Quand conquête spatiale et liberté de la presse font bon ménage
On a tendance à un peu l’oublier, mais pour l’excellent Charlie Adlard il y a eu une vie avant le phénomène The Walking Dead. Avec une justesse à toute épreuve, c’est Robert Kirkman qui le rappelle, en signant la très belle préface de cet Astronauts In Trouble. Ce dernier, pur roman graphique brassant les genres de la science-fiction et de l’espionnage, ressort aux éditions Delcourt (Hellspawn : intégrale, Le jardin des souvenirs, Yuko) et c’est l’occasion à la fois de découvrir une œuvre intéressante… et une patte artistique balbutiante.
L’histoire d’Astronauts In Trouble nous narre les aventures de journalistes, véritable équipe de choc du média Channel 7. On comprend vite que la structure du récit est éclatée en plusieurs histoires (trois, pour être plus précis), espacées parfois de pas mal d’années, avec comme but de créer un rapport de cause à effet entre chacune d’elles. Ainsi, tout débute en 1959, alors qu’américains et russes se font la guerre dans le domaine de la conquête spatiale. Mis sur le coup d’un meurtre pour le moins étrange, Channel 7 mène une véritable investigation et se retrouve au Pérou, dans une base secrète appartenant à l’Oncle Sam et visiblement infiltrée par des agents de Moscou. Ce qui se déroule dans cette première partie d’Astronauts In Trouble provoquera des conséquences quelques dizaines d’années plus tard, et même jusqu’en 2019…
Après une ouverture qui manie plutôt bien une sorte d’ambiance légèrement pulp, avec notamment des pistolets lasers tout droit sortis de films de science-fiction des années 1950, Astronauts In Trouble enchaîne avec une histoire de magna des affaires désirant ardemment s’offrir rien de moins que la Lune. Il faut préciser ici que si l’atmosphère fait bonne impression, la pure écriture est plus hésitante. Larry Young a tendance a beaucoup passer par le dialogue, ce qui induit des passages parfois un peu trop bavards. Aussi, on décèle un petit souci de point de vue : on n’arrive que rarement à se caler véritablement sur un personnage. C’est clairement une décision assumée par l’auteur d’Astronauts In Trouble, qui fait de Channel 7 son véritable protagoniste principal, et si cela fonctionne très bien à partir de la moitié d’ouvrage, c’est un peu plus abrupte à son tout début quand il faut bien cerner les différents caractères.
Charlie Adlard : au commencement
Astronauts In Trouble est, donc, un roman graphique exigeant : il faut s’accrocher pour capter les intentions de Larry Young, et si c’est le cas alors on découvre une grille de lecture à la fois savoureuse et fichtrement intéressante. En effet, l’œuvre parle, sans détours, de la liberté de la presse, mais aussi du risque de voir les multinationales s’emparer de biens qui devraient appartenir à tout un chacun. C’est traité d’une manière plutôt fine, même si l’action ne l’est pas vraiment. Là aussi c’est voulu, car le côté pulp de la première intrigue résonne sur les autres, créant un grand tout résolument rétro (et même néo-rétro, pour aller plus loin). Et c’est bien agréable, qu’on se le dise.
Ce qui nous emmène tout naturellement vers le dessinateur Charlie Adlard, qui est à lui tout seul une des raisons de découvrir Astronauts In Trouble. Comme nous le signifions plus haut, cette œuvre date de 1999, et c’est assez édifiant que de constater à la fois les progrès de l’illustrateur, et les forces sur lesquelles il s’appuyait déjà à l’époque. C’est évident : son style à base de contrastes forts est déjà en place, et fonctionne déjà divinement bien. Plus étonnant, sa science de la mise en scène est déjà assez poussée, même si la maturité sera pour plus tard. On sent un vrai sens du mouvement, une maîtrise de l’espace qui, même si la gestion de la profondeur est encore incertaine, provoque des cases impressionnantes pour qui a l’œil. Robert Kirkman l’a, et il ne s’est pas trompé ! Signalons que Matt Smith (Starman, Nightcrawler) s’est chargé du dessin à partir du chapitre 4 jusqu’au 6, et s’en sort plutôt bien même si ses contrastes ont l’air plus « surjoués ».
Au final, Astronauts In Trouble est un roman graphique un peu difficile d’accès, dans le sens où il faut vraiment s’accrocher pour bien capter ses différentes forces. Et ces dernières ne manquent pas, notamment et évidemment le dessin, mais aussi une ambiance pulp s’accommodant très bien d’un fond pertinent et assez prégnant. Une découverte que l’on peut se permettre, donc.
Astronauts In Trouble, un roman graphique écrit par Larry Young, illustré par Charlie Adlard et Matt Smith. Aux éditions Delcourt, collection Contrebande, 280 pages, 19.99 euros. Sortie le 25 janvier 2017.