Né en 1978 dans les Pyrénées Orientales, Horne est un dessinateur prolifique : depuis ses débuts aux côtés de Philippe Sternis, qui lui a mis le pied à l’étrier, il a depuis signé plus d’une quinzaine d’albums, dont un grand nombre avec le scénariste Eric Corbeyran, qu’il rejoint sur sa série Le maître de jeu pour les deux derniers tomes en 2007, et avec lequel il réalise désormais différents projets de manière régulière. Leur dernière collaboration, l’adaptation en BD du roman de Sorj Chalandon, Le quatrième mur, édité chez Marabulles, est également l’un de nos coups de cœur de l’année. Loin du style plus réaliste d’une partie de son travail, il y utilise un trait plus brut, tirant parfois vers l’abstrait, avec une pointe d’onirisme, pour raconter cette histoire de metteur en scène de théâtre, militant d’extrême gauche, qui décide de monter la pièce Antigone de Jean Anouilh au Liban, en plein conflit.
Nous avons rencontré Horne un après-midi de décembre, peu avant les fêtes de fin d’année, alors qu’il était en pleine promotion de Watch Dogs, une autre adaptation, mais de jeu vidéo, celle-là. Affable, il est revenu pour nous sur la conception du Quatrième mur, mais aussi son parcours, son travail avec Eric Corbeyran et ses influences. Rencontre avec un artiste passionné et curieux, qui ne souhaite pas être enfermé dans un style.
Culturellement Vôtre : Bonjour Horne, commençons par vos débuts. Vous venez du monde de la publicité au départ et vous aviez également une expérience dans l’édition, il me semble ?
Horne : Oui, j’ai une formation de maquettiste, conception de logo, mise en page…
C.V. : Donc il y avait déjà le côté graphique…
Horne : Oui, pour les couvertures. Des couvertures très simples, généralement. Je pouvais en faire certaines dans un autre style, mais c’était des propositions d’éditeurs. Lorsque je réfléchis aux couvertures, c’est très schématisé, épuré, minimal.
C.V. : Quand vous êtes-vous mis à dessiner, du coup ?
Horne : Il n’y a pas vraiment de date, en fait. C’est depuis tout petit. Mes parents faisaient du théâtre, ils faisaient décorer les masques, donc il y avait plein de supports, comme la terre glaise, les aquarelles, la peinture… Et après, comme j’avais ça à portée de mains, je l’ai utilisé.
C.V. : Donc finalement, c’est venu naturellement…
Horne : Oui. Et puis surtout, j’ai continué, j’ai persévéré. Au bout d’un moment, beaucoup passent à autre chose, on laisse le dessin de côté, pour les études ou autre, et moi c’est toujours resté.
C.V. : Vous avez rencontré Sternis, qui vous a lancé dans la bande-dessinée. Comment cette collaboration a-t-elle débuté ? Vous aviez déjà expliqué en interview que vous n’aviez pas prévu de faire de la BD au départ, même si c’est quelque chose dont vous rêviez peut-être…
Horne : En fait, je m’étais toujours dit que ce n’était pas fait pour moi, que le milieu était trop compliqué. Du coup, c’est une amie de ma mère qui était instit et qui avait invité Philippe Sternis pour une intervention. Elle a dit à ma mère : « Ben tiens, ton fils fait du dessin, est-ce que ça lui dirait de le rencontrer ? » Donc je suis allé le rencontrer avec quelques exemples de ce que je faisais en BD et en dessin. Il a trouvé ça assez sympas, surtout que je le rappelais souvent pour lui demander ce qu’il pensait de mon travail. Et au bout d’un moment, il m’a expliqué aussi comment il travaillait, il avait un projet pour le numérique qu’il a fait avec moi… Il m’a vraiment amené à connaître la BD, mais il a toujours été très réaliste là-dessus. Il m’a toujours dit que ce serait très dur et que si je voulais en faire mon métier, c’était à fond ou pas du tout. Et là-dessus, au début, je ne le comprenais pas, je me disais « Il me dit ça pour me faire abandonner », mais en fait, pas du tout. C’est vrai que ça reste une passion, c’est aussi un travail, mais il faut que ça soit passionnel, sinon on ne fait plus rien passer. Il y a un moment ensuite où ça devient du dessin très figé.
C.V. : Vous avez aussi réalisé de nombreux albums avec Corbeyran, le dernier étant bien évidemment Le quatrième mur. Il y a une vraie alchimie entre vous, mais diriez-vous que vos projets communs émergent généralement d’une envie commune, ou bien de suggestions d’éditeurs ? Comment les choses s’articulent ?
Horne : Eh bien, il y a plein de choses possibles. Eric peut avoir une idée et me la soumettre, et si on est partants tous les deux pour se lancer dans cette aventure, on la propose aux éditeurs. Certains projets sont nés comme ça, d’autres étaient des idées d’éditeurs, notamment pour ce qui est des séries-concept. Chez Delcourt, ce serait par exemple L’Homme de l’année, autour de personnages historiques. Nous, on a fait un album sur Jeanne d’Arc, mais ce n’est pas l’éditeur qui a demandé Jeanne d’Arc. Ils nous ont simplement dit : « Pensez à un personnage ». Il y a donc quand même une liberté du scénariste, mais ce sont des projets d’éditeurs. L’adaptation de Sorj Chalandon, c’est Hélène Gédouin qui en a eu l’idée. Elle le trouvait vraiment très beau et voulait le voir adapté en images. C’était aussi une demande d’éditeur donc, et après, en ce moment, on travaille sur un autre projet justement, où c’est moi qui ai eu l’idée. Je l’ai proposé à Eric, on a commencé à travailler dessus, le projet a été signé, et ce sera encore chez Marabulles. Donc pour le coup, l’idée vient entièrement de nous cette fois-ci. Je dirais que ça dépend vraiment, il n’y a pas de règle en la matière.
C.V. : Lorsque vous vous lancez sur un projet, de quelle manière travaillez-vous ensemble ? Est-ce qu’il vous donne vraiment son texte au fur et à mesure, ou bien rien n’est vraiment établi au départ, et évolue en fonction de vos échanges ?
Horne : Sur certains projets, je n’interviens pas du tout sur les textes. Enfin, ça dépend du type de projets. Par exemple, on a fait Malpasset sur la catastrophe de 1959, où un barrage s’est effondré en engloutissant toute une partie de la ville de Fréjus. L’album était basé sur des témoignages. Et en fait, on a fait une séance de travail ensemble pendant 2 jours pour la construction en elle-même. C’était très particulier, avec une construction assez déstructurée. On ne voulait pas faire quelque chose de traditionnel, notamment parce-qu’il était très compliqué d’amener des témoignages sans qu’il y ait une lassitude chez le lecteur, puisqu’il y avait une répétition. Donc ça, c’est quelque chose qui a été pensé à deux. Eric avait déjà le gros de la forme du livre et j’ai amené mes idées, ce que je pouvais apporter au niveau graphique.
Mais ça dépend vraiment. Par exemple là, sur le dernier qu’on va faire, c’est la même chose, c’est-à-dire qu’on en a parlé avant tous les deux. Généralement, au début des projets, on se voit une ou deux journées pour en parler. J’en profite pour lui parler de mes envies, ce que j’aimerais bien éviter, et lui me dit aussi ce qu’il voit au niveau graphique, histoire de voir si on est sur la même longueur d’ondes. Mais de plus en plus, on se concerte tous les deux maintenant pour essayer de faire ça au mieux, donc ça peut être évolutif. Il nous arrive de rajouter des choses, par exemple si j’ai une idée qui me vient, je lui soumets, pour voir si ça serait possible.
C.V. : Pour Le quatrième mur, il s’agissait donc d’une suggestion de l’éditrice. Avant de vous lancer sur le projet, que vous évoquait l’Antigone d’Anouilh ?
Horne : Je n’avais jamais lu la pièce. J’ai lu Le quatrième mur, j’ai vu qu’il était question de la pièce d’Anouilh donc j’ai été l’acheter. J’aurais bien aimé le voir au théâtre, parce-que le lire, ce n’est pas la même chose. Je n’ai pas lu la version originale de Sophocle, donc je n’ai pas d’objet de comparaison non plus. En tout cas, j’ai beaucoup aimé ce qu’en faisait Sorj Chalandon dans son roman, qui est de partir de quelque chose de fort pour le rendre encore plus fort. Et en soi, c’est toujours intéressant car c’est le type de pièce de théâtre sur laquelle chacun peut avoir un avis. C’est suffisamment vaste pour que chacun puisse se positionner : est-ce qu’Antigone a raison ou tort ? La réflexion derrière est intéressante. Je pense que c’est le genre de question que je pourrais poser à des gens pour savoir ce qu’ils en pensent.
C.V. : Pourquoi le choix du noir et blanc pour cette bande-dessinée ? Etait-ce un choix allant dans le même sens que celui de Martin Scorsese pour son film Raging Bull, où il s’agissait d’instaurer une certaine distance par rapport à l’importante présence de sang ? Ou bien pour renforcer la force du trait, qui est assez saisissant ? Ou quelque chose de totalement différent ?
Horne : Quand l’éditrice a voulu adapter ce roman en BD, elle avait en tête un dessin plutôt réaliste et en couleurs. C’est ce qu’on m’avait soumis. Quand Eric m’en a parlé pour la première fois, il m’a dit : « On pourra adapter ce livre, lis-le, et dis-moi ce que tu vois comme trait. » Il ne m’avait pas encore dit que ce serait vu en couleurs, de manière réaliste. Je l’ai lu et je lui ai dit : « Ecoute, une BD comme ça, je ne peux pas utiliser de couleurs, ce serait trop violent, trop voyeuriste, presque vulgaire ». Il me fallait quelque chose justement, qui adoucirait. J’ai trouvé également un trait très charbonneux, des personnages assez caricaturaux… Je ne les voulais pas trop réalistes, pour éviter de tomber dans le démonstratif. Il fallait évoquer des choses. On évoque la violence dans l’album, et je ne voulais surtout pas qu’on représente la violence. Et en fait, il m’a répondu : « Bah voilà, c’est comme ça que je le vois aussi » et il voulait juste avoir mon avis là-dessus. On a fait une proposition complètement en dehors de la vision de l’éditrice, mais elle a adoré aussi et nous a donné le feu vert. Donc oui, le noir et blanc était complètement voulu par rapport à ça. Il y a une scène, par exemple, dans l’album, qui ne passerait pas du tout en couleurs.
C.V. : Ce style assez brut, avec ce trait très charbonneux, est justement assez différent de ce que vous avez pu faire ailleurs. C’est assez frappant sur certaines cases, qui sont un peu plus abstraites, lorsque la guerre ou la pièce sont évoquées indirectement. Les personnages sont davantage représentés sous forme de silhouettes, finalement, et ces cases ressemblent presque à des mini-tableaux.
Horne : Oui. D’un point de vue narratif, il y a plein de manières d’amener un flash-back ou une digression. Et là, pour représenter la pièce, je voulais changer le style, le faire plus brut, vraiment très simple, très arraché. Et le style était déjà assez arraché, je joue beaucoup sur l’erreur dans cette BD là. C’est-à-dire qu’avant de commencer une planche, je ne savais pas du tout ce que ça allait donner au final. Là, je travaille en planches originales, donc il y a un bleu derrière mon storyboard, que j’ai agrandi, et je retravaille après sur un aplat dessus. Mais le storyboard est très simple, donc quand je dessine, j’ai juste une idée des personnages, de ce que j’ai déjà travaillé avant, et je pars là-dessus. Donc c’est beaucoup d’impro et de lâcher prise. Et tous les gris sont faits au chiffon et au mouchoir. Et, si on veut aller très loin dans l’explication, c’est peut-être lié aux pleurs et à la tristesse qui se dégage de l’histoire… Donc oui, pour cette séquence en tout cas, c’est pour différencier le moment où il lit l’histoire et celui où il revient à la réalité.
C.V. : Et ce style évoque aussi un peu celui de la couverture de la pièce d’Anouilh, finalement.
Horne : Oui, c’est ça. On reprend le style présent sur la première couverture du livre d’Anouilh. Lorsque je l’ai acheté c’est ce qui m’a marqué, et la couverture de la BD reprend aussi un peu les couleurs et la construction de celles d’Anouilh. On retrouve Antigone, et on remplace celui qui est sans doute le roi par Georges (le héros de l’histoire, ndlr). C’est donc sujet à interprétation, mais j’aime bien quand c’est le cas. Non pas que j’y ai forcément réfléchi, mais les gens peuvent le faire.
Et pour ce qui est d’adopter un style différent, je n’aime pas me cantonner à un style, me sentir assujetti à une façon de dessiner. Dans ma vision des choses, on me donne un texte et j’ai une image qui me vient. Et je vais construire mon dessin par rapport à cette image. Mon style a été réaliste sur pas mal d’opus car les projets le demandaient, mais en tout cas, les derniers en cours, le dernier sorti étant l’adaptation du jeu Watch Dogs, c’est pareil, le style est encore différent. Lennon était très différent, mais comme c’était une séance de psy, je voyais un trait très réaliste assez aseptisé, avec une répétition d’images, car c’est lié au souvenir.
C.V. : Le style était aussi plus carré, finalement…
Horne : Oui, il y avait aussi cette recherche-là. Ici, il fallait que ce soit complètement arraché, déstructuré. Ca correspondait pour moi à l’histoire et à la vision que j’avais. Sur La Métamorphose c’était encore différent : il n’y avait pas de marges, par exemple, ça sortait, il y avait aussi des inserts qui correspondaient à quelque chose… A chaque fois, je construis par rapport au texte, donc ça changera. Je n’ai pas vraiment de style attitré. Ce qui m’intéresse, c’est vraiment créer et chercher.
C.V. : Ce qui est bien, car ça évite aussi de se répéter ou de tomber dans les travers de certains auteurs qui peuvent donner l’impression, pas forcément de se parodier, mais du moins d’être figés dans un style.
Horne : Je pense qu’il y a des pour et des contre. D’un côté, je suis beaucoup moins reconnaissable, mais c’est moi, en fait, ça me représente. Comme d’autres qui auront toujours le même trait parce-que c’est pareil, c’est leur façon de voir le dessin et la bande-dessinée. Mais en ce qui me concerne, ce changement me représente.
C.V. : L’auteur du roman, Sorj Chalandon, a t-il participé activement au travail d’adaptation ? A-t-il donné son avis ? Et si oui, cela a-t-il modifié la dynamique de votre travail avec Corbeyran, par rapport à d’autres projets, par exemple ?
Horne : Non, pas du tout. Il y a eu un quiproquo, une phrase qui a été mal interprétée entre les deux éditeurs je crois, et qui a été prise comme s’il ne voulait rien avoir à faire avec le projet. Alors que Sorj Chalandon ne voulait simplement pas nous déranger, tout en étant prêt à donner son avis et à en discuter. Donc en fait, non, cela n’a rien changé. C’est peut-être dommage, mais on en a parlé après, une fois que le livre est sorti. Mais finalement, je suis presque content qu’on n’en ait pas parlé car j’ai su après que ce Georges là, c’était lui.
Les livres de Sorj Chalandon sont souvent autobiographiques, du moins il y a une forte part de réalité. Et donc, le Georges qui est là, c’est le Sorj Chalandon de l’époque. Après, ce qui est romancé, c’est la mise en place de la pièce de théâtre et ce qui s’ensuit, mais il y a certaines scènes qu’il a vraiment vécues, il est vraiment parti là-bas, etc. Et il avait une moustache, surtout. Donc en fait, je suis content de ne pas avoir fait de personnage avec une moustache, je pense, ça aurait été un peu bizarre… On n’en a pas parlé ensemble du coup, mais la BD lui a plu, c’est l’essentiel. Je pense que c’est bien qu’il ait eu la surprise, qu’il ait juste vu le produit fini. Mais je comprends ce qu’il voulait dire lorsqu’il disait qu’il ne souhaitait pas influencer les auteurs. Il ne voulait pas venir en disant : « Non, ça je le vois comme ça, comme ça… » C’est ce qu’il avait dit à l’éditeur.
C.V. : Quelles sont vos plus grandes influences en matière de BD, mais aussi d’arts visuels en général ?
Horne : Alors, j’ai toujours beaucoup aimé le travail d’ombre et lumière, le noir et blanc. Donc j’apprécie beaucoup les auteurs américains, comme Frank Miller ou Mike Mignola (Hellboy, Aliens Absolution, ndlr). Ce qui me fascine, c’est ça : la construction de l’ombre dans la lumière, la lumière par rapport à l’ombre… Même si j’aime bien le côté réaliste, j’aime aussi beaucoup le côté flou, même si je n’ai pas pu l’exprimer autant que je le voulais. Mais Turner par exemple, pourrait faire partie de mes influences. Dans sa période pre-expressionniste aussi… Il évoque des choses, mais on ne sait pas trop ce que ça représente, c’est assez flou pour que l’imagination travaille. Et j’en arrive actuellement à être davantage dans la sensation que la représentation, c’est une évocation. Donc dans Le quatrième mur, il y a pas mal de choses floues, je n’ai pas envie de tomber dans le réalisme, car j’ai envie que la tête des gens travaille un peu, un minimum.
Après, il y a d’autres artistes qui pourraient m’influencer, mais pas dans mes travaux présents. Dans la littérature, j’ai beaucoup lu Kafka, Lovecraft, des choses comme ça. Tout ce qui est un peu anticipation aussi, science-fiction, un peu de fantastique. Tous les livres d’époque aussi, les Frankenstein, La machine à remonter le temps… Et ça, je pense que ça amène aussi des images, c’est un univers.
C.V. : De quoi êtes-vous le plus fier dans votre carrière jusque-là ?
Horne : En album ? C’est compliqué…
C.V. : Pas forcément un album, mais quelque chose que vous avez réussi à faire, à exprimer…
Horne : Le premier que j’ai vraiment aimé faire, c’est une adaptation. Mais Kafka, pour moi c’était fort car c’est le premier livre je crois, que j’ai vraiment lu de moi-même. On m’en a parlé et c’est le premier que j’ai lu de moi-même, et il m’avait beaucoup touché à l’époque. Je devais avoir 14 ou 15 ans… Et du coup, le fait qu’on me demande de l’adapter, j’étais content car j’avais une idée de ce que je voulais faire, pour le coup. Et c’est dans celui-là où je suis parti le plus loin, du moins pour mes débuts, au niveau graphique, ou de l’intention. La couverture aussi était risquée, car elle était très simple : c’est juste un grand cafard vide avec à l’intérieur la forme de Gregor dedans. Et j’étais content surtout que ça ait été accepté. Par exemple, qu’il n’y ait pas de marges et tout ça, ça a été très bien pris, mais ça aurait pu être refusé.
Ensuite, j’ai beaucoup aimé Malpasset aussi, travailler sur des témoignages et rencontrer des gens. En fait, c’est le retour des survivants. J’ai fait le livre sur des gens que je n’avais pas encore rencontrés — seul Eric les avait rencontrés à ce moment-là. Du coup, ça a été très particulier quand je suis arrivé à Fréjus, on avait une séance de dédicaces, quand je voyais les gens, je les avais dessinés donc je les connaissais et j’avais envie de venir vers eux, de les prendre dans mes bras. Et comme eux ne me connaissaient pas, le premier geste qu’ils avaient c’était un mouvement de recul, sans doute en se disant « Mais qui c’est ce mec ? » Et quand je leur ai dit que c’était moi le dessinateur, le contact a été vraiment très très fort. Et ce projet-là, par rapport aux gens que ça a touché, ça a été vraiment pour moi quelque chose de très beau.
Et après, pour Le quatrième mur, j’avais beaucoup travaillé en palette graphique ces derniers temps et c’est mon retour en planches originales et pour ça, j’en ai aussi de supers souvenirs. Retrouver ma vieille table à dessin, mes vieilles loupiotes et tous mes crayons, ça c’était très bien. Donc voilà, à chaque fois c’est pour des raisons différentes. Je ne pense pas que je sois plus fier d’un album qu’un autre, mais ils ont chacun leurs souvenirs.
C.V. : C’est intéressant que vous parliez de dessins sur planches originales alors que justement, aujourd’hui, on trouve de plus en plus d’albums conçus à la tablette graphique, ou avec des couleurs faites à l’ordinateur. Que pensez-vous de cette évolution ? Il y a plein de dessinateurs qui font de très belles choses à la tablette, à tel point qu’on ne soupçonnerait parfois pas que ça a été fait à l’ordinateur, mais ne pensez-vous pas que dans certains cas, cela enlève de la spontanéité ? Quel rapport entretenez-vous avec cet outil, et pour vous, quelle est la différence avec le dessin à la main ?
Horne : Alors c’est intéressant parce-qu’on pourrait avoir l’impression que sur tablette, on peut arriver à des choses plus figées, alors qu’en fait, ça dépend vraiment de la méthode de travail. Je pense que la tablette graphique est intéressante parce-que, justement, on peut recommencer. Et du coup, on peut se lâcher plus facilement. C’est-à-dire que sur des planches à l’encre, des fois, on a tellement peur de rater qu’on fige les personnages, on perd du dynamisme… qu’on peut retrouver sur tablette. C’est vraiment une question d’utilisation. Pour moi, c’est un outil au même titre que le crayon, la gomme, les stylos, pinceaux… C’est la manière de l’utiliser qui va faire que ça va être intéressant ou pas. Je sais que je l’ai utilisé pendant très longtemps, on a le stylet et c’est un peu comme si on dessinait, il y a un peu un temps d’adaptation. Par exemple, je calibrais toujours mes outils de façon différente, de façon à ce que ça s’apparente à un pinceau, ou un stylo, un crayon…
Mais après, c’est vrai que le papier me manquait. Et en fait, le réalisme, je l’ai toujours fait sur tablette, parce-que je pouvais me lâcher. Et justement, j’avais plus de facilité à avoir un trait un peu plus lancé que je ne l’aurais eu sur une planche, où j’aurais sans doute eu tendance à figer le trait en ne voulant pas me tromper. Mais sur des bandes-dessinées comme Le quatrième mur ou Watch Dogs aussi, ce qui est intéressant, c’est que comme il s’agit d’un trait plus simple, où l’erreur vient agrémenter le dessin, je peux me lâcher, donc je n’ai pas ce problème du trait figé. Au contraire, je peux m’éclater et vraiment faire ce que je veux. Donc, sur ce type de projets, je préfère vraiment la planche traditionnelle. Et pour du réalisme, je pense que si je devais refaire des projets vraiment très détaillés, je reviendrais à la tablette. Après, on verra. Mais voilà pour moi la grande différence entre les deux.
C.V. : Quels sont vos prochains projets ?
Horne : Alors, desquels je peux parler ? Je ne sais jamais. (rires) Avec Corbeyran, on travaille sur un projet autour d’un conquistador espagnol, c’est l’histoire que j’avais proposée afin de l’adapter. Mais vous verrez, c’est intéressant. Et je crois que c’est le premier homme qui a vraiment visité l’Amérique du Nord, en partant de la Floride, en longeant la côte et ensuite la frontière mexicaine, la Californie… Et il a également rencontré toutes les tribus indiennes de l’époque, qui ont disparu ensuite. La plupart étaient très pauvres, n’avaient pas de quoi se nourrir, ont été décimées par les maladies ou tuées. C’est donc le seul qui ait relaté tout ça et parlé de ces tribus-là. La BD parlera donc de ça. J’ai aussi la suite de Watch Dogs, qui est en deux tomes. Le premier est sorti en novembre et le second va sortir dans le courant d’année. Et le troisième projet, comme c’est encore en travail, je n’en parle pas trop, mais ça va être intéressant : ce sera avec une journaliste de guerre et un autre scénariste, Jean-Marc Thévenet. On va voir, mais ça va être un beau projet là aussi.
C.V. : Et enfin, quel serait le projet que vous n’avez pas encore réalisé, mais dont vous rêveriez ?
Horne : Il y aurait eu celui dont j’ai parlé avant, comme l’histoire m’avait bien plu. Après, ce sera peut-être une série qu’on amène jusqu’au bout, une vraie série… Ca, peut-être. J’ai repris une série, on en avait aussi fait une qui a été arrêtée. Il y a beaucoup de séries maintenant, et quand il n’y a pas les ventes escomptées, elles sont interrompues. Mais avoir vraiment un personnage récurrent, sur au moins 6 tomes, ça peut-être intéressant car on peut le faire évoluer de manière différente que dans un one shot. On n’y exprime pas les mêmes choses, on n’a pas la même ampleur, le même nombre de pages… Mais déjà, roman graphique c’est bien, on peut mettre pas mal de choses, c’est mieux qu’un 46 planches traditionnel ou un 24, où c’est assez restreint. Donc ce serait ça.
Nous remercions chaleureusement Horne pour sa disponibilité et son amabilité. La bande-dessinée Le quatrième mur est disponible depuis le 19 octobre aux éditions Marabout, dans la collection Marabulles. Découvrez notre critique.