Un one-shot bien rempli
Un coup de cœur est souvent synonyme d’intérêt pour l’auteur de ce dernier. Après avoir adoré le premier tome de Harrow County, voir le nom du scénariste Cullen Bunn s’étaler sur la couverture d’un comics est une véritable tentation. Du coup, c’est un peu à l’aveugle qu’on s’est lancés dans la découverte de The Empty Man, et tant mieux car les quelques critiques U.S. n’étaient pas spécialement encourageantes. Des avis que, vous allez voir, l’on ne rejoint pas forcément.
The Empty Man prend place dans un monde rongé par un bien étrange phénomène. Maladie, hystérie collective, nul ne le sait réellement, mais ce que l’on a surnommé « le virus de l’Homme Vide » sévit depuis un an. Aucune solution n’a pu être mise en place afin de stopper, voire de contenir une infection dont les symptômes ont de quoi alerter : accès de rage, démence suicidaire, hallucinations, le tout provoquant une mort douloureuse ou une spectaculaire catatonie. Si la civilisation n’a pas encore déraillé, les sectes prennent tout de même de plus en plus d’importance, l’humanité ayant un irrémédiable besoin de réponses. Parmi ces groupements, un culte meurtrier prend une ampleur alarmante, mené par un pasteur au succès soudain. Alors que la famille Simmons est violemment décimée, et les deux filles du couple apparemment enlevées, les agents Jensen et Langford vont devoir coopérer pour mettre à jour ce qui se cache réellement derrière l’Homme Vide…
Il est très tentant de rapprocher The Empty Man de The X-Files (dont vous retrouvez nos critiques des comics ici et là), et ce pour deux raisons : son intrigue fantastico-horrifique bien entendu, mais aussi et surtout son duo d’agents spéciaux rappelant évidemment le couple formé par Mulder et Scully. Mais cette référence, si elle se ressent bel et bien tout au long du récit, n’est pas spécialement des plus pertinentes globalement, tant l’ambiance construite par le scénario de Cullen Bunn est assez unique à y regarder de plus près. The Empty Man est un récit qui brasse plusieurs sujets : l’humanité au bord de la faillite, le travail de sape effectué par les extrémistes religieux en temps troublés, l’infection rampante d’une maladie incurable…
Un comics sombre et étouffant
Le tableau peint par The Empty Man est à la fois très sombre et fourmillant. On sent que Cullen Bunn a beaucoup de choses à dire, voilà un auteur qui ne manque pas d’idées. Sa vision du monde est certes très chaotique, il faudra d’ailleurs revenir plusieurs fois sur certains passages pour capter au mieux les évolutions du récit, mais les graines qu’il sème donnent des fruits assez mûrs pour provoquer des soubresauts, où l’on retrouve ce style qui nous a beaucoup plu dans Harrow County ou The Sixth Gun. Il faut bien écrire que la structure est parfois un peu lourde, le concept des flashbacks en début de chapitre pose un problème de rythme certain et pourra même un peu gêner la compréhension autour de certains éléments. Mais on aurait tort de ne pas s’accrocher à The Empty Man tant l’histoire nous réserve des situations de plus en plus glauques, délicieusement malsaines.
Cette réussite est à attribuer autant à Cullen Bunn qu’aux illustrations signées Vanesa R. Del Rey (Hit) qui, dans un style évocateur et sombre à en étouffer, réussissent à donner à The Empty Man une saveur particulière. On apprécie particulièrement sa gestion de la violence, sa représentation excessive en terme d’effets, rendant ces cases positivement (pour le récit) pénibles. Alors certes, on perd en pure description et l’on a parfois l’impression que l’artiste cherche à en faire beaucoup, mais clairement, ce recours au foisonnement n’est pas gratuit : il est recherché par un comics qui veut se rendre ardu à lire. The Empty Man se termine d’ailleurs sur une montée en puissance, on pourrait presque parler de cliffhanger. Il s’agit bien d’un one-shot, mais cette fin pourra prendre de court. Là encore, c’est maîtrisé : le but est de laisser au lecteur une part d’imaginaire, lui donner la possibilité de faire survivre ce bien étrange récit au-delà de sa lecture.
The Empty Man est un comics sur lequel il faut revenir plusieurs fois. Deux lectures ne sont pas de trop pour bien capter les différents éléments au sein d’un scénario qui, plus ou moins subtilement, prend de l’ampleur au fil des pages. Il est impossible de ne pas voir dans cette volonté de nous perdre, ou de faire perdurer le final au-delà de la lecture, une envie cinématographique plutôt gouleyante, faisant de The Empty Man un comics finalement très graphique. D’ailleurs, cet élément crève à ce point les yeux que la 20th Century Fox pense sérieusement à une adaptation. On n’en a donc pas fini avec cet Homme Vide…
The Empty Man, écrit par Cullen Bunn, dessiné par Vanesa R. Del Rey. Aux éditions Glénat Comics, 160 pages, 15.95 euros. Sortie le 31 août 2016.