Clap de fin pour le charismatique Yeruldelgger
Parmi les plus inoubliables des personnages de polar récemment créés, le commissaire Yeruldelgger s’impose avec force. Donnant son nom au premier tome d’une trilogie se terminant avec le livre ici traité, ce flic colérique est l’occasion pour Ian Manook d’aborder la Mongolie, d’une manière que l’on qualifiera de documentaire. Intrigues policières et violentes, découverte d’une Mongolie très méconnue, tout cela se doit de prendre fin avec La Mort Nomade…
La Mort Nomade débute là où la précédente enquête du commissaire mongole, Les Temps Sauvages, a pris fin . On retrouve donc un Yeruldelgger errant au sein de sa propre retraite, que l’on peut considérer comme forcée. Usé par le caractère infini de la lutte contre le crime, l’homme s’est détourné d’Oulan-Bator afin d’aller se réfugier en plein désert de Gobi. Là, entouré de l’immensité et du silence, il renoue avec ses traditions ancestrales qu’il avait peu à peu enfouies sous sa carapace. Seulement, le destin semble ne pas vouloir oublier Yeruldelgger, et voilà qu’un jour il est retrouvé par deux cavalières qui vont le pousser, malgré lui, à reprendre du service. Cet être redevenu mystique va devoir retourner vers le monde et ses déviances, afin de se tirer d’une affaire bien sanglante.
Un dernier acte qui se dévore
La Mort Nomade est un chant lancinant, qui nous narre le même constat sur la Mongolie qu’a pu tirer Ian Manook, mais avec cette fois-ci un Yeruldelgger moins à fleur de peau, en quête d’un rachat qui ne peut passer que par une non-violence fondamentale. Pas désabusé mais en recherche de paix intérieure, le désormais ex-commissaire n’a plus qu’une envie en tête : retrouver ses racines, loin de l’agitation d’une époque troublée qui défigure aussi bien la Mongolie (triste situation naturelle) que les mongoles. Et, à travers eux, c’est le monde entier qui en prend pour son grade, par ailleurs. On apprécie d’ailleurs beaucoup cette description très jusqu’au-boutiste de la société mongole, minée par la corruption, la pauvreté, le chantage etc. Ian Manook dresse un tableau de ce pays à l’image du personnage qui hante ce roman : alarmant mais aussi porteur d’espoirs.
La Mort Nomade ne passe plus par un Yeruldelgger agissant. L’ex-commissaire est passif, et ce même quand il réussit à trouver des indices dans cette terrible série de femmes disparues et de morts très étranges. Deux femmes, tour à tour, viennent le trouver afin de lui demander de l’aide, et les deux sont clairement le témoignage que les steppes ne tournent pas rond. Puis, le tout jeune Ganbold vient l’inquiéter encore : il est tombé sur un charnier. Yeruldelgger ne peut donc que se remettre au travail, même si l’on sent bien que ces affaires l’étouffent. D’ailleurs, La Mort Nomade introduit bientôt de nouveaux policiers, officiant aux États-Unis, qui apportent par ailleurs une dose d’humour étonnante et surtout savoureuse. L’enquête se développe aussi finement que les personnages, notamment féminins, prennent de l’ampleur, et La Mort Nomade finit par installer un rythme tel qu’on dévore le livre goulument.
Avec La Mort Nomade, Ian Manook réussit un effet de style difficile : nous donner un antagoniste que l’on aime détester, tout en nous signifiant bien que le vrai Mal ne se niche pas dans un seul corps. Il plane un peu partout : il déforeste, il détruit et empoisonne les sols, il corrompe l’humanité en chacun de nous. Bref, pour faire clair le véritable adversaire ce sont les multinationales, bien trop globalisantes pour être honnêtes. Une accusation qui n’est jamais traitée comme le ferait un étudiant en mal de socialisme, l’auteur est beaucoup plus fin que cela, et son constat n’en est que plus juste. Ainsi, on est entraîné dans une Mongolie saisissante, intrigante, et ce jusqu’à un final déchirant. Adieu, Yeruldelgger, on t’a tant aimé.
La Mort Nomade, un roman écrit par Ian Manook. Aux éditions Albin Michel, 432 pages, 21.90 euros. Sortie le 3 octobre 2016.