne se donne même pas la peine de surprendre un tant soit peu
son lecteur en s’appropriant ces formules rabâchées pour les rendre stimulantes ?
Telles étaient mes craintes avant d’ouvrir le roman de Marc-Aurèle Guerrier. Avec une telle intrigue (deux amis étudiants affrontent la mort par le biais de la roulette russe et
le résumé nous annonce sans ambages qu’il ne pourra en rester qu’un) et une telle ambition (un affrontement psychologique haletant imprégné de « l’esprit délétère » des années 90 et sa
culture), je soupçonnais que Le Joué ne pouvait être qu’un roman réellement atypique et puissant ou un pétard mouillé un rien prétentieux.
Tendu et parfaitement maîtrisé
Heureusement, c’est finalement cette première possibilité qui l’a emporté. Même si je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un roman exceptionnel ou novateur, le roman de Marc-Aurèle
Guerrier est en effet surprenant de finesse et de tension parfaitement maîtrisée. L’écriture, aussi simple et dépouillée que l’intrigue, va à l’essentiel et nous maintient scotchés au
livre jusqu’au dénouement. Parler de suspense serait peut-être déplacé puisque le quart de couverture (et les premières pages du roman lui-même) nous révèle déjà l’inéluctabilité de
l’affrontement final entre JF et JC, entités jumelles diamétralement opposées qui s’attirent comme des aimants, mais la mécanique de cette danse de mort est déroulée de manière si implacable
qu’on ne peut être que pendu aux mots de l’auteur. Auteur, qui dit « écrire pour les masses pas pour les élites » mais atteint ici son but de manière tout à fait intelligente.
Si on pensera pêle-mêle à Voyage au bout de l’Enfer pour la roulette russe, au « Smells Like Teen Spirit » de Nirvana pour la culture grunge
et le désespoir dépourvu de fatalité d’une jeunesse sacrifiée ou encore à Fight Club pour sa résonance générationnelle et son affrontement entre deux anti-héros que tout
oppose et réunit, Guerrier ne se laisse pas engloutir par ces influences présumées, ne prend pas de pose, ne cherche pas à écrire le roman parfait pour le public parfait.
Le Joué ne vise ni l’originalité ni la simple application de recette testée et approuvée et grand bien lui en prend.
En parlant de Fight Club, justement, au moment du dénouement, j’ai cru un bref instant que, la symbolique aidant, l’auteur allait nous réserver le même retournement,
mais non : pas de tentative de plagiat éhontée ou d’esbroufe, le roman va simplement jusqu’au bout de sa démarche et s’achève de manière abrupte mais juste, en cohérence avec le ton sec et
posé du récit. Voici donc une excellente surprise dans un genre littéraire très convoité, où il est difficile pour un jeune auteur de se démarquer dans les flots de volumes publiés chaque année.
En espérant entendre parler de Marc-Aurèle Guerrier très prochainement pour un second roman affûté.