Caractéristiques
- Auteur : Julien Dufresne-Lamy
- Editeur : Belfond
- Collection : Pointillés
- Date de sortie en librairies : 22 août 2019
- Format numérique disponible : Oui
- Nombre de pages : 412
- Prix : 18€
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- Note : 8/10 par 1 critique
Au coeur de la communauté drag dans le NY des années 80
C’est notre grand coup de coeur de la rentrée littéraire. Jolis jolis monstres de Julien Dufresne-Lamy aux éditions Belfond (J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi, Quand on parle de Lou...) s’intéresse à la culture underground new-yorkaise des années 80 à travers leurs plus flamboyantes représentantes : les drag queens. Inspiré de la maison Xtravaganza qui anima les nuits de la Grande Pomme aux côtés des club kids, ce roman s’étend sur trois décennies et embrasse avec tendresse et impertinence l’évolution de la société.
On passe ainsi des nuits sauvages au sein d’un New-York aussi fascinant que dangereux à la prise de conscience lorsqu’arrive le Sida en 1984, pour mieux ensuite faire le parallèle avec notre époque de télé-réalité et revendications LGBTQ+.
Le roman suit deux parcours à priori diamétralement opposés, mais qui finiront par se rejoindre de manière inattendue : ceux de James, alias Lady Prudence, et Victor, ancien membre d’un gang latino. Où se sont-ils rencontrés ? Qu’est-ce qui les a réunis ? L’auteur entretient le mystère jusqu’au milieu du récit, avant de nous faire une révélation étonnante, qui viendra briser les clichés.
Une fresque passionnante et vivante
La plus belle qualité de Jolis jolis monstres est de faire revivre avec une rare intensité une époque révolue, avec toute sa gaieté, mais aussi ses paradoxes. On y croise notamment, aux côtés de Keith Harring et Madonna, le club kid Michael Alig, qui fit la fête aux côtés des drags et des stars telles que Björk avant d’être arrêté en 1996 pour un meurtre particulièrement sordide. Les drags tiennent bien entendu le haut du pavé, et Julien Dufresne-Lamy en dresse un portrait tellement vivant qu’on a véritablement l’impression de les connaître en refermant le livre.
Loin des clichés, on découvre une communauté soudée, faite d’hommes et de femmes qui furent autrefois des hommes aux parcours souvent chaotiques, et qui ont trouvé dans le drag un moyen d’expression pour transcender le réel et faire la nique à leurs démons. Plus qu’une évocation d’une époque mythique, l’auteur nous propose une véritable fresque, à la fois hautement romanesque et ultra-documentée. Son propos est toujours subtil, humain, mais bien loin de cet humanisme moralisateur que l’on peut parfois regretter dans certaines dérives actuelles.
Au contraire, à travers James, Julien Dufresne-Lamy ausculte aussi notre époque avec une distance amusée et l’interroge sans cynisme. On saluera ainsi ce passage bien vu où James et Victor se rendent de nos jours à la Gay Pride et se sentent un peu dépassés par de jeunes gens s’inventant de nouvelles étiquettes étonnantes. Et les personnages de s’interroger avec humour : malgré leur volonté d’affirmer une identité qui n’appartienne qu’à eux, pourquoi chercher encore à s’abriter derrière une étiquette ?
La dernière partie autour de l’univers de la télé-réalité est également drôle et intéressant, mais c’est véritablement le parcours de sa galerie de personnages authentiques qui apporte son florilège d’émotions à Jolis jolis Monstres.
Un roman touchant, loin des clichés et du pathos
Le tragique de certaines histoires — à l’image de Venus Xtravaganza, retrouvée assassinée en 1988 —, la sensibilité de la voix de James (l’un des deux narrateurs), les nombreuses références musicales, et l’humour qui emporte tout sur son passage, qui permet de se relever… Tout ça contribue à faire de ce roman un récit particulièrement touchant (voire parfois bouleversant), et qui, en même temps, ne tombe jamais dans le guimauve, loin de là. L’humour des drags queens et de Victor est souvent corrosif et n’épargne personne, pas même eux.
Si vous vous intéressez au New-York des années 80 et à ses figures célèbres, l’oeuvre de Julien Dufresne-Lamy devrait vous passionner. Mais il devrait également éveiller l’intérêt de ceux qui connaissent peu cette période, et encore moins le milieu des drag queens. En adoptant un point de vue intimiste mais sans fausse sentimentalité, en rendant hommage à une communauté sans chercher pour autant à enjoliver le passé, l’auteur nous rend proches ces hommes et leurs « monstres »— nom qu’ils donnent à leurs alter egos fabuleux qui leur permettent de faire face à la vie, et parfois de s’évader.
« I wish I had a river, I could skate away on… », chantait Joni Mitchell dans l’une de ses plus belles chansons en 1971. Des paroles qui reviennent d’un bout à l’autre de Jolis jolis monstres pour mieux nous rappeler que la scène est cette rivière où les drags peuvent s’épanouir. Un lieu utopique où l’humour et la fantaisie permettent de dépasser la détresse et de tromper la tragédie un court moment, et où l’auteur nous emmène le temps de 400 pages de toute beauté.