Un cauchemar éveillé aux multiples références cinématographiques
Les belles histoires ne sont certes pas les seuls moteurs de nos exaltations chez Culturellement Vôtre, mais nous pouvons écrire qu’il n’y a pas grand chose de plus savoureux que de découvrir l’une d’elles. Wetta Comics, Elephant Films, Artus, nous apprécions partager avec vous ce que ces courageux éditeurs proposent, avec une notion de prise de risques qui les place immédiatement au rang des passionnés actifs. On ajoute à cette liste les éditions de L’Homme Sans Nom, que nous avons déjà abordé le J’agonise fort bien, merci et dont le programme penche sérieusement vers la recherche d’une ambiance, d’un ton typiquement « de genre ». Le Miroir de Peter, que nous traitons aujourd’hui, confirme cet état de fait.
Le Miroir de Peter s’intéresse de près au cas de Satiajit Wilcox, jeune psychanalyste de Hollywood en recherche de « bons contrats ». Dès lors, quand il est recommandé à George Mothershield, l’auteur d’épouvante le plus reconnu de son époque, il croit rêver : voilà l’occasion ou jamais de donner un énorme coup de fouet à sa carrière naissante. Mais très vite, le patient va s’avérer être pour le moins difficile à gérer, profondément inquiétant. L’écrivain semble, à première vue tout du moins, atteint d’une paranoïa aigüe : il croit en un complot de Hollywood qui, à travers ses films, tenterait de ravager l’humanité. Alors qu’il prétend entretenir un lien avec Lewis Carroll, Mothershield devient de plus en plus insaisissable, et Satiajit Wilcox perd pied petit à petit…
Le Miroir de Peter est un roman qui prend bien du plaisir à jouer avec le lecteur, et plus particulièrement ses attentes. Tout semble être fait pour nous prendre de revers, depuis la magnifique couverture (signée Simon Goinard) qui ne dévoile pas un centimètre de la teneur du récit, jusqu’à la trame en elle-même. Résumer ce roman est un délice, tant on sait que rien ne pourra vraiment vous signifier dans quelle direction on s’engage en se lançant dans la lecture. Roman noir ? Thriller ? Terreur ? Fantastique ? C’est difficile à cerner, et pourtant tout s’éclaircit quand la plume de John Ethan Py (finaliste du Prix Masterton 2014 avec Chesstomb) se met à nous faire vivre la trajectoire de Satiajit. L’intrigue se dévoile sur le papier avec une certaine aisance, et on apprécie beaucoup le côté un peu paranoïaque qui, tout doucement, devient évidemment un peu plus plausible. Tout le sel du roman est d’avoir su capter un poncif du cinéma, le rapport aux miroirs, et d’y avoir accolé une figure artistique historique, en l’occurrence Lewis Carroll, pour en tirer un potentiel narratif puissant. Le Miroir de Peter est, en ce sens, assez passionnant à lire et ne se laisse pas tomber des mains jusqu’à la fin.
Une psychanalyse angoissante
Seulement attention, car le style de l’auteur n’est pas spécialement « reader-friendly », et use d’ellipses maîtrisées mais parfois brutales et trop rapprochées. Le Miroir de Peter demande au lecteur une certaine attention, car si l’intrigue est intelligible tout du long on a eu parfois l’impression que ne pas être attentif aurait pu nous faire perdre le fil de certaines situations. Mais rassurez-vous, cet élément n’est en rien désagréable et, pour notre part, on est du genre à aimer qu’un auteur ne nous mâche pas le boulot. D’ailleurs, cette volonté latente se retrouve jusque dans la caractérisation des personnages, qui laisse sciemment quelques zones d’ombres, des questions en suspens, histoire que le lecteur s’approprie les réponses qu’il juge les plus (ou moins) concevables. Le Miroir de Peter surprend par sa tendance à créer un univers, et non à le soumettre.
La figure du psychanalyste psychanalysé est évidemment de la partie, et Le Miroir de Peter l’utilise pour mieux nous diriger vers une convergence finale bien palpitante. Pas de spoilers à craindre dans ces lignes bien évidemment, sachez juste que cette conclusion va loin, très loin, et nous a beaucoup plû de par sa propension à créer une cohérence avec certains éléments que le roman a savamment distillé. On quitte Le Miroir de Peter avec l’impression d’avoir vécu un trip certes imparfait, peut-être un chouïa trop expédié concernant les personnages secondaires, mais cet hommage à la puissance évocatrice du cinéma et à Lewis Carroll au sein d’un récit effervescent nous a séduit.
Le Miroir de Peter, un roman de John Ethan Py. Aux éditions de L’Homme Sans Nom, 320 pages, 19.90 euros. Paru le 23 juin 2016.