[Critique] Reine d’Egypte, T 1 — Chie Inudoh

image couverture reine d'egypte tome 1 chie inudoh éditions ki-oonParu en mars, ce premier tome du manga Reine d’Égypte de Chie Inudoh a contribué au lancement en grandes pompes de la toute nouvelle collection Kizuna des éditions Ki-oon. Une collection d’oeuvres à vocation universelle, à même d’être lues par toute la famille. Il s’agit ici de retracer le parcours singulier d’Hatchepsout, souvent considérée comme la première souveraine véritablement importante de l’Égypte ancienne, où elle régna — officiellement en tant que co-régente, mais en réalité en tant que pharaon — de 1478 avant J.-C. à 1457 avant J.-C.

Une vraie souveraine au parcours hors norme

Jeune fille surdouée ayant très tôt montré des aptitudes exceptionnelles, elle fait longtemps figure de favorite pour reprendre le trône de son père, Thoutmôsis Ier, qui ira d’ailleurs jusqu’à déclarer, un jour, “Je la mettrai à ma place”, une phrase que l’on retrouvera inscrite sur un mur du temple Deir el-Bahari. Pourtant, pour des raisons demeurées assez floues aux yeux des historiens, c’est son demi-frère Thoutmôsis II qui accède au trône royal à la mort de leur père. Peut-être parce-que celui-ci n’a pas eu le temps de prendre ses dispositions avant son trépas, ou tout simplement parce-qu’il était relativement rare qu’une femme accède à cette fonction qui revêtait un caractère divin.

Les quelques dirigeantes qui furent couronnées pharaon auparavant ne régnèrent que très brièvement, généralement en fin de dynastie, le temps d’effectuer la transition. Hatchepsout, consentante ou peut-être contrainte, épouse donc son demi-frère et occupe la place de Grande épouse royale. Elle n’accèdera au trône qu’à la mort de ce dernier, trois ans plus tard, et occupera officiellement le poste de régente, puisque l’héritier de Thoutmôsis II n’était autre que le fils qu’il eut avec une épouse secondaire, Thoutmôsis III, qui n’avait que deux ou trois ans à l’époque. Restée vingt-et-un an au pouvoir en tant que co-régente, où elle bénéficiait des mêmes pouvoirs et privilèges que son neveu, elle régna de manière pacifique — si l’on se fie aux archives retrouvées — et développa surtout les expéditions commerciales. Elle fut également à l’origine de centaines de constructions architecturales. Cependant, après sa mort, son nom fut martelé afin de l’effacer du temple funéraire où elle fut enterrée, dans une tentative d’effacer son nom de l’Histoire, pour des raisons sur lesquelles les historiens peinent à s’accorder : certains pensent que c’est son neveu lui-même qui ordonna cette entreprise, d’autres qu’il s’agirait plutôt des prêtres d’Osiris, mécontents de ses prises de position religieuses.

Un manga féministe, historiquement romancé

image planches généalogie reine d'égypte tome 1 chie inudoh éditions ki-oon
©Ki-oon

Quoi qu’il en soit, cette particularité, ajouté au fait qu’Hatchepsout est souvent considérée comme la première grande souveraine de l’Histoire, explique sans doute que Chie Inudoh se soit penchée sur cette figure au parcours fascinant et nimbé d’une certaine aura de mystère. Reine d’Egypte est ainsi l’occasion pour l’auteure de mettre en avant une figure de l’Egypte ancienne méconnue du grand public, en appuyant sur sa dimension féministe et avant-gardiste. Un parti pris pertinent et dans l’air du temps, mais dont le traitement interroge quelque peu du point de vue de la justesse historique. En effet, presque d’un bout à l’autre, la mangaka nous dresse un portrait glaçant de la place des femmes au sein de la société égyptienne où, pour faire simple, on nous fait comprendre explicitement qu’elles étaient considérées comme des moins que rien, bonnes à faire des épouses dociles ou bien des prêtresses sacrées, c’est-à-dire des prostituées, la dimension spirituelle en plus.

Ce premier point pose en partie problème car, contrairement à la Grèce antique, l’Egypte ancienne était plutôt clémente à l’égard des femmes, puisqu’elles étaient reconnues comme étant égales aux hommes d’un point de vue juridique, et étaient habilitées à gérer leur patrimoine ou occuper des postes de dirigeantes. Elles pouvaient également divorcer et récupérer leurs biens. D’ailleurs, même si c’est l’époux qui demandait le divorce, celui-ci avait l’obligation de concéder une partie non négligeable de ses biens à son ex-femme. On est donc loin de la situation dépeinte dans le manga bien que, au bénéfice de l’auteure, on ne peut que pointer du doigt le fait que les femmes souveraines étaient peu nombreuses et que leur rôle au sein de l’Histoire, comme dans le cas d’Hatchepsout, avait tendance à être minimisé dès leur éviction, à l’exception notable de Cléopâtre, et encore : celle-ci est encore trop souvent réduite à son histoire d’amour avec Marc Antoine.

Une histoire plaisante, avant tout destinée aux ados

image planche reine d'égypte tome 1 chie inudoh éditions ki-oon
© Ki-oon

Pour pleinement apprécier Reine d’Egypte, il faut donc accepter dès le départ cette simplification volontaire, et ne pas prendre pour argent comptant ce récit hautement romancé qui est, précisons-le, avant tout destiné aux adolescentes et jeunes adultes appréciant l’univers des mangas. Ainsi, si l’on passe sur les incohérences historiques, ou encore sur le fait que l’ensemble des personnages masculins ressemblent à des brutes misogynes assez stupides, à l’exception notable de Senmout, appelé à devenir une figure d’importance dans les tomes suivants (pour ne pas dire un véritable alter ego pour Hatchepsout), il reste un manga drôle et plutôt attachant, emporté par une héroïne au caractère trempé aux mille et uns talents, à mille lieux du moule que l’on tente de lui imposer. Les lecteurs prendront ainsi beaucoup de plaisir à voir comment elle commence à élaborer une stratégie afin d’accéder au pouvoir au nez et à la barbe de son époux et demi-frère, en s’assurant des soutiens précieux.

Le dessin de Chie Inudoh est assez typique des mangas destinés à la jeunesse, avec des personnages aux yeux énormes et à la plastique irréprochable mais le résultat, s’il ne brille pas spécialement par son originalité ou l’audace de son découpage, a le mérite d’être efficace et assez plaisant. A noter que le volume se lit de droite à gauche comme de rigueur, mais que les lecteurs encore peu familiers des mangas n’auront aucun mal à suivre le récit des aventures d’Hatchepsout, tant l’auteure a privilégié une clarté de chaque instant dans la disposition des cases.

A défaut d’être véritablement pertinent d’un point de vue historique, Reine d’Égypte, tome 1 se révèle donc un manga divertissant et plaisant, présentant le parcours de la reine-pharaon Hatchepsout de manière romancée pour mieux coller aux sensibilités actuelles. Intelligente, forte, déterminée et avant-gardiste, la princesse héritière, propulsée au statut de Grande épouse royale dans ce premier volume, s’impose comme une héroïne attachante, entourée de personnages secondaires féminins (les prêtresses d’Isis) pleins d’allant. La rébellion du personnage et sa stratégie pour prendre ce qui lui revient de droit promet de tenir les lecteurs en haleine pendant longtemps…

Reine d’Égypte, tome 1 de Chie Inudoh, éditions Ki-oon, collection Kizuna, sortie le 9 mars 2017, 190 pages. 7,90€

Article écrit par

Diplômée en Lettres Modernes, Natacha Fleurot rejoint la rédaction de Culturellement Vôtre fin 2015. Spécialisée dans les oeuvres jeunesse, young adult ainsi que la fantasy, elle réalise de nombreux articles dans les rubriques Livres et Cinéma. Passionnée de cuisine, elle teste aussi régulièrement des livres de cuisine et écrit dans la catégorie Food de la rubrique Lifestyle.

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