Caractéristiques
- Auteur : Marc Cerisuelo
- Editeur : Capricci
- Date de sortie en librairies : 18 août 2016
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 80
- Prix : 8,95€
- Note : 6/10 par 1 critique
Premier livre en français sur le réalisateur américain, Lettre à Wes Anderson de Marc Cerisuelo, publié aux éditions Capricci, est un court essai à la forme libre et assez foutraque en apparence, qui présente l’oeuvre du plus branché des cinéastes de ces quinze dernières années (mais aussi l’un des plus profonds) avec une belle pertinence thématique.
Une approche critique et personnelle de l’oeuvre du cinéaste
En s’adressant directement à Wes Anderson, l’auteur met tout d’abord en avant une certaine subjectivité, commençant son ouvrage en faisant un éloge assez dithyrambique de l’artiste et son oeuvre : « …c’est précisément grâce et à travers vous que les sentiments, attitudes, doutes, pensées, réflexes et gestes de notre temps ont pu prendre forme« , écrit-il ainsi en préambule. Cependant, on aurait tort de penser que l’enseignant-chercheur se contente de passer de la pommade au réalisateur durant ces 70 pages. D’ailleurs, s’il apprécie la beauté et la sensibilité de ses films, leur mélancolie inhérente, que ne saurait faire oublier leur fantaisie, il n’hésite pas à critiquer la hype du cinéaste, dont le style (ou les « tics », comme le relève Cerisuelo, en citant une formule de Cocteau) ont inspiré le cinéma, mais à peu près tous les domaines artistiques, dont la mode, pour laquelle Anderson a d’ailleurs réalisé plusieurs publicités, notamment pour Prada.
Écrit dans un élan d’une belle fluidité, Lettre à Wes Anderson passe au peigne fin la filmographie du réalisateur texan, de ses influences salingériennes avouées à la place primordiale accordée à la musique, en passant par le thème de la famille et des pères indignes, ou encore de l’immaturité, qui rend l’évolution du cinéaste, et son inévitable (?) vieillissement assez problématique. Ainsi, tout en louant son inventivité et ses collaborations fructueuses avec le scénariste new-yorkais Noah Baumbach (réalisateur de Margot at the Wedding et Frances Ha, ou plus récemment Mistress America) ou encore Randall Poster, le music supervisor responsable du choix de morceaux de ses incontournables B.O., Marc Cerisuelo appuie également sur ce qui, tout en faisant le charme du cinéaste, pourrait également constituer tôt ou tard les limites de son oeuvre, prise au piège d’une éternelle adolescence et d’un style visuel instantanément reconnaissable.
Wes Anderson : l’impossible vieillissement ?
Cette immaturité revendiquée qui caractérise ses héros, pour lesquels on ressent une infinie tendresse, ne pourrait-elle pas finir par ressembler à une forme de déni de la part d’un cinéaste bientôt quinquagénaire, s’il continuait à brasser les mêmes thèmes dans le reste de son oeuvre ? La question se pose en effet, d’autant plus qu’à travers une poignée de films marquants, Wes Anderson a donné une vision ô combien puissante de ce flottement entre deux âges et cette mélancolie de l’enfance, période idéalisée, mais finalement assez douloureuse chez lui, que ce soit dans La famille Tennenbaum (son chef d’oeuvre ?) ou Moonrise Kingdom, sans même parler de La vie aquatique. Que dire de plus sur ce thème éternel après des films qui ont déjà tant exprimé à ce sujet, et avec une telle justesse ? Le cinéaste ne risque-t-il pas de faire sa Sofia Coppola (dont il est par ailleurs proche du frère, Roman, et du cousin, Jason Schwartzman), dont l’oeuvre a peu à peu perdu en attractivité au-delà de Marie-Antoinette, qui clôturait sa « trilogie » des jeunes filles perdues, et ce malgré l’audace de Somewhere, qui déstabilisa le public ?
Cerisuelo ne s’aventure pas sur ce terrain-là, mais l’oeuvre de la fille de Francis Ford Coppola vient assez vite à l’esprit en lisant les réflexions de l’auteur sur cette question épineuse du vieillissement chez Wes Anderson. Lorsqu’une oeuvre repose de manière aussi importante sur un tel thème, il n’est pas évident pour un artiste d’évoluer et d’aborder la maturité sans désarçonner les spectateurs ; cependant, ressasser ces thèmes d’adolescence éternelle en niant le passage du temps est tout aussi illusoire, et peut mener tout aussi sûrement à une impasse. Sofia Coppola a ainsi perdu des spectateurs avec l’aspect très brut et dépouillé — aussi bien visuellement que musicalement — de Somewhere, pour lequel elle a cherché à sortir de sa zone de confort en s’écartant de ce qui faisait son « style » ; on lui a en revanche reproché de recycler les mêmes thèmes en s’intéressant aux ados obsédés par les stars avec The Bling Ring, moins abouti formellement.
Des films qui brillent par leur âme plus que par leur « style »
Le cas Wes Anderson est quelque peu différent, cependant. En tant que spectateur, et Marc Cerisuelo l’exprime très bien, on aurait bien évidemment envie que le cinéaste conserve cette éternelle jeunesse, et surtout cette subjectivité lui permettant de réaliser des films véritablement personnels. Cependant, à mesure que le réalisateur gagne en influence, notamment avec le succès considérable de The Grand Budapest Hotel, et que son style est repris de-ci de-là, devenant dans une certaine mesure une marque de fabrique, on peut légitimement en venir à craindre que cette stylisation ne prenne le pas sur le lien avec le réel, qui fait aussi la force de ses films, et ne le mène vers l’artifice, à l’instar d’un Tim Burton, qui a progressivement perdu son âme, même si l’auteur insiste sur le fait qu’Anderson n’est pas un cinéaste formaliste. Si l’évolution de sa filmographie est encourageante, « le suspense continue », comme le souligne Cerisuelo.
Les liens de Wes Anderson avec la France et la Nouvelle Vague sont également explorés comme il se doit et, si on a déjà pu lire beaucoup de choses à ce sujet dans la presse spécialisée, Marc Cerisuelo parvient à aller au-delà de la simple évidence. Sans s’appesantir outre mesure (le livre est très court, rappelons-le), il relève quelques éléments intéressants, comme la manière dont les références à Paris et à la France établissent un dialogue et donnent une « orientation à l’action ». En définitive, Lettre à Wes Anderson n’est ni un éloge dithyrambique, ni une critique purement cérébrale, et encore moins une analyse esthétique. Cet essai succinct brille en revanche par sa manière de condenser de nombreuses réflexions pertinentes au sujet de son oeuvre, soulignant tout ce qui en fait l’inestimable richesse, au-delà d’une hype qu’il tacle très gentiment. Marc Cerisuelo parle autant en tant que critique qu’en tant que spectateur touché, et ce ton, personnel et cultivé à la fois, rend la lecture de ce court ouvrage plaisant car il met l’accent sur ce qui émeut profondément dans les films du cinéaste, aussi bien que sur ce qui peut agacer. On espère donc que ce premier livre en français consacré à Wes Anderson inspirera des initiatives de plus grande ampleur.